Recherche sociale et populations marginalisées : de la protection à la participation (1)

Recherche sociale et populations marginalisées : de la protection à la participation (1)

Le modèle de gestion de l’éthique adopté par le Comité d’éthique de la recherche (CÉR) sur lequel je siège suit les orientations du Plan d’action du ministère de la Santé et des Services sociaux en matière d’éthique de la recherche et de l’Énoncé de politique des trois Conseils. Il garantit la confidentialité, l’anonymat, le libre consentement et le droit de retrait des participants aux projets de recherche dans lesquels ils acceptent de s’impliquer, ce qu’il est convenu d’appeler une « éthique de protection ». Ce système de référence a pour finalité d’éviter des abus ayant pu se produire dans le passé avec des sujets humains, en recherche biomédicale notamment. Proposé par notre gouvernement et adopté par nos CSSS et nos CÉR, il a, tout le moins en apparence, le rôle de protecteur du participant. C’est de bon jeu, c’est de bonne guerre.

Vu les questions soulevées par l’expérience des CÉR ainsi que les limites du modèle de gestion éthique centré principalement sur la protection, le temps est peut-être venu pour l’ensemble des acteurs de la recherche de décider d’un moratoire et de défier les modalités admises par le système de référence des CÉR. Serait-il possible d’établir un mode de réflexion, à l’échelle d’un seul CÉR ou à l’échelle de quelques établissements du réseau comme les Centres affiliés universitaires (CAU), qui conduirait les chercheurs à « développer leurs projets de recherche de manière à ne pas contribuer aux inégalités sociales et aux discriminations et en faisant plutôt la promotion des pratiques alternatives de citoyenneté », tel que suggéré par Christine Brassard ?2

La richesse des savoirs

La recherche auprès des populations marginalisées peut être vue comme un moyen pour développer de nouvelles connaissances, partager divers types de savoirs, justifier ou revendiquer une amélioration des services à ces dernières ou encore, les mobiliser dans un espoir de changement de leurs conditions de vie.

Cependant, compte tenu de la méfiance courante des sujets marginalisés à l’égard de la société dominante et de ses institutions, comment s’assurer de ne pas reproduire, à travers la recherche, les inégalités sociales et les mécanismes de discrimination et d’exclusion qu’ils subissent ? Par exemple, l’approche individuelle de la recherche axée sur une dyade chercheur – sujet de recherche ne contribue-t-elle pas à renforcer l’effet de l’individualisation des problèmes sociaux ? Comment ne pas dérober le pouvoir du participant de réfléchir et d’agir sur sa réalité et celle de sa communauté ?

À mon avis, répondre à ces questions incite à développer une éthique de la participation des populations aux processus de recherche en favorisant, par exemple, leur participation active à toutes les étapes du processus de la recherche et en favorisant des espaces de réflexion collective où praticiens et organisations issues de la société civile pourraient mettre en commun leurs analyses de la réalité ainsi que des pistes d’action pour la transformer.

Un cadre de référence révisé pourrait encourager la collaboration entre chercheurs, intervenants et populations ciblées par la recherche lors de la définition du projet, ce qui favoriserait la découverte et l’exploitation de la richesse des différents savoirs à travers, par exemple, des analyses multidisciplinaires. De plus, il inciterait le développement de projets novateurs qui prévoient et soutiennent la participation des populations et praticiens à plusieurs étapes du projet, tant individuellement que collectivement. Finalement, il permettrait le développement d’une « culture d’éthique » qui se renouvellerait au croisement des regards et laisserait place à l’émergence de questions et de découvertes inédites, comme le propose Jean Gagné.

Ré-unissons-nous !

Pour ce faire, certains assouplissements semblent requis dans le processus d’émission des certificats d’éthique, notamment pour permettre d’amorcer des projets de recherche par une phase exploratoire, sans avoir nécessairement décidé de tous les objectifs et formaté d’avance les questionnaires. Cette « permission » de modes plus participatifs de recherche pourrait inciter des chercheurs à se familiariser avec des méthodologies qui encouragent la participation citoyenne, la communication sociale et les analyses collectives, sans toutefois perdre leur statut de libre penseur.

L’appel à poursuivre la réflexion pour s’engager dans cette voie est déjà lancé. Pour ma part, la réflexion continue et s’alimente des propos quasiment prophétiques du professeur Axel R., interviewé par R. Bastien, ou encore, des réserves exprimées par Marcelo Otero concernant « l’impératif » des retombées sociales de la recherche.

Chercheurs, praticiens, membres des comités d’éthique et des CSSS à statut CAU, ré-unissons-nous ! À quand le prochain rendez-vous ? Quel qu’il soit, je souhaite être de ceux qui seront présents pour faire évoluer l’éthique de protection vers une éthique de participation.

Notes

1. Cet article fait suite au dossier publié dans le dernier numéro de la Revue du CREMIS sur les enjeux d’éthique de la recherche auprès des populations marginalisées.

2. Cette auteure ainsi que les autres mentionnés ultérieurement, ont contribué au dossier de la Revue du CREMIS, vol. 1, no. 2, été 2008.