« Donner des repas, c’est vraiment mon langage d’affection de première classe » (Gill1).
Notre rapport à l’alimentation est influencé par divers facteurs familiaux, sociaux et culturels, et nos comportements alimentaires ne peuvent être réduits à notre besoin de se nourrir. Dans le cas des étudiant·es au cégep, les pratiques alimentaires, telles que manger seul·e, en déplacement, ou privilégier la consommation de collations, sont tributaires des changements importants qui caractérisent cette étape de la vie : on peut notamment penser à l’apprentissage de la prise en charge des repas, aux horaires décousus et à la surcharge de travail. C’est ce que montrent nos travaux de recherche visant à mieux saisir les comportements alimentaires des cégépien·nes2.
Démarche d’enquête
Dans le cadre de nos travaux de recherche sur les comportements alimentaires des cégépien·nes, 28 étudiant·es inscrit·es dans trois collèges — le Cégep du Vieux Montréal (n = 12), le Cégep de Victoriaville (n = 10) et le Cégep de Matane (n = 6) — ont complété, sur une période de sept jours consécutifs, un journal de bord se concentrant sur quatre aspects des comportements alimentaires : (1) les repas sautés, (2) les personnes avec lesquelles les repas sont pris, (3) les lieux des prises de repas, et (4) les activités effectuées pendant les repas.
Par la suite, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés afin de connaître et d’approfondir le sens que les personnes donnent à leurs comportements alimentaires.
Dans un contexte où ils et elles apprennent le métier d’étudiant·e, doivent s’adapter à un nouvel environnement éducatif, réfléchissent à leur orientation scolaire et professionnelle, traversent la reconfiguration de leurs réseaux de pairs, expérimentent la décohabitation familiale, développent leur autonomie, préparent leur intégration au marché du travail, entre autres enjeux du passage à l’âge adulte, ils et elles sont également appelé·es à prendre en charge, totalement ou en partie, leur alimentation.
On s’intéresse pourtant peu à ce que représente l’alimentation pour de jeunes adultes se trouvant à une période charnière de leur vie (Gourmelen et Rodhain, 2016) : bien que la littérature scientifique soit abondante sur le thème de l’alimentation chez les populations étudiantes au postsecondaire, les écrits se penchent surtout sur la question de l’insécurité alimentaire et de ses conséquences sur la réussite (Weaver et al., 2020 ; Taniey et al., (2022), le décrochage scolaire (Bessey et al., 2020), la santé physique (Glik et Martinez, 2017), la santé mentale (Hattangadi et al., 2019), et les conditions économiques.
Cet article a pour but de montrer que les comportements alimentaires3 des cégépien·nes sont en partie déterminés par des expériences marquantes ayant façonné leur histoire, en mettant en lumière le cas de Gill, une personne ayant participé à nos travaux de recherche, pour qui la préparation et le partage de nourriture est source d’autonomie, vecteur de lien social et constitue ce qu’iel considère comme un « langage d’affection ».
L’importance des routines
« C’est toujours ce que je fais, dès que je me lève, je déjeune ».
Lors de notre rencontre, Gill est âgé·e de 19 ans et est inscrit·e à temps plein au Cégep du Vieux Montréal. Iel s’identifie comme une personne non binaire, travaille entre 15 et 25 heures par semaine et suit une diète alimentaire végétarienne. Habitant toujours avec ses parents et sa sœur dans la maison familiale, Gill utilise le transport en commun pour se rendre au cégep, pour un temps de déplacement d’environ deux heures par jour. Comme la plupart des cégépien·nes, Gill mentionne que ses comportements alimentaires sont routiniers et s’ancrent dans une surcharge de travail (« mes semaines sont tellement occupées! »), et des « horaires qui ne concordent pas avec les autres », ce qui limite les moments de commensalité et « de pleine conscience en mangeant », tout le monde « ayant ses tâches à faire ».
Gill se distingue des autres étudiant·es en investissant « beaucoup d’énergie » et d’organisation dans la préparation de lunchs. En effet, iel mentionne « être extrêmement méthodique » et en faire la préparation pendant la fin de semaine, moment propice « pour faire du cannage, des lunchs congelés ou de la nourriture déshydratée » qu’iel conserve dans son casier pour se « dépanner » aux moments jugés opportuns. Iel partage cet intérêt pour la préparation des repas avec le reste de sa famille, soulignant cuisiner depuis qu’iel est « tout petit ». « On fait du cannage, puis naturellement on congèle beaucoup de choses ». Gill ajoute que l’alimentation a été au centre de son histoire familiale, sa mère ayant grandi sur une ferme laitière, alors que son père et plusieurs autres membres de sa famille ont occupé différentes fonctions dans un abattoir. Gill prépare aussi des lunchs pour ses ami·es au cégep, ou pour d’autres étudiant·es. Iel a également instauré avec sa sœur l’habitude d’échanger un lunch, en plus d’y insérer de « petits mots ». Cet échange de dons permet « une proximité qu’on arrive à obtenir à travers ce repas, qui est malgré tout extrêmement routinier […] ça permet de rendre le repas un peu spécial ».
Au tournant de ses 14 ans, Gill a été institutionnalisé·e dans un Centre jeunesse, à la suite d’une crise de santé mentale. Durant ce séjour, iel a éprouvé le sentiment d’avoir perdu toute autonomie dans sa vie. Alors qu’iel participe à la préparation de ses repas depuis l’âge de quatre ans, il lui a été « extrêmement difficile » de ne plus avoir la possibilité de cuisiner dans ce Centre jeunesse. Gill lie son sentiment de perte d’autonomie à un ensemble de règlements « fortement imposés », notamment à la mise en place de « routines extrêmement strictes » ainsi qu’à l’impossibilité de recevoir des visites, et d’entrer et sortir du centre selon sa volonté. Gill raconte avoir déplacé sa « colère » et son « besoin de contrôle » sur la nourriture. Alors que les intervenant·es du Centre jeunesse y décelaient des « traces de troubles alimentaires », iel explique qu’il s’agissait plutôt d’une manière d’affirmer son autonomie. En contrepartie, Gill se remémore le « meilleur moment » de son séjour au Centre jeunesse, pendant le temps des fêtes. On lui avait permis de « monter des menus et de prendre le contrôle de la cuisine », contribuant ainsi à créer un des rares moments où iel s’est senti·e bien lors de cette période de sa vie.
Pratiques alternatives en alimentation
L’engagement de Gill dans différentes activités au cégep semble avoir influencé son rapport à l’alimentation. Y « vivant quasiment » à plein temps, passant de se « laver au cégep dans le bloc sportif » à faire des « siestes entre les cours sur le sofa de l’association », un petit groupe d’étudiant·es a développé spontanément des « solutions alternatives » en alimentation. Ce groupe préparait de grandes quantités de repas, tel que « du chili, du mijoté et du curry » qu’il apportait dans les locaux de l’association étudiante, « pour que les gens en prennent selon leurs besoins ». Régulièrement, un message amical, en plus d’instructions facilitant la reproduction de recettes accompagnaient le plat et les étudiant·es partageaient entre elles et eux des « alternatives pour que ça coûte moins cher ou en fonction d’avoir le moins d’instruments de cuisine possible ». Ils et elles ont également apporté dans les locaux du matériel pour préparer de la nourriture, comme « un micro-ondes, un grille-pain, une bouilloire », pour éviter d’avoir à acheter des repas préparés. Gill précise toutefois que bien que se soient tenues plusieurs discussions au sein du groupe pour transformer ces initiatives en mouvement organisé, elles sont finalement restées ponctuelles et portées par quelques personnes motivées et conscientes que certain·es étudiant·es, pour des raisons diverses, ont besoin d’une aide pour se nourrir et de temps et d’espace pour cuisiner en grande quantité. Cela dit, des moments organisés ont pris place lors de grèves étudiantes, durant lesquelles ils et elles « fourniss[aient] un repas » pour « donner la possibilité aux étudiant·es de participer » aux activités de mobilisation.
L’engagement de Gill dans des initiatives d’aide alimentaire s’est également manifesté à l’extérieur des murs du cégep, particulièrement dans « les milieux trans ou queer », notamment en offrant des « activités culinaires ». Iel a pris conscience que les personnes trans sont préoccupées par « tellement de choses » qu’elles ont une alimentation « totalement inadaptée », particulièrement en période de transition. Gill compare la période de transition à une « seconde puberté » nécessitant des changements importants quant aux habitudes alimentaires. D’après son expérience, les défis alimentaires de cette population ne sont pas encadrés ni même discutés par le « milieu institutionnel ou médical », alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur. Devant ce vide, un petit groupe s’est réuni quelques fois pour élaborer un programme explorant des « façons de cuisiner le plus rapidement possible, puis le moins coûteux », qui a ensuite été diffusé dans son entourage et transmis à des intervenant·es en contact avec des personnes concernées.
Des expériences chargées de sens
Ce cas illustre la complexité et aussi l’unicité des expériences passées et présentes qui façonnent les comportements alimentaires de Gill. Comme beaucoup de cégépien·nes, Gill a dû adapter ses comportements alimentaires à ce que nous qualifions de « désorganisation temporelle » (Régimbal et al., accepté) qui accompagne les études postsecondaires. Ce constat fait écho aux travaux de Poulain (2017) suggérant que les individus sont amenés à passer d’un style alimentaire à un autre tout au long de leur cycle de vie. La « désorganisation temporelle » est un concept développé dans le cadre de la présente recherche afin de rendre compte des nouvelles difficultés que rencontrent les populations cégépiennes à propos des horaires scolaires discontinus et qui se coordonnent difficilement avec leurs ami·es et les membres de leur famille, autant qu’avec les multiples obligations qui accompagnent la vie estudiantine. Dans la transition aux études postsecondaires, le temps est bousculé et chamboulé. Gill évoque avoir développé différentes astuces afin de faire face aux impératifs qui en découlent : iel mentionne cuisiner « en grande quantité », plusieurs fois le même repas, « par exemple un riz toute la semaine, pour dix repas matin et soir ». Ses propos suggèrent aussi qu’iel mange lors de ses déplacements et saute régulièrement un ou plusieurs repas, s’en tenant parfois à ne consommer qu’une « barre tendre dans le métro » ou encore à boire de la bière.
Nos données indiquent en effet que, pour les étudiant·es interrogé·es, 21 % des repas sont sautés, et plusieurs personnes ont également affirmé troquer un repas au profit d’une collation, manger en se déplaçant ou encore faire une autre activité tout en mangeant (consulter son téléphone, regarder la télévision, étudier, etc.), (Régimbal et al., accepté). Gill mentionne que ce n’est pas la précarité économique qui explique ses repas sautés, mais d’autres facteurs, comme le manque de temps, la surcharge de travail et des « expériences passionnantes » vécues au cours d’une journée lui faisant perdre la notion du temps, de sorte que, parfois, iel « oublie de manger ».
L’analyse de l’entrevue avec Gill montre aussi que l’unicité de ses comportements alimentaires est constituée d’un amalgame de décisions individuelles, de compétences développées en bas âge, de contraintes rattachées au contexte d’étude et à des expériences pénibles comme son séjour en Centre jeunesse, ainsi qu’à d’autres, plus heureuses, notamment associées au militantisme. Si certains comportements alimentaires reflètent ceux des autres étudiant·es, ils s’en distinguent par le plaisir et par le temps que Gill accorde à la préparation de ses repas, particulièrement de ses lunchs. Le bien-être associé à ces pratiques dépasse le cadre du repas. Il s’incarne dans les activités de transformation, de distribution et de consommation alimentaire, en plus de se traduire dans une volonté d’y rattacher des relations significatives, des expériences chargées de sens et une autonomie
alimentaire accrue.
Ces expériences en elles-mêmes influencent les comportements alimentaires, mais ce sont aussi les réflexions entretenues au sujet de ces pratiques qui permettent d’attribuer du sens tant aux expériences qu’aux comportements alimentaires. Le lien que Gill fait entre son séjour en Centre jeunesse et son régime végétarien en constitue un bon exemple. En effet, après plusieurs années à réfléchir à ce moment, Gill identifie la nourriture comme ayant représenté une manière de surmonter « l’agression » d’avoir été dépossédé·e de son pouvoir décisionnel. Il s’agit d’une période charnière dans le rapport à son alimentation, dans le sens où ce besoin de contrôle « sur des aspects plus fondamentaux » de sa vie s’est exprimé par la maîtrise de son alimentation, à travers l’adoption d’un régime végétarien. Cependant, sa réflexion s’étend au-delà de cette seule épreuve. Gill soutient avoir été également motivé·e par son histoire familiale. Sa mère ayant grandi sur une ferme laitière, iel a pris conscience de certaines pratiques « extrêmement violentes sur les animaux ». Aussi, le partage de ses expériences de travail à l’abattoir avec son père et certains membres de sa famille ont contribué à l’avènement de son désir de ne plus manger de viande, que Gill associe à des « conditions de travail exécrables ou des expériences de travail qui n’étaient pas plaisantes ». Ainsi, la combinaison de ce passé familial et de son expérience en Centre jeunesse a fait émerger de « fil en aiguille [son] identité idéologique » végétarienne.
La nourriture comme liaison sociale
L’histoire de Gill atteste de l’importance du lien qui existe entre les relations sociales et les comportements alimentaires. Par-delà son histoire familiale et l’influence parentale, Gill situe l’alimentation au cœur de son rapport aux autres, et la considère comme une manière d’exprimer son affection à leur égard.
En effet, iel a développé une grande sensibilité à l’égard de la détresse d’autrui, qu’iel cherche à diminuer en cuisinant et en distribuant des plats faits maison. Ce qui frappe, c’est surtout son souci de préserver la dignité des personnes qu’iel croise dans son quotidien, au moyen de pratiques de partage de nourriture spontanées et anonymes. Alors qu’un des effets pervers de la charité est la stigmatisation des personnes, le partage anonyme semble ici capable d’éluder ce problème. De plus, plusieurs segments d’entretien suggèrent qu’iel ne souhaite pas créer un sentiment de redevabilité envers les personnes par rapport aux dons de nourriture. Iel vise plutôt à reconnaître et à soutenir l’autonomie de ses pairs, notamment en accompagnant les plats d’instructions pour les reproduire. L’importance qu’iel accorde à l’autonomie apparaît également dans l’organisation du groupe de partage des bonnes pratiques alimentaires s’adressant aux populations trans et queer. Gill a également développé une pratique singulière, soit la mise en place d’un garde-manger dans son casier au cégep disponible pour ellui-même ou pour le partage. Iel raconte en effet que plusieurs de ses relations s’appuient sur le partage de nourriture qui incarne à ses yeux un « langage d’affection de première classe ». C’est avec une certaine fierté que Gill souligne également prendre plaisir (« c’est vraiment le fun ») à voir des étudiant·es avec un des plats qu’iel a cuisinés.
Alors que nos travaux montrent que l’insécurité alimentaire touche plus de quatre cégépien·nes sur dix (Richard et Régimbal, en évaluation), Gill souligne prendre conscience, en vieillissant, du fait que contrairement à sa situation, la majorité des personnes qu’iel côtoie se trouvent « dans une précarité financière vraiment intense », en plus de manquer de temps pour cuisiner. Gill a donc pris la décision d’élargir sa pratique de dons de nourriture à l’ensemble des personnes rencontrées dans ses classes, à l’association étudiante ou dans les couloirs du cégep. À ses yeux, « il y a quelque chose de malaisant dans l’idée d’être en train de manger son lunch, puis de savoir que la personne en face de toi ne mange pas, parce qu’elle ne peut pas ». La pratique du « partage de repas » « rattache » Gill à des personnes jusqu’alors inconnues, lui procurant un sentiment « vraiment plaisant ». Quant aux personnes qui lui sont « proches », Gill leur prépare un lunch qu’elles aiment, lorsque se présente « l’envie de faire plaisir ».
Gill est par ailleurs la seule personne rencontrée dans notre échantillon qui ait abordé sans détour la consommation d’alcool qui, à ses yeux, « meuble nos moments sociaux ». Iel observe dans son entourage que « la majorité des événements sociaux dépendent d’une consommation d’alcool » et s’interroge sur cet impératif. Dans un contexte de mobilisation et de militantisme, Gill explique qu’une manière commune d’attirer un grand nombre de participant·es aux événements ciblant les populations étudiantes est « de descendre le prix de la bière ». Il est à ses yeux désolant qu’on parvienne à mobiliser ainsi les individus « par la consommation plutôt que par une idéologie ou la curiosité ». À ses yeux, ces rituels sociaux mettent à mal l’autonomie des individus, en les plaçant d’entrée de jeu dans des situations où la consommation de boissons alcoolisées constitue la norme.
« Ce n’est pas ce à quoi quelqu’un s’attend »
Déjà au début du 19e siècle, Brillat-Savarin (1825) s’intéressait aux plaisirs de la table, distincts du plaisir de manger, qui renvoie à un ensemble de sensations ressenties selon les circonstances, situées dans le temps et l’espace, dans lesquelles l’individu mange. De la même manière, Trémolières (1964) s’intéressait aux comportements alimentaires tant d’un point de vue « objectif » que de ses « motivations conscientes » à l’intersection de plusieurs dimensions, notamment des besoins, de la santé et du bien-être. Cette mise en relief des dimensions sociales et culturelles de l’alimentation amène des chercheurs·euses à dégager certaines tendances alimentaires (Warde, 1997). Un des pionniers dans le domaine est certainement Fischler (1980), qui développe le concept de « gastro-anomie », forme de déstructuration du repas familial au profit d’une individualisation de l’alimentation. Cette gastro-anomie opère dans un contexte d’effritement des normes sociales et d’une multiplication des règles et prescriptions alimentaires, souvent contradictoires. Comme il l’indique plus récemment (Fischler, 2013), l’individu est tiraillé dans sa volonté de maîtriser toutes les sphères de sa vie : amour, santé, jeunesse, sécurité, alimentation, etc.
Alors que plusieurs habitudes alimentaires des cégépien·nes font écho à cette gastro-anomie définie par Fishler, Gill tente par différents moyens d’établir des liens avec autrui, dans lesquels l’alimentation joue un rôle clé. La mise en place de ces expériences collectives ouvre une brèche importante dans la manière habituelle d’individualiser les défis alimentaires (notamment par le concept d’insécurité alimentaire et ses solutions, comme la charité institutionnalisée). Ces nouveaux rituels alimentaires représentent ainsi des formes de « résistance », pour utiliser les termes de Lardellier (2018), face à la logique utilitariste, à l’individualisme et à l’impératif de spontanéité qui domineraient les sociétés occidentales, et permettraient de renouer avec ce que Fischler (2013) nomme les aspects sociaux de l’alimentation, notamment la commensalité. En plus d’aider la personne d’un point de vue nutritionnel, le partage de plats faits maison crée, comme le souligne Gill, « des relations qui sont intéressantes, parce que ce n’est pas ce à quoi quelqu’un s’attend ».
Ces analyses suggèrent que la recherche doit continuer s’intéresser aux mécanismes sociaux favorisant, ou à l’inverse faisant obstacle, aux initiatives spontanées, originales, alternatives porteuses de lien social qui peuvent contribuer à l’autonomie alimentaire. Ce, notamment dans le milieu de l’enseignement supérieur où les problématiques liées à l’insécurité et au mal-être alimentaires sont nombreuses. Une recension des sites Web des établissements d’enseignement collégial du Québec, ayant pour objectif de mieux cerner la place que les collèges font à l’alimentation, montre par exemple qu’on y mentionne peu les initiatives de soutien alimentaire (Rouillard-Gagnon et al., accepté). Le cas de Gill suggère par ailleurs que les initiatives de soutien alimentaire devraient être davantage pensées en collaboration avec les populations étudiantes, qui ne peuvent être réduites à de simples bouches à nourrir. À nos yeux, c’est finalement par l’écoute des populations concernées que les pratiques de soutien tendront vers le bien-être individuel et collectif.
Notes
- Tous les extraits de verbatim citent la même personne, Gill (prénom fictif), participant·e au projet de recherche dont le cas particulier fait l’objet du présent texte.
- Nous tenons à exprimer notre gratitude au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec pour avoir subventionné nos travaux dans le cadre du Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (12624).
- Dans cet article, le terme « comportement alimentaire » est privilégié pour sa neutralité. Il renvoie à tous les comportements, attitudes, pratiques ou habitudes qu’une personne adopte dans sa vie quotidienne quant à son alimentation.
Références
Brillat-Savarin, J. A. (2017[1825]). Physiologie du Goût. Flammarion.
Bessey, M., Frank, L. et Williams, P. L. (2020). Starving to be a student: The experiences of food insecurity among undergraduate students in Nova Scotia, Canada. La Revue Canadienne des études sur l’alimentation, 7(1), 107-125. https://doi.org/10.15353/cfs-rcea.v7i1.375
Glik, D. et Martinez, S. (2017). College students identify university support for basic needs and life skills as key ingredients in addressing food insecurity on campus. California Agriculture, 71(3), 130-138. https://doi.org/10.3733/ca.2017a0023
Fischler, C. (2013). Les alimentations particulières. Odile Jacob.
Fischler, C. (1980). Food habits, social change and the nature/culture dilemma. Social Sciences Information, 19(6), 937-953. https://doi.org/10.1177/053901848001900603
Gourmelen, A. et Rodhain, A. (2016, septembre). Équilibres et déséquilibres dans l’alimentation des jeunes étudiants : proposition d’un modèle conceptuel [communication orale]. Actes de la 11ème Journée du Marketing Agroalimentaire (JMAM), Montpellier, France.
Hattangadi, N., Vogel, E., Carroll, L. et Côté, P. (2019). Is food insecurity associated with psychological distress in undergraduate university students? A cross sectional study. Journal of Hunger and Environmental Nutrition, 16(1), 133-148. https://doi.org/10.1080/19320248.2019.1658679
Lardellier, P. (2018). Le rite, entre résilience et résistance. Relations, (799), 17-18. https://id.erudit.org/iderudit/89301ac
Poulain, J.-P. (2017). Sociologie de l’alimentation. Presses universitaires de France.
Régimbal, F., Richard, É., Fournier, A. (accepté). Le bien-être et les comportements alimentaires des jeunes Québécoises et Québécois inscrits au cégep. Revue jeune et société.
Rouillard-Gagnon, É., Richard, É., Régimbal, F., Fournier, A. (accepté). Parlons un peu d’alimentation. Pédagogie collégiale.
Richard, É et Régimbal, F. (en évaluation). L’insécurité alimentaire chez les cégépiens. Revue canadienne d’enseignement supérieur.
Taniey, R. et Leyden, L. (2022). Feeding hungry students: college students’ experiences using food pantries and successful strategies for implementing on-campus food assistance programs. Journal of American College Health, 72(6), 1925–1940. https://doi.org/10.1080/07448481.2022.2098031
Trémolières, J. (1964). La nutrition humaine. Revue du Tiers Monde, (20), 795-814. https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1964_num_5_20_1150
Warde, A. (1997). Consumption, Food and Taste. Sage.
Weaver, R. R., Vaughn, N. A., Hendricks, S. P., McPherson-Myers, P. E., Jia, Q., Willis, S. L. et Rescigno, K. P. (2020). University student food insecurity and academic Performance. Journal of American College Health, 68(7), 727-733. https://doi.org/10.1080/07448481.2019.1600522
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- Éric Richard
- Professeur, département de sociologie, Cégep du Vieux Montréal, Chercheur affilié au Centre d’étude des conditions de vie et des besoins de la population (ÉCOBES)
- Gabriel Roy
- Étudiant·e, Université du Québec à Montréal