Pairs-aidants en santé mentale: de quoi parle-t-on ?

« Le pair-aidant est là comme complémentarité, pour faire des accompagnements. Je peux faire des rencontres de suivi individuel, je peux aller parler aux gens sur l’unité, je fais des groupes de rétablissement, des groupes de marche. J’arrive parfois à désamorcer des bombes. (…) ça les encourage que, oui, tu peux t’en sortir »

Esther Thibeault, Paire-aidante

« C’est aussi le modèle d’espoir, en tant que pair-aidante, que je veux donner »

Patricia Clavet, Paire-aidante

« Être capable d’accompagner le patient dans cette expérience traumatisante en lui disant : « Ne t’inquiète pas, les gens sont là pour essayer de t’aider. » C’est vraiment ce côté humain qui a vraiment beaucoup changé [avec leur présence] »

Cedric Andres, Psychiatre

Plusieurs gestionnaires évoquent le manque d’information à propos des pairs-aidants comme l’un des obstacles majeurs à leur embauche dans les institutions de la santé et des services sociaux. Cette section présente un panorama de l’intervention des pairs-aidants en santé mentale. Elle permet aux gestionnaires d’évaluer leurs propres connaissances à propos du sujet et d’obtenir des informations de base sur le rôle des pairs-aidants. Si ce n’est pas déjà fait, il est recommandé de visionner la capsule « L’intervention par les pairs en santé mentale » 

En donnant la parole à des pairs-aidants, des collègues intervenants et gestionnaires, et à un chercheur universitaire, cette capsule illustre le rôle des pairs-aidants et leur contribution à la dispensation et à la qualité des soins et services offerts aux personnes. En effet, la présence des pairs-aidants dans les services sociaux et soins de santé mentale institutionnels soulève plusieurs enjeux sociaux et politiques d’importance :

  • Des personnes qui vivent actuellement ou ont vécu une importante détresse psychologique sont en mesure d’accompagner des personnes qui vivent des situations similaires. Les rôles sociaux de personnes malades/en santé, de personnes soignées/soignantes, de professionnels/profanes ne sont donc pas définitivement assignés;
  • Ce faisant, les pairs-aidants contribuent à ce que les institutions reflètent davantage la diversité des publics à qui elles offrent des soins et services;
  • La présence de pairs-aidants favorise, en plus du regard médical porté sur les symptômes des personnes, un regard plus social sur leur qualité de vie et leur bien-être.

Pouvez-vous décrire en quelques mots ce que sont les pairs-aidants et leur rôle?

Ce dossier traite du soutien intentionnel, formel et salarié apporté par les pairs-aidants dans le champ de la santé mentale. De manière générale, un pair procure un soutien social et émotionnel à d’autres personnes avec lesquelles il a un vécu commun. Dans le cas des pairs-aidants, il s’agit de personnes qui vont apporter un soutien à leurs pairs dans le cadre d’un travail rémunéré, souvent au sein d’équipes multidisciplinaires dans les institutions publiques et les organismes communautaires du réseau de la santé et des services sociaux.

Les pairs-aidants occupent différents postes – intervenants dans des équipes de suivi d’intensité variable / suivi intensif dans le milieu ou auprès des familles et des proches, par exemple – et effectuent différents types de suivi : intervention individuelle au bureau ou à domicile, accompagnement à des rendez-vous auprès de professionnels de la santé, organisation d’ateliers sur diverses thématiques.

Ce qui distingue les pairs-aidants des leurs autres collègues salariés, c’est que la divulgation de leur problème de santé mentale fait partie de leur emploi. Une personne peut occuper un poste de pairs-aidants si elle a elle-même vécu des problèmes de santé mentale, ou de pairs-aidants famille si elle est un membre de l’entourage d’une personne ayant des problèmes de santé mentale.

Les pairs-aidants sont également à distinguer des concepts d’usagers partenaires (qui sont des personnes dont les savoirs expérientiels et compétences sont reconnues dans leur propre parcours de soins et de services sociaux) et d’usagers ressources (qui sont des personnes qui collaborent de manière ponctuelle au développement des pratiques cliniques et organisationnelles en offrant une perspective d’usager).

Au Québec, le programme Pairs aidants réseau définit les candidats au rôle de pairs-aidants à partir des critères suivants :

  • Vivre ou avoir vécu un problème de santé mentale ;
  • Vivre l’expérience du rétablissement et y être bien ancré depuis minimalement deux ans en ayant, entre autres, acquis une stabilité et une autonomie sur le plan de son fonctionnement en général ;
  • Se sentir prêt à dévoiler son expérience de vie en lien avec son trouble mental et son rétablissement ;
  • Avoir eu une expérience de travail ou d’implication pertinente, par exemple dans une association d’usagers en défense des droits ou des intérêts, comités d’usagers, création ou prestation de services par les usagers (animation de groupes d’entraide, témoignages, interventions auprès de ses pairs, etc.).

En France, les médiateurs de santé/pairs (terme équivalent à celui de pairs-aidants au Québec) sont définis comme des personnes « en capacité de travailler; ayant une expérience en tant qu’utilisateurs des services de santé mentale; qui ont décidé d’entamer un parcours de professionnalisation dans le domaine de l’aide et de la médiation en santé mentale; qui jouent un rôle de facilitateurs de santé, intégrés dans les équipes de santé mentale.

Les pairs-aidants ont-ils une formation ?

Les pairs-aidants s’appuient dans leur travail sur un ensemble d’expériences et de savoirs liés au fait de vivre ou d’avoir vécu des problèmes de santé mentale et de vivre un processus de rétablissement. La formation dont ils bénéficient en tant que pairs-aidants va, par la suite, les familiariser avec un ensemble d’outils d’intervention (par exemple, le Plan d’action pour le rétablissement de la santé – PARS), permettre de confirmer qu’ils ont le recul nécessaire sur leur parcours de vie et savent le mettre à profit dans l’accompagnement de leurs pairs. Cette formation est assortie d’un stage dans un milieu de pratique. Par la suite, comme tous les autres employés, ils peuvent suivre des formations continues thématiques en lien avec leur emploi. Les pairs-aidants participent également parfois à une communauté de pratiques avec d’autres pairs-aidants.

Connaissez-vous des initiatives qui s’appuient sur les pairs-aidants?  

La mobilisation du vécu et des savoirs expérientiels pour soutenir des personnes qui vivent ou ont vécu des expériences similaires a des racines historiques riches et profondes dans le champ de la santé mentale. On peut penser aux groupes de soutien sur le modèle des Alcooliques Anonymes qui ont vu le jour dès les années 1930 aux États-Unis. Par la suite, on a vu apparaître d’autres initiatives connexes au sein des groupes d’entraide, notamment à partir des années 1970, de manière complémentaire ou alternative par rapport aux soins psychiatriques institutionnels.

Au Québec, dès les années 1980 des pairs-aidants sont employés en tant que salariés dans des organismes communautaires dans différents champs d’intervention comme le travail du sexe, le travail de rue, l’intervention en dépendance ou encore auprès de personnes ayant le VIH/Sida.

Le soutien intentionnel, formel et salarié par les pairs dans les institutions publiques dont il est question dans ce dossier s’est, en revanche, développé plus récemment. À l’international, les premières expériences de pairs-aidants salariés ont ainsi été initiées aux États-Unis, avec le soutien de l’Association Nationale des Directeurs de Programmes d’États pour la Santé Mentale (National Association of State Mental Health Program Directors) qui a financé un programme d’embauche de travailleurs pairs-aidants dès 1989.

Au Québec, l’emploi de pairs-aidants en tant qu’intervenants à part entière dans des institutions de la santé et des services sociaux est, quant à lui, plus récent. En mars 2006, l’Association québécoise pour la réadaptation psychosociale (AQRP) dépose, à la demande du Ministère de la Santé et des services sociaux (MSSS) du Québec, une proposition visant à « établir et à mettre en œuvre une stratégie efficace pour favoriser l’embauche et l’intégration des personnes utilisatrices de services de santé mentale comme intervenants pairs aidant au sein des équipes de suivi intensif du système de santé mentale québécois » (Harvey, 2006). La première cohorte de pairs-aidants en santé mentale est formée en 2008 par le programme Pairs aidants réseau de l’AQRP.

Selon vous, quel est le portrait de l’intégration des pairs-aidants au Québec?

Actuellement, plus d’une centaine de pairs-aidants sont employés dans des organismes communautaires et des institutions publiques du réseau québécois de la santé et des services sociaux de la première à la troisième ligne.

En dépit de cette présence, ce nombre se situe en deçà des objectifs visés par le Ministère de la Santé et des Services sociaux dans son plan d’action 2015-2020, Faire ensemble et autrement, qui recommande l’intégration de pairs-aidants dans au moins 30 % des équipes de suivi d’intensité variable et dans 80% des équipes de suivi intensif dans le milieu (MSSS, 2015).

Aujourd’hui, le développement du travail pair institutionnel est un mouvement international qui touche une diversité de champs d’intervention du social et de la santé. Par exemple, en France, le développement du travail pair est l’une des priorités d’action du Plan quinquennal 2018-2022 pour le Logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme. En Belgique francophone, un nombre croissant de salariés ayant connu la pauvreté sont embauchés dans les institutions publiques en tant qu’experts du vécu afin de réduire les barrières administratives rencontrées par les personnes en situation de pauvreté pour accéder aux droits sociaux fondamentaux.