« On a institué un accompagnement pour que j’aille avec lui dans ses cours. Je lui montrais des techniques de relaxation, de respiration… d’être présente avec lui, pour évaluer son état physique de stress avant son cours et après son cours. Des fois, on n’ose pas demander de l’aide parce qu’on est gêné ou on a honte, et on pense qu’on va être capable. Mais quand des fois on se retrouve avec toute l’anxiété et le rush de la mi-session, c’est là que, des fois, on abandonne, puis qu’on se retrouve en situation d’échec. »
Esther Thibeault, Paire-aidante
Cette section permet de mieux comprendre comment s’articule le passage entre le vécu, le savoir expérientiel et les compétences mobilisées par les pairs-aidants. Le contenu sera utile pour les gestionnaires qui souhaitent plus activement prendre en compte le bagage des pairs-aidants, par exemple, lors de l’embauche et la supervision clinique. Cette section permettra également aux gestionnaires d’apprendre sur les bénéfices documentés dans la littérature en ce qui a trait à la présence des pairs-aidants pour les patients, les professionnels et le réseautage plus large au sein du RSSS.
Dans cette capsule, Esther Thibeault, paire aidante, raconte une intervention dans laquelle elle a mobilisé son expérience pour accompagner une personne qui traversait une épreuve proche de celle qu’elle avait vécue.
« Les gestionnaires ont parfois cette question en tête : comment reconnaître ces savoirs expérientiels, identifier ces compétences ? Il est possible d’avoir en entretien une liste de questions à poser qui permet de voir que la personne a développé ces savoirs expérientiels pour elle-même. [Q]uand on la met dans une situation clinique avec une vignette clinique (…), on peut observer ce que la personne fait : est-ce qu’elle plaque son vécu, est-ce qu’elle propose des outils qu’elle a déjà expérimentés, est-ce qu’elle pose des questions qui visent à expliciter comment la personne accompagnée se sent et est-ce qu’elle propose un plan qui permet de cheminer avec la personne ? »
Baptiste Godrie, Chercheur
Dans cette deuxième capsule, Baptiste Godrie, chercheur au CREMIS s’appuie sur ses travaux de recherche (Godrie, 2017a et b ; Godrie, 2020) ainsi que sur la littérature scientifique pour illustrer le passage du vécu aux compétences d’aide que les pairs-aidants peuvent mobiliser dans leur travail.
Pour approfondir le sujet, il est également possible de se rapporter à l’entrevue réalisée par Rachel Benoit avec Baptiste Godrie et Benoît St-Pierre, pair aidant portant sur l’apport des savoirs expérientiels à la recherche et à l’intervention dans le champ de la santé mentale.
Éléments clés à retenir:
Les trois notions de vécu, savoirs expérientiels et de compétences sont à distinguer. Les pairs-aidants ont des compétences, c’est-à-dire des savoirs expérientiels qu’ils tirent leur parcours de vie (vécu) et qu’ils mobilisent pour accompagner leurs pairs vers un mieux-être. Ces compétences sont spécifiques aux pairs-aidants, car liées à leur parcours de vie et au partage de leur vécu auprès des personnes qu’ils accompagnent, et complémentaires à celles de leurs collègues.
Il est important de distinguer formation professionnelle préuniversitaire et universitaire (des pairs-aidants le cas échéant, comme de leurs collègues professionnels) et compétences en relation d’aide ancrée dans des savoirs expérientiels. Les pairs-aidants peuvent être des intervenants compétents sans nécessairement détenir un diplôme préuniversitaire ou universitaire en intervention psycho-sociale. Des intervenants mobilisent des compétences d’accompagnement qu’ils tirent de leur formation et de leur expérience professionnelle sans nécessairement avoir eux-mêmes vécu la situation.
Lors de l’embauche, puis lorsque les pairs-aidants sont en poste, il est possible de repérer ces compétences d’intervention et de les soutenir par la suite dans le renforcement de ces compétences d’intervention par la supervision et la formation continue. Par exemple, lors de l’embauche il est possible d’intégrer à la grille d’entretien des questions et des mises en situation afin de voir comment réagissent les candidats.
Les pairs-aidants ne remplacent pas les autres professionnels et ne sont pas des intervenants à bas coût. Ils sont des intervenants comme les autres, avec un rôle à part entière dans les équipes et une obligation de respect des balises éthiques dans leur intervention (confidentialité des données, par exemple). Cependant, les pairs-aidants avec une spécificité : ils sont présents principalement en raison de leur vécu et des compétences d’intervention qu’ils ont pu élaborer à partir de ce vécu. Certains d’entre eux ont des formations préuniversitaires ou universitaires dans l’intervention psychosociale et/ou suivent des formations continues qui s’ajoutent aux savoirs qu’ils peuvent mobiliser.
Pour cette raison, il est important de placer les pairs-aidants dans un contexte dans lequel ils peuvent mobiliser leurs savoirs expérientiels et les compétences d’intervention que ce soit auprès des gestionnaires si l’on pense à l’organisation des services sociaux et des soins de santé, et auprès de leurs collègues et des personnes accompagnées si l’on se réfère à la pratique. Leur capacité d’action est donc liée à l’autonomie professionnelle dont ils disposent autant qu’à l’accompagnement dont ils bénéficient dans les équipes.
Les pairs-aidants partagent un vécu commun avec les usagers auprès desquels ils interviennent. Mais cela ne signifie pas qu’ils représentent les usagers. La présence de pairs-aidants dans une organisation ne dispense donc pas de consulter les usagers, de s’adresser aux comités d’usagers (le cas échéant) ou encore de travailler de manière ponctuelle avec des représentants d’usagers ou des usagers partenaires sur des dossiers spécifiques (qualité et sécurité des services et des soins, interventions innovantes, lutte contre la stigmatisation, etc.).
Connaissez-vous les bénéfices de la présence des pairs-aidants ?
Avant de rentrer dans les enjeux opérationnels (le comment de l’embauche, dans la section suivante), vous trouverez ici quelques-uns des bénéfices liés à la présence des pairs-aidants dans les soins et services institutionnels de santé mentale. Il peut s’agir de bénéfices pour les personnes accompagnées par les pairs-aidants, pour leurs collègues et pour les pairs-aidants eux-mêmes. Parmi ceux-ci, on peut nommer :
- Le partage du vécu contribuerait à redonner de l’espoir aux personnes accompagnées;
- La présence de pairs-aidants contribue à ce que les institutions reflètent davantage la diversité des publics à qui elles offrent des soins et services, et à ce que les personnes accompagnées soient davantage impliquées dans la décisions qui les concernent;
- Le travail pair est susceptible de déplacer le regard médical porté sur les symptômes des personnes à un regard plus social sur leur qualité de vie et leur bien-être. Le croisement de la perspective des pairs-aidants avec celles de leurs autres collègues favorise le développement de nouveaux plans d’intervention auprès des personnes;
- La présence d’un ou de plusieurs pairs-aidants dans des équipes contribuerait à prévenir les crises et/ou la fréquence et la durée des hospitalisations chez les personnes accompagnées;
- Par le partage de son expérience et de ses savoirs expérientiels, le soutien par les pairs favorise une meilleure maitrise des symptômes par les personnes accompagnées, ainsi qu’une meilleure qualité de vie;
- Les pairs-aidants ont une bonne connaissance des ressources communautaires et d’entraide, ce qui peut faciliter les références des personnes accompagnées vers des soins et services complémentaires;
- Les pairs-aidants jouent également un rôle dans l’adoption d’un langage moins stigmatisant à l’égard des personnes accompagnées.