Récits de femmes et vieillissement : Vivre sa citoyenneté

Dans les années 1990, les théories psychosociales et biomédicales du vieillissement réussi (Sucessful Aging) ou du vieillissement productif (Productive Aging) aux États-Unis, ainsi que le vieillissement actif qui émerge en Europe, proposent différents modèles autour du principe, de plus en plus dominant, d’un «bien vieillir» (Moulaert et al., 2012). En 2002, l’Organisation mondiale de la Santé fait du vieillir actif la pierre angulaire de son cadre de référence en matière de vieillissement. En 2012, la politique québécoise Vieillir et vivre ensemble, chez soi, dans sa communauté, au Québec (Gouvernement du Québec, 2012) reprend à son tour ce cadre référentiel, basé sur trois piliers: la santé, la participation et la sécurité des personnes âgées. La citoyenneté « active » des personnes âgées se pose comme un enjeu crucial du XXIe siècle (Walker, 2002; WHO, 2002).

C’est dans ce contexte occidental que se déploie un discours promouvant l’activation lors du vieillissement (Marchand et al., 2014). Ce discours, à caractère moralisateur selon d’aucuns, enjoint les personnes aînées à «rester ‘actives’ socialement, politiquement et professionnellement» (Steiner, 2012, p. 2). Or, les notions d’activité et de citoyenneté ne sont ni anhistoriques, ni asexuées, ni apolitiques: elles sont traversées par des rapports de pouvoir. Rappelons que jusqu’aux années 1960-1970, la grande majorité des femmes est déclarée inactive puisque l’essentiel de leur activité se déroule dans la sphère privée, où ces femmes ont la responsabilité des soins (du care) du conjoint, des jeunes et des vieux (Lewis, 2007). Plusieurs femmes âgées ont donc été considérées comme «inactives», car hors du marché de l’emploi1. La trajectoire de la retraite-vieillissement a, en l’occurrence, été construite selon un modèle masculin (Charles, 2007), tout comme la notion de l’activité ainsi que les classifications dominantes qui en découlent (actif/inactif) (Marchand et al., 2013).

Dans la même logique, la citoyenneté a été construite sur le principe du citoyen-travailleur: les femmes mariées ont longtemps bénéficié d’une citoyenneté par extension à celle de leur mari. Par conséquent, l’accès à des droits sociaux, comme celui de la retraite, dépendait du statut de salarié du conjoint (Jenson, 2011; Walby, 1994 ). Les travaux de chercheures féministes se sont en ce sens attelés à déconstruire le modèle dominant de la citoyenneté moderne, notamment celui de Marschall (1963), en problématisant l’exclusion historique des femmes du domaine public et de la citoyenneté, aussi édifié sur un archétype masculin2 (Lister, 1997; Walby, 1994). La séparation des sphères privée et publique et son corollaire, la division sexuelle du travail, ont été des points pivots pour réarticuler le concept de la citoyenneté afin de penser l’inclusion des femmes.

Citoyenneté vécue

C’est à la lumière des construits sociaux de la citoyenneté et de l’activité dans le vieillissement que je me suis intéressée, dans mes travaux doctoraux, aux pratiques du quotidien de femmes aînées afin de comprendre les modalités par lesquelles elles vivent leur citoyenneté dans l’avancée en âge, et ce, dans une économie politique dominée par le vieillir actif. Mes travaux s’articulent autour de ma typologie de la citoyenneté «vécue»3 dans l’avancée en âge, élaborée à partir de l’activité de la vie quotidienne. À l’aide d’une méthodologique basée sur une approche narrative et la réalisation de 20 récits de vie auprès de femmes âgées de 60 ans et plus4, les quatre figures de citoyenneté proposées permettent de mieux comprendre comment les répondantes construisent leurs rapports à la citoyenneté dans le vieillir, pérennisent leur identité citoyenne et, surtout, se maintiennent dans le lien social.
En s’inspirant de la modélisation de la citoyenneté «active» de Jensen et Pfau-Effinger (2005), nous déclinons quatre figures de la citoyenneté «vécue». Par-delà la description des pratiques de la vie quotidienne, nous avons cherché à cerner les finalités d’action, c’est-à-dire le sens de l’agir quotidien, et ce, afin de mieux cerner les divers types d’engagements investis dans l’avancée en âge. En témoignant ainsi des modalités du «faire» (l’action au quotidien), ainsi que de «l’être» (le sens de l’action), les résultats révèlent les modes ou processus par lesquels les femmes aînées se reconnaissant comme des citoyennes à part entière, ancrées dans une collectivité donnée.  Bien que ces figures soient décrites distinctement à des fins d’intelligibilité afin de mieux cerner les différentes dimensions comprises dans l’expérience de la citoyenneté des répondantes, dans la réalité de la vie quotidienne, elles s’enchevêtrent souvent.

Emploi

«La retraite? Très peu pour moi!»

La première figure de la citoyenneté vécue renvoie aux répondantes travaillant à temps complet, pour qui la profession occupe une place centrale dans la vie quotidienne : «Ce qui résume ma vie, c’est le travail», dira Hélène (61 ans). Ces travailleuses âgées aspirent à travailler «aussi longtemps que possible», car l’idée de la retraite ne séduit pas, comme l’illustrent les propos de Suzanne : «La retraite, ça ne me plait pas, ça égale à l’ennui […]. Mon objectif, ce n’est vraiment pas de me bercer» (Suzanne, 60 ans). Pour ces répondantes, issues de différents milieux socioéconomiques, et occupant des emplois dans les secteurs de l’éducation et des arts, la continuité du travail rémunéré dans l’avancée en âge est un facteur central de leur engagement dans la société et de leur sentiment de contribution sociale. L’emploi représente d’ailleurs un lieu important d’inclusion sociale et institutionnelle en procurant «une certaine forme de visibilité sociale» (Grenier, 2009). De ce fait, la poursuite du travail rémunéré permet de se maintenir dans le lien social, de contribuer à la société et de transmettre ses connaissances.

Qu’elles soient ou non à la retraite, le travail joue un rôle central dans la construction d’une identité citoyenne pour les répondantes. La plupart des femmes interrogées ont pu avoir accès au travail rémunéré et, ce faisant, à des droits sociaux relatifs au statut de citoyennes à part entière, et non à une citoyenneté par extension au mari travailleur, comprise dans l’ancien modèle de «l’homme gagne-pain» (Lister, 1997; Walby, 1994). Les récits montrent l’autonomie que ces femmes ont acquise au tournant des années 1980, libérées des tutelles économiques et juridiques, lorsqu’elles ont investi le marché du travail, «pour ne plus dépendre de personne» (Pauline, 64 ans) ou encore parce qu’elles devaient «se remonter les manches et gagner leur vie» après un divorce. L’accès au marché du travail a représenté un mécanisme important d’individuation dans l’accès à la citoyenneté, puisqu’il a permis leur «reconnaissance comme sujets au-delà des rôles assignés [de mères et d’épouse]» (Marques-Pereira, 2003, p. 20).

Participation civique

«Ne pas être une boomer assise sur sa petite vie tranquille de loisirs»

La seconde figure de citoyenneté renvoie aux pratiques de participation ou d’engagements civiques au sein de milieux associatifs ou de mouvements sociaux. Les participantes impliquées dans l’action militante ou de défense de droits se posent ici comme des citoyennes de «devoirs», éprises de valeurs d’égalité et de justice sociale. Pour elles, le vieillissement et la sortie de carrière ne justifient en rien le fait de se désengager des lieux de participation civique, lieux qu’elles ont d’ailleurs investis toute leur vie. S’inscrivant ainsi dans la continuité de leur trajectoire, leurs récits laissent voir une forme d’héritage symbolique de la participation civique. Par exemple, pour Loraine (63 ans) rester active implique «d’être au front», de maintenir «l’engagement communautaire et social qu’[elle] a toujours eu». Pour ces femmes engagées, il s’avère impensable, à la retraite, de s’«asseoir sur [s]a galerie à regarder les choses qui passent». Le profil des répondantes engagées dans l’action civique est relativement homogène: il s’agit de femmes de classe moyenne à supérieure, mariées ou en couple, détenant au moins un diplôme universitaire et ayant occupé des emplois qualifiés.

Déterminant dans leurs conceptions du vieillissement, les pratiques de participation civique permettent aux répondantes de se poser comme un sujet agissant sur les enjeux collectifs de justice sociale. Les significations attachées à leurs actions (i.e combattre les inégalités, transmettre les savoirs acquis, être utile, contribuer à la société) expriment l’importance qu’elles accordent au rôle de l’individu citoyen, par-delà l’âge et le vieillissement. La participation civique permet ainsi «de ne pas jeter la serviette» et de «rester sur les rails de la vie active», malgré l’avancée en âge. Dans cette perspective, leurs pratiques incarnent bien la dimension politique d’une citoyenneté, laquelle présuppose que l’individu citoyen participe à l’ensemble des sphères économique, sociale et politique, de la société civile (Marshall, 1963).

Prendre soin

«Perpétuer le don de soi pour les autres»

À la fois disposition, attitude de sollicitude et engagement envers autrui (Brugère, 2010), le care, comme troisième figure de la citoyenneté vécue, regroupe un ensemble de pratiques qui font partie de la vie quotidienne de toutes les répondantes. Prenant comme point d’assise «le besoin des autres» (Tronto,1993), les pratiques de care des répondantes se déclinent sous les formes suivantes : prendre quotidiennement soin d’un proche; s’engager dans la grand-parentalité; offrir régulièrement de l’aide à son entourage et, finalement, s’impliquer comme bénévole dans un organisme philanthropique ou religieux. Les pratiques de care regroupent des femmes aux profils variés: des femmes aux conditions de vie précaires, d’autres issues de la large classe moyenne et de milieux nantis. Il peut s’agir de femmes très scolarisées (études universitaires supérieures) ou de femmes n’ayant pas de diplôme d’études secondaires, habitant dans la métropole, dans une ville de région ou en milieu rural. Précisons aussi que des répondantes présentant des conditions de santé ou de mobilité amoindries s’impliquent dans des pratiques de care soutenues dans le temps. Les finalités d’action relevées sont diverses : le besoin de relations authentiques, la nécessité de la transmission intergénérationnelle (i.e. la générativité selon Erikson et Erikson (1981)), l’importance du don, la pérennisation des valeurs familiales ainsi que le maintien dans le lien social.

À cet égard, les récits rendent compte du caractère actif du care, surtout lorsqu’il est mis en opposition à l’inertie sous-tendant l’inactivité et le désengagement social. Dans les classifications traditionnelles, c’est par le travail productif visant une activité marchande que s’évalue l’activité/inactivité du citoyen (Ramos, 2012). Or, appréhender l’agir du care comme un processus actif visant à «maintenir, perpétuer et réparer notre ‘monde’» (Tronto, 1993, 2013) permet à l’inverse «de rassembler et de rendre cohérentes une série d’activités qui, autrement, paraissent fragmentées, marginalisées, parce qu’elles sont ‘contenues’ dans des ‘frontières morales’ (moral boundaries) qui réduisent l’importance du care pour l’entretien de la vie humaine» (Paperman, 2015, p. 37).

Dès lors, l’enjeu théorique réside dans l’inscription du care, compris comme un éventail de pratiques, dans une forme de citoyenneté sociale. La citoyenneté, telle que vécue au quotidien, ne serait pas qu’un ensemble de droits, de responsabilités et de devoirs, mais aussi un assortiment de relations et de processus permettant aux individus et aux groupes d’être inclus (ou exclus) dans une communauté (Lewis, 2004). C’est à travers les notions d’interdépendance, de réciprocité, de responsabilisation face à autrui et au bien-être de la communauté que la citoyenneté du care peut s’actualiser (Sevenhuijsen, 2003). Appréhendée ainsi, la citoyenneté devient plus subjective, ancrée au sein d’une toile de relations, entre le proche et la communauté, permettant à l’individu, en l’occurrence aux femmes aînées, de se poser comme actrices agissantes sur le monde pour assurer sa continuité.

Entre liberté et proximité

«J’ai assez donné!»

Une quatrième et dernière figure de la citoyenneté se distingue dans les récits. Il s’agit d’une figure bicéphale qui oppose deux modalités de la vieillesse-retraite, définies comme : la retraite-liberté et la retraite de proximité. D’un côté, il s’agit de répondantes qui ont effectué une sortie de carrière volontaire et qui se tiennent loin de lieux de participation civique et bénévole, estimant «avoir assez donné». Ces dernières disposent de revenus se situant entre la classe inférieure et moyenne, mais possèdent toutes un bon capital social et de santé. Elles se disent actives par leurs loisirs, le sport et les «petits plaisirs» de la vie privée. Aussi engagées dans les pratiques de care, notamment celles auprès des petits-enfants, elles considèrent que c’est là «leur bénévolat».

Les finalités d’action qui les animent se résument dans une quête de liberté. «Moi, je n’y crois pas à la société et à la politique», lance une femme qui se décrit comme «égoïste et individualiste», car elle ne veut être assujettie à aucune contrainte qui l’empêcherait de jouir de sa retraite. Elles rejoignent ainsi cette image contemporaine, dans les sociétés libérales, «du citoyen consommateur» (Johansson et Hviden, 2013), davantage tournée vers la vie privée, la satisfaction et le bien-être personnel ainsi que la consommation de services et de loisirs.

D’un autre côté, restant aussi en périphérie des engagements civiques, nous retrouvons les quelques cas de femmes défavorisées et fragilisées, en raison de leurs conditions de vie et de leur état de santé. Aussi limitées par leurs conditions matérielles, elles cumulent peu de capital social, et n’entretiennent pas la quête de liberté précédemment évoquée. Elles vivent une retraite de proximité, confinée la plupart du temps aux activités accomplies dans le privé et dans les sphères de proximité. Se décrivant aussi comme de «bonnes citoyennes», elles «vivent au jour le jour», sans «demander plus que ce qu’elles ont». Elles se maintiennent ainsi précairement dans le lien social, malgré ruptures successives vécues dans la trajectoire. Des enjeux structuraux manifestes traversent leurs témoignages et limitent en réalité leur accès à certains droits sociaux de la vieillesse, qui devraient les protéger contre l’insécurité économique, voire la pauvreté.

Citoyennetés dominantes versus relationnelles

En prenant appui sur la dernière figure et les répondantes aux conditions de vie plus précaires, on se rend compte que le choix d’action et d’engagements sociaux peut rester limité, en raison des inégalités sociales et de santé, ainsi que par l’absence d’opportunités qui traversent les parcours de vie. De fait, les trajectoires montrent que différents facteurs réduisent les possibilités de participation sociale : la sortie du monde de l’emploi, ici imposée et abrupte en raison des conditions de santé, la précarité socioéconomique vécue tout au long de la vie, la rupture progressive avec le réseau social dans l’avancée en âge et le capital social évanescent, ainsi que les états psychologiques et physiques vécus dans le processus de fragilisation. Des décalages sont ainsi présents entre un discours dominant sur le vieillir et la citoyenneté que l’on souhaite aussi «active», lesquels supposent une certaine maitrise de son bien vieillir, à la fois sur le plan physique, émotionnel, moral et socioéconomique.

Dans cette perspective, les figures tracées de la citoyenneté révèlent aussi des tensions entre des formes de citoyennetés dominantes et des citoyennetés que j’ai nommées relationnelles, relevant du lien social et du souci de l’autre. En ce qui concerne les premières, rappelons d’abord que la citoyenneté active contemporaine reste profondément enracinée dans la responsabilité individuelle d’occuper un emploi rémunéré. Les politiques d’activation du vieillissement en matière d’allongement des carrières (EU, 2012; UN, 2002) ne sont pas sans rappeler cet enjeu. Toutefois, cet enjeu normatif tient peu compte des trajectoires de vie marquées par les inégalités sociales, et le peu de structures d’opportunités qui marquent le parcours des personnes âgées les moins favorisées. 

Également, la figure de la participation civique relève d’une citoyenneté dominante, puisque, d’hier à aujourd’hui, elle reste focalisée sur les obligations civiques du citoyen de participer à la vie publique de la cité. Ce modèle apparaît non seulement normatif, mais concourt aussi à la dichotomie entre une citoyenneté active et passive (Bartlett et O’Connor, 2010; Lewis, 2004). La citoyenneté active implique les personnes ayant les capacités et les ressources (matérielles et symboliques) pour prendre part aux processus politiques et à la vie démocratique, laissant ainsi de côté les individus qui, pour diverses raisons (i.e. conditions de santé, handicaps, absence de ressources) restent hors des lieux d’engagements civiques.

Par ailleurs, les figures de la citoyenneté du care et  de l’appartenance, reposant sur les droits sociaux de la retraite, témoignent quant à elles de l’importance et de la prégnance des dynamiques relationnelles et d’interdépendance qui permettent l’affiliation sociale et le sentiment d’appartenance, à un réseau familial, de proches ou à une communauté de proximité à laquelle on s’identifie. L’identité citoyenne s’éprouve ici dans le lien social, lequel permet de «relier les individus dispersés» et leur donne «le sentiment de s’appartenir mutuellement, d’être engagés dans une vie collective qui intègre chacun de façon entière» (Paugam, 2013, p. 7-8). En d’autres mots, dans le quotidien, l’expérience de la citoyenneté dans le vieillissement ne se conçoit pas uniquement dans la sphère publique: elle s’éprouve dans et par l’entremise de relations de proximité, vécues «de l’intérieur», dans l’échange et le souci d’autrui. Le sentiment d’être dans un rapport d’interdépendance face au proche, à un groupe ou sa communauté est central pour vivre la citoyenneté et, en cela, de rester engagée dans la vie.

Citoyennetés plurielles  

Au regard des divers engagements composant les figures de citoyenneté, force est de constater que les conditions sociostructurelles du vieillir ainsi que celles liées à la santé continuent d’informer l’accès aux citoyennetés dominantes. En d’autres termes, les formes de citoyenneté – entre dominantes et relationnelles – révèlent les rapports de pouvoir sous-jacents à la dichotomie des sphères public-privé. Par exemple, les citoyennetés relationnelles restent traversées par les rapports de genre, lesquelles influencent et structurent les contextes dans lesquels les femmes déploient les pratiques du quotidien, et de care notamment. Or, si ces formes de citoyenneté, basées sur le lien social, entrent toujours en tension avec les citoyennetés dominantes, donc normatives en raison des rapports de pouvoir qui les contiennent, elles permettent néanmoins de faire entendre d’autres voix, souvent rendues inaudibles, et ce, afin de penser des citoyennetés plurielles dans l’avancée en âge.

Pour atténuer l’effet de ces rapports de pouvoir sur diverses formes de citoyenneté vécue, et compte tenu des inégalités sociales qui ne cessent de croître, des politiques uniquement centrées sur le paradigme de l’activation ne peuvent suffire comme réponse sociale au «problème» du vieillissement. Nos résultats témoignent du fait que personne ne souhaite vieillir en étant dépendante de l’État, même de ses proches, que ce soit sur le plan socioéconomique ou physique. 

Dans ce contexte, ne serait-ce pas utile d’envisager le vieillissement selon une autre vision du monde? Une vision qui serait aussi construite sur un paradigme soutenu par l’éthique du care, comme le propose Tronto (2013), qui tient compte de la vulnérabilité humaine afin d’appréhender les fragilités humaines liées aux vieillissements. Penser ainsi des politiques sociales sur d’autres modes référentiels que ceux de l’activation, de l’autonomie et de la responsabilité individuelle, permettrait de se doter de principes moraux et de politiques qui rendraient davantage effectifs les droits humains fondamentaux afin de rendre tangible le droit au vieillir dignement pour tous et toutes.

Notes

  1. Comme l’évoque l’historienne Aline Charles (2007, p.42), «forte et même fulgurante, la progression du taux d’activité des Québécoises de 1951 à 1981 ne concerne – au mieux – que la moitié d’entre elles».
  2. Les travaux de pionnières féministes sur cette question sont nombreux. Pour une excellente synthèse, voir Collectif (2000).
  3. Concept emprunté à Ruth Lister (2007).
  4. Pour une description de la méthodologie, voir Marchand (2018).

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