Intervention, jeunes et milieu scolaire : bien dans mes baskets

Comment entrer en contact avec des jeunes présentant des difficultés importantes à l’école et ailleurs ? C’est par le basketball que Martin Dusseault, intervenant social scolaire au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, a rejoint depuis 2001 des jeunes de l’école secondaire Jeanne-Mance. Partageant la passion du basketball avec eux, il a créé un modèle d’intervention sociale qui vise à prévenir le décrochage scolaire et la délinquance ainsi qu’à favoriser le développement psychosocial des jeunes du quartier et donc, à prévenir l’exclusion sociale.

Soixante-quinze athlètes-élèves se répartissent actuellement dans six équipes. Les diverses activités du programme peuvent être regroupées en trois grandes catégories : les activités d’interventions psychosociales auprès de l’athlète-élève, de sa famille ou d’une personne en relation avec lui ; des activités préventives ou curatives de groupe ; ainsi que des activités ou actions auprès de la communauté où se déploie le projet. Depuis sa création, le projet Bien dans mes baskets a connu un développement considérable, tant sur le plan des activités d’intervention psychosociale que du nombre de participants. Sa popularité et ses impacts sur les jeunes ont mené au démarrage d’une recherche évaluative participative réalisée conjointement par Suzanne Laberge, professeure à l’Université de Montréal, et Martin Dusseault.

Dans la littérature

Une recension des écrits a permis de faire le point sur les liens entre pratique sportive et persévérance scolaire ainsi que l’utilisation du sport pour développer les habiletés personnelles et sociales des jeunes. Quatre grands constats ont été tirés.

Peu d’études à ce jour ont examiné le lien entre pratique sportive et persévérance scolaire. Le plus souvent, l’attention est portée sur la performance scolaire, elle-même reliée à la persistance scolaire. La majorité des recherches dans ce champ sont transversales et les conclusions qui en émergent sont mitigées. Certaines rapportent une relation favorable entre sport et performance scolaire, les sportifs réussissant mieux que les non-sportifs (Fejgin, 1994; Jordan, 1999; Field et al., 2001; Videon, 2002) et d’autres, une relation défavorable, la pratique sportive étant associée à une faible performance scolaire (Eitle et Eitle, 2002; Darling et al., 2005; Guest et Schneider, 2003; Leppel, 2006; Miller et al., 2005; Yin et More, 2004). Des variations ont toutefois été observées selon le type de sport (collectif ou individuel), l’origine ethnique, le sexe ou le niveau socioéconomique. Les sports individuels semblent plus favorables à la performance académique et l’impact de la pratique sportive serait davantage positif chez les athlètes féminines et les athlètes « blancs » et de milieux socio-économiques aisés (Eitle et Eitle, 2002; Leppel, 2006; Miller et al., 2005).

Une récente recension des écrits (Bailey et al., 2009) sur les bienfaits de la pratique sportive en contexte scolaire conclut que le sport peut avoir des impacts positifs sur les jeunes sur les plans physique, social, affectif et cognitif. Nous n’avons repéré aucune étude dans ce champ portant spécifiquement sur l’impact de la pratique sportive sur des adolescents éprouvant des problèmes psychosociaux. Les études effectuées à ce jour présentent aussi diverses lacunes méthodologiques (Hyatt, 2003), notamment parce que peu d’entre elles prennent en compte les variables sociodémographiques – pourtant reconnues comme fortement associées à la performance scolaire – ainsi que les variables propres au contexte scolaire (par exemple, la relation enseignant-élèves ou le climat de l’école).

En ce qui a trait au sentiment d’appartenance à l’école, quelques études ont démontré que, combiné au support social et associé à la pratique sportive, ce sentiment pouvait contribuer à la persistance scolaire (MacPhail et al., 2004; Walseth, 2006) parfois de manière significative (Faircloth et al., 2005; Hoffman et al., 2002; Ma, 2003), notamment en améliorant les habiletés et relations interpersonnelles et en augmentant l’entraide entre étudiants. Ces trois dernières études suggèrent que la participation à des activités parascolaires développe le sentiment d’appartenance à un groupe, lequel contribue éventuellement à la persistance scolaire. Newman et al. (2007) ont montré pour leur part que les élèves ayant un sentiment d’appartenance à un groupe ont moins de problèmes comportementaux.

Des études ont également mis en exergue le lien entre sport et habiletés de vie (Danish et al., 1993). Dans une étude de type ethnographique auprès d’une équipe de soccer, Holt et al. (2008) ont démontré qu’au travers de la pratique du sport, les athlètes avaient appris à se fixer des buts, à gérer leur temps, à prendre des responsabilités, à respecter les autres et à travailler en équipe, tout en développant leur leadership. Selon Jones et Lavallée (2009), deux grands types d’habileté peuvent découler de la pratique sportive : des habiletés personnelles telles que le sens de l’organisation, la discipline, la confiance en soi, et des habiletés interpersonnelles comme le leadership, le respect des autres, les habiletés de communication et les relations harmonieuses avec la famille et l’environnement social. Une étude de Papacharisis (Papacharisis et al., 2005) a illustré par des tests psychologiques passés en pré et en post intervention à un groupe témoin et un groupe de sportifs que ces derniers peuvent améliorer de façon significative leur capacité à se fixer des buts, à résoudre des problèmes et à penser de façon positive.

Le défi lié à l’apprentissage des habiletés de vie en contexte sportif demeure son transfert aux autres domaines de la vie. Il ressort des travaux une liste imposante de barrières et de conditions favorables telles que les types d’intervention, les occasions de réflexion sur la démarche et les expériences, l’implication des anciens pour qui l’activité a généré des succès, le suivi à l’extérieur du domaine sportif, les caractéristiques du jeune (par exemple, sa croyance dans le fait que ces habiletés peuvent être valables dans d’autres domaines, sa compréhension de la démarche de transfert des apprentissages ou sa volonté d’explorer d’autres rôles que celui de sportif) ou encore, les stratégies des intervenants. Toutefois, nous n’avons pas trouvé d’études portant sur des jeunes qui vivent dans un contexte difficile et qui manifestent des problèmes psychosociaux.

Évaluation formative et sommative

Le programme Bien dans mes baskets s’est développé en réponse aux besoins de la communauté et en accord avec l’attrait des jeunes pour le basketball. Il vise à développer chez les athlètes-élèves des habiletés de vie, personnelles et interpersonnelles, transposables dans leur vie scolaire, familiale et communautaire et devrait contribuer à prévenir le décrochage scolaire et la délinquance des jeunes.

Le projet de recherche1 comporte une évaluation formative et sommative et allie méthodologies qualitative et quantitative. La recherche cible particulièrement les jeunes et les instructeurs-intervenants tandis que la famille et la communauté sont étudiées à travers la perception qu’en ont les jeunes et les intervenants.

L’évaluation formative compte trois volets et permettra de documenter les freins et les facteurs qui facilitent la mise en œuvre du programme Bien dans mes baskets. Des entretiens semi-dirigés auprès d’intervenants et de jeunes permettront d’explorer les expertises des instructeurs-intervenants et leur rôle dans le développement des jeunes. Seront discutés les points forts et les points faibles des interventions, les améliorations souhaitées ainsi que les interventions qui sont davantage significatives auprès des jeunes. Les facteurs qui facilitent le transfert des apprentissages faits par les jeunes en contexte sportif, à leur vie au sein de l’école, de leur famille et de la communauté seront également abordés.

Le dernier volet de l’évaluation formative est constitué d’éléments pertinents tirés des tests repérés lors de la recension des écrits et qui seront soumis en questionnaires à trois sous-échantillons d’élèves de l’école, soit un groupe d’étudiants référé pour une intervention psychosociale, un groupe d’étudiants qui participent à une autre activité parascolaire que le basketball au sein de l’école et la totalité des athlètes-étudiants de Bien dans mes baskets. La comparaison des résultats permettra de mettre en évidence l’impact potentiel du programme Bien dans mes baskets par rapport à un programme sportif sans intervention psychosociale et une intervention psychosociale sans programme sportif.

En ce qui a trait à l’évaluation sommative, elle comporte deux volets et permettra notamment de répondre aux questions suivantes. Dans quelle mesure le programme contribue‐t‐il au développement des habiletés de vie des jeunes, et ce, tant au plan personnel qu’au plan interpersonnel ? Dans quelle mesure le programme contribue‐t‐il à la valorisation des jeunes au sein de l’école, à leur sentiment d’appartenance à l’école, à leur persistance scolaire et à leur implication dans le développement de la communauté ainsi qu’à la cohésion jeunes‐familles‐communauté ? Quelles sont les caractéristiques et ressources requises pour l’implantation fructueuse d’un programme analogue dans un autre milieu scolaire ?

Le premier volet, de nature qualitative, permettra d’explorer l’impact du programme Bien dans mes baskets grâce à des entretiens semi-dirigés auprès de jeunes ayant participé au programme et qui ont terminé leurs études secondaires. Le deuxième volet, une évaluation quantitative, sera réalisé en avril 2011 et 2012 afin de fournir une perspective longitudinale ainsi que de vérifier et valider les résultats obtenus en 2010, notamment sur les habiletés de vie. De plus, afin d’évaluer l’impact du programme Bien dans mes baskets sur le plan de la persévérance scolaire, nous comparerons le taux de persévérance scolaire des athlètes-étudiants au taux de persévérance des étudiants de l’ensemble de l’école sur trois ans.

L’échéancier prévoit pour l’instant la rédaction du rapport final, la rédaction d’articles pour publication dans des périodiques scientifiques ainsi que des activités de transfert de connaissance pour août 2013.

Notes

1. Ce programme ainsi que cette recherche reçoivent l’appui financier de la Fondation Lucie et André Chagnon.

Références

Bailey, R., Armour, K., Kirk, D., Jess, M., Pickup, I. et R. Sandford (2009). « The educational benefits claimed for physical education and school sport: an academic review », Research Papers in Education, 24(1) : 1‐27.

Danish, S., Petitpas, J., Albert J. et B. D. Hall (1993). « Life development intervention for athletes’ life skills through sports », The Counseling Psychologist, 21(3) : 352‐385.

Darling, N., Caldwell, L. L. et R. Smith (2005). « Participation in school‐based extracurricular activities and adolescent adjustment », Journal of Leisure Research, 37(1) : 51‐76.

Eitle, T. M. et D. J. Eitle (2002). « Race, cultural capital, and the educational effects of participation in sports », Sociology of Education, 75(2) : 123‐146.

Faircloth, B. S. et J. V. Hamm (2005). « Sense of belonging among High school students representing four ethnic groups », Journal of Youth and Adolescence, 34(4) : 293‐309.

Fejgin, N. (1994). « Participation in High School mission or contribution to academic goals ? », Sociology of Sport Journal, 11 : 211‐230.

Field, T., Diego, M. et C. E. Sanders (2001). « Exercise is positively related to adolescents’ relationships and academics », Adolescence, 36(141) : 105‐110.

Guest, A. et B. Schneider (2003). « Adolescents’ extracurricular participation in context: The mediating effects of schools, communities, and identity », Sociology of Education, 76(2) : 89‐109.

Hoffman, M., Richmond, J., Morrow, J. et K. Salomone (2002). « Investigating “sense of belonging” in first‐year college students », Journal of College Student Retention, 4(3) : 227-256.

Holt, N. L., Mandigo, J. L. et K. R. Fox (2008). « Do youth learn life skills through their involvement in high school sport ? A case study », Canadian Journal of Education, 31(2) : 281‐304.

Hyatt, R. (2003). « Barriers to persistence among African American intercollegiate athletes: A literature review of non‐cognitive variables », College Student Journal, 37 : 260‐275.

Jones, M. I. et D. Lavallée (2009). « Exploring the life skills needs of British adolescent athletes », Psychology of Sport and Exercise, 10 : 159‐167.

Jordan, W. J. (1999). « Black high school students’ participation in school‐sponsored sports activities: Effects on school engagement and achievement », Journal of Negro Education, 68(1) : 54‐71.

Leppel K. (2005‐2006). « The impact of sport and non‐sport activities on college persistence of Freshmen », Journal of College Student Retention, 7(3‐4) : 165‐188.

Ma, X. (2003). « Sense of belonging to school: Can schools make a difference ? », The Journal of Educational Research, 96(6) : 340‐349.

MacPhail, A., Kirk, D. et G. Kinchin (2004). « Sport education: Promoting team affiliation through physical education », Journal of Teaching Education, 23 : 106‐122.

Miller, K. E., Melnick, M. J, Barnes, G. M, Farrell, M. P. et D. Sabo (2005). « Untangling the links among athletic involvement: Gender, race, and adolescent academic outcomes », Sociology of Sport Journal, 22 : 178‐193.

Newman, B. M., Lohman, B. J. et P. R. Newman (2007). « Peer group membership and a sense of belonging: their relationship to adolescent behavior problems », Adolescence, 42(166) : 241‐263.

Papacharisis, V., Goudas, M., Danish, S. J. et Y. Theodorakis (2005). « The effectiveness of teaching a life skills program in a sport context », Journal of Applied Sport Psychology, 17(3) : 247‐254.

Videon, T. M. (2002). « Who plays and who benefits: Gender, interscholastic athletics, and academic outcomes », Sociological Perspectives, 45(4) : 415‐444.

Walseth, K. (2006). « Sport and belonging », International Review for the Sociology of Sport, 41(3) : 447‐464.

Yin, Z. N et J. B. Moore (2004). « Re‐examining the role of interscholastic sport participation in education », Psychological Reports, 94(3) : 1447‐1454.