Pratique infirmière en contexte d’itinérance : l’intervention de proximité

Au Québec, des équipes spécialisées en itinérance ont vu le jour ces dernières années afin de répondre à l’importance et la complexité croissante de ce phénomène (Denoncourt et al., 2000; Hurtubise et al., 2010). Parmi ces services adaptés, la pratique infirmière en itinérance — ou pratique de proximité (outreach nursing) — a été déployée à travers différentes villes au Québec et au Canada afin de favoriser l’accès aux soins pour des populations marginalisées qui se retrouvent en rupture avec les milieux de soins traditionnels (Hardill, 2007; Pauly, 2014). Les écrits consultés indiquent que l’approche proactive des infirmiers-ères qui pratiquent dans le milieu de l’itinérance semble diminuer les obstacles structuraux à l’accès aux soins de santé pour ces personnes désaffiliées (Roche et al., 2017; Weber, 2019). Cette pratique – qui diffère des pratiques conventionnelles en soins infirmiers (Patton et al., 2008) et qui reste atypique à l’intérieur même de la profession – demeure cependant peu documentée dans les écrits, ainsi que ses effets sur le mandat de réaffiliation sociale conféré au personnel infirmier. Bien que le personnel infirmier joue un rôle central afin de garantir l’accès et la qualité des services destinés aux personnes en situation d’itinérance (Weber, 2019), l’existence même d’une pratique infirmière dite «spécialisée» en itinérance est contestée (Hardill, 2007), notamment parce qu’elle pourrait contribuer à la perpétuation plutôt qu’à la dénonciation de situations d’iniquité et des mécanismes de contrôle social ayant historiquement ciblé les personnes en situation d’itinérance.

C’est dans cette perspective que nous avons effectué une étude en ethnographie critique auprès d’infirmiers et infirmières qui pratiquent en contexte d’itinérance au Québec. Plus précisément, les objectifs de ce projet étaient d’étudier comment s’articule le rôle infirmier auprès des personnes itinérantes et d’explorer quelles sont les interventions infirmières adaptées à ces personnes.

Cette recherche empirique s’est effectuée en fonction du cadre théorique proposé par le sociologue Robert Castel. L’apport des travaux de Castel pour l’évolution des savoirs et des pratiques en soins infirmiers a fait l’objet d’un article précédemment publié (Paradis-Gagné et Pariseau-Legault, 2020). Le modèle des «quatre zones» proposé par Castel (1994) porte sur les mécanismes d’exclusion sociale et sur les interventions d’assistance destinées aux populations marginalisées et qui se retrouvent en situation de vulnérabilité et de désaffiliation (Castel, 1994, 1995). Pour Castel, le soutien professionnel et les ressources adaptées doivent invariablement être disponibles pour soutenir les personnes qui se retrouvent en zones de vulnérabilité et d’exclusion, et ce afin d’initier le processus de réaffiliation: «Il y a ainsi un processus descendant, qui va de l’intégration à la désaffiliation en passant par la vulnérabilité. Inversement, on peut concevoir l’insertion comme une stratégie pour remonter cette pente, en reconstruisant des soutiens à la fois relationnels et occupationnels pour arracher à l’exclusion ceux qui, progressivement ou brusquement, ont décroché. La possibilité de ce double mouvement suggère que l’exclusion n’est pas un destin. Des interventions sont possibles, d’une part, dans une perspective préventive, pour consolider la zone de vulnérabilité et tenter d’éviter le basculement dans la marginalité, et, d’autre part, dans la zone de désaffiliation» (Castel, 1994: 25). Selon cette perspective théorique, il s’avère primordial de reconnaître les facteurs structurels qui sont à risque de faire basculer les personnes dans ces zones de vulnérabilité et de désaffiliation (ex. : difficultés d’accès à l’emploi, au logement, à la stabilité financière, à la sociabilité et à l’accès aux services sociaux et de santé). Le recours au cadre théorique proposé par Castel a été utile lors de la conceptualisation de la problématique de recherche, de l’élaboration des questions d’entretien et lors de l’analyse des données1.

Sur le plan méthodologique, l’ethnographie critique (Thomas, 1993) a été préconisée pour ce projet. Il s’agit d’une approche méthodologique qui est en adéquation avec la sociologie critique proposée par Castel (2002). Lors de la collecte des données, douze infirmiers-ères (11 femmes et 1 homme) qui pratiquent en itinérance ont été rencontré-es dans le cadre d’entretiens semi-structurés. Ces entretiens ont duré environ une heure et ont été réalisés soit dans des cafés ou dans le bureau des participant-es. Ils et elles ont été interrogé-es sur leur pratique quotidienne auprès de personnes en situation d’itinérance, sur les compétences et valeurs requises afin de travailler dans la rue et sur les caractéristiques associées à cette pratique atypique. Ils ont aussi été questionnés sur la manière dont leur rôle pourrait être davantage mis à contribution, et sur les recommandations par rapport aux interventions qui pourraient être instaurées afin de venir davantage en aide aux populations vulnérables.

Entrée en contact

Lors des entretiens, les participant-es ont soulevé l’importance dans leur travail infirmier d’appliquer le principe d’outreach, une approche provenant du milieu communautaire où les intervenant-es vont directement dans les milieux de vie des personnes en situation d’itinérance, que ce soit par exemple dans les parcs, les refuges ou les organismes d’aide (Denoncourt et al., 2000; Hardill, 2007): «L’approche, c’est vraiment d’être axé sur la relation et le besoin prioritaire de la personne, en allant directement dans le milieu.» (infirmière 2) Selon cette participante, cette approche d’outreach (ou de proximité) s’opérationnalise au quotidien par l’entremise d’une présence stable et continue sur le terrain: «On applique le principe d’outreach : les intervenants, on se sépare les milieux où l’on assure des présences, idéalement même jour, même heure, de façon hebdomadaire. […] Ça permet d’établir des liens à travers le temps, d’être une figure constante. Car souvent, les personnes ont eu de mauvaises expériences avec le système de santé. Alors avoir cette constance-là nous permet d’être une figure de stabilité.» (infirmière 2)

Les professionnel-les rencontré-es ont aussi indiqué que la pratique est caractérisée par un important travail de collaboration, qui s’effectue particulièrement avec les travailleurs-euses de rue et les intervenant-es des différents milieux communautaires (ex. : soupes populaires, refuges, centres d’amitié autochtone, etc.) avec qui les infirmiers-ères doivent faire équipe: «On est toujours pairé avec des organismes. Quand on n’y est pas physiquement, si ce n’est pas un centre de jour par exemple, les travailleurs de rue viennent avec nous à la clinique mobile et on fait une tournée du quartier, où eux ils nous amènent du monde. C’est l’essentiel, le cœur de notre travail: c’est de travailler avec les travailleurs de rue.» (infirmière 5) Le personnel infirmier doit donc arriver à développer d’étroites collaborations avec des acteurs provenant à la fois du réseau de la santé et des services sociaux et des milieux communautaires: «On est vraiment au centre-ville avec les organismes. C’est eux qui nous réfèrent le plus grand nombre de patients. Et je dirais que c’est beaucoup du bouche-à-oreille. C’est souvent les intervenants communautaires qui nous les réfèrent, mais c’est surtout beaucoup de bouche-à-oreille entre eux autres.» (infirmière 12) Le caractère transdisciplinaire et non hiérarchique de ce travail collaboratif (i.e.: un travail qui transcende les frontières disciplinaires entre professionnels et intervenants) a été soulevé par l’ensemble des participants.

Nous avons pu constater que la pratique infirmière en itinérance s’effectue en fonction de son caractère informel, axé sur l’intégration dans le milieu de la rue grâce à ce «bouche-à-oreille» et à la stabilité du personnel soignant dans le milieu, et ce afin de devenir un visage reconnu et accepté dans la rue. Cette structure informelle permet d’entrer en contact avec les personnes qui sont souvent peu enclines à recourir aux services de santé, notamment en raison de mauvaises expériences antérieures avec le système public (ex. : stigmatisation dans les salles urgence, méfiance à l’égard des professionnels de la santé et sentiment d’exclusion des milieux soignants): «Pour se faire connaître dans le milieu, c’est du bouche-à-oreille. C’est la meilleure technique. […] ils n’ont pas toujours le réflexe d’appeler le 811 option 2 ou 1 et tout. Ils vont venir te voir directement, parce que c’est plus proche.» (infirmier 8)

Pratiques hybrides

L’analyse qualitative des données nous indique que le travail infirmier en itinérance sort des définitions usuelles accolées à la profession infirmière, profession qui s’effectue le plus souvent dans les milieux hospitaliers plus conventionnels. Les participant-es ont ainsi fait état d’un travail à la fois clinique et relationnel qui s’accomplit en dehors des structures «traditionnelles», structures qualifiées par plusieurs participantes comme étant souvent rigides et peu inclusives à l’égard des personnes marginalisées (qu’on pense aux travailleurs-euses du sexe, aux utilisateurs-trices de drogues injectables ou à ceux qui présentent des comportements jugés dérangeants pour l’ordre public).

Contrairement à la pratique dans les hôpitaux et les centres de santé, la pratique de proximité laisse place à davantage de flexibilité et d’adaptation aux besoins des personnes en situation d’itinérance: «Les infirmières, on a une formation très rigide, très protocolaire. On travaille sur des étages et il faut que les gens s’adaptent à nos manières et pas l’inverse. Alors qu’en itinérance, il faut complètement virer notre capot de bord. » (infirmière 11) Cette pratique d’outreach – qualifiée par plusieurs comme étant marginale et atypique – permet de sortir des sentiers battus, de mettre en œuvre des façons de faire innovantes et d’adapter rapidement l’offre de service en fonction des besoins de la clientèle desservie: «Des fois, c’est une pratique un petit peu cowboy» (infirmière 4). Cette approche différente est à même de diminuer les barrières à l’accès aux services pour une population ne cadrant pas nécessairement dans des milieux de soin plus structurés et normalisés. Dans cette optique, travailler dans le milieu de l’itinérance requiert des professionnel-les de sortir d’une posture d’expert-e afin de favoriser une approche partenariale et sans jugement. Il a aussi été observé que cette approche de proximité, empreinte d’ouverture et d’acceptation, s’avère nécessaire afin que les infirmiers-ères puissent être accepté-es par les personnes en situation d’itinérance et les organismes communautaires.

Selon les témoignages recueillis, les infirmiers-ères pratiquent auprès de personnes qui se retrouvent en situation de rupture avec les services en santé et services sociaux, qui ne parviennent pas à rejoindre ces personnes qui se voient stigmatisées. Ces instances peuvent aussi perpétuer différents mécanismes d’exclusion et de mise à la marge à l’endroit de populations désaffiliées: «Il y a une espèce de structure qui accompagne les soins, avec des données probantes, des balises, etc. En itinérance, tu ne peux pas appliquer ça. Il faut que tu sois absolument flexible, parce que la situation d’itinérance représente un manque de flexibilité du système» (infirmière 2). Cette grande flexibilité exigée des infirmiers-ères requiert aussi une autonomie, ainsi qu’une pleine occupation du champ de pratique infirmier afin d’intervenir auprès de personnes aux prises avec des problématiques psychosociales et de santé très complexes. En effet, ces professionnel-les doivent réaliser des activités de nature variée pouvant, dans certains cas, différer du rôle infirmier plus conventionnel que l’on retrouve dans d’autres milieux. Les participant-es ont ainsi fait état de l’hybridation de leur pratique, qui s’effectue à la fois sur le volet de la santé (ex. : soins directs, interventions de promotion de la santé, enseignement sur les saines habitudes de vie et approche de réduction des méfaits) et sur le volet psychosocial. Mentionnons par exemple l’accompagnement des personnes dans les tribunaux et dans les bureaux gouvernementaux, ou encore l’aide à la recherche d’un emploi et d’un loyer : «il faut mettre l’accent sur le développement psychosocial, faire des démarches sociales, regarder autre chose que juste le volet santé.» (infirmier 8) Une autre participante a aussi abondé en ce sens : «on fait beaucoup d’interventions sociales aussi. Des gens qui se présentent qui n’ont pas renouvelé leur carte d’assurance maladie, des trucs comme ça. On va référer vers les bonnes ressources, et accompagner la personne.» (infirmière 5)

Réaffiliation

Il a été fait mention par les participant-es du mandat premier qui leur est conféré, soit celui de la réaffiliation des personnes au système de santé et des services sociaux. Afin d’atteindre cet objectif, les infirmiers-ères de proximité doivent arriver à développer des relations basées sur la confiance mutuelle avec les clients, qui ont pour la plupart perdu confiance dans le système public. Les résultats indiquent que les infirmiers-ères agissent à titre d’agents de liaison pour ces personnes marginalisées, et tentent de négocier les rapports difficiles que les institutions de santé et des services sociaux entretiennent envers elles. Ces professionnel-les, en collaboration avec les membres des équipes en itinérance, doivent donc rebâtir ce lien relationnel qui a été brisé en raison d’expériences négatives, de préjugés, de sentiments d’exclusion et de mépris des soignant-es à l’endroit des personnes en situation d’itinérance. «Plus on crée des liens, plus ils commencent à partager avec nous des choses de leur vie et ils commencent à dire : «si elle s’intéresse tant à moi, peut-être que je devrais commencer à m’intéresser aussi à ma propre santé, et peut-être que je pourrais arrêter de fumer?» Ça ouvre des portes, mais ça prend du temps à créer, ces liens-là.» (infirmière 6)

Nous avons aussi pu constater que ces «rapports pathologiques» (Honneth, 2008) qui sont entretenus avec les institutions sont particulièrement présents chez les personnes autochtones, notamment en raison des traumatismes intergénérationnels et de la discrimination systémique et historique qui afflige les peuples autochtones à travers le Québec et le  Canada: «Si on parle de la clientèle autochtone, souvent ils ont vécu des traumatismes avec les institutions, donc c’est vraiment difficile pour eux de venir nous voir. Donc comment est-ce qu’on adapte notre travail ? On va sortir, on va aller dans les centres qu’ils fréquentent, on va aller les voir dans les parcs.» (infirmière 1) Une autre participante a aussi fait mention des enjeux liés aux relents du colonialisme dans l’intervention avec les personnes issues des communautés autochtones : «on essaie vraiment de rejoindre les personnes autochtones itinérantes ou autochtones urbaines qui, justement – à cause de traumatismes historiques et tout ça – n’ont pas de lien de confiance avec le réseau de la santé et les institutions qu’une personne allochtone aurait. On travaille beaucoup avec ces populations.» (infirmière 5) Dans cette optique, les participant-es ont soulevé l’importance d’intégrer les principes de sécurité culturelle et ceux de l’approche tenant compte des traumatismes (Gouvernement du Canada, 2018) dans leurs interventions : «je pense qu’il faut se remettre beaucoup en question. Surtout en travaillant avec les populations autochtones, c’est de comprendre ce que l’on représente, aussi, comme personne à la peau blanche. […] De se questionner, tout le temps, sur nous et nos agissements. Et de réfléchir beaucoup à la sécurité culturelle, comment créer un environnement safe et adapter nos soins culturellement.» (infirmière 5)

Les infirmier-ères qui pratiquent dans la rue doivent ajuster leur approche selon les contextes socioculturels et ethniques des populations avec qui elles pratiquent (Browne et al., 2016; Patrick, 2014). Ces professionnel-les doivent également être au fait des aspects liés au genre (ex. : réalité complexe des femmes et des mères en situation d’itinérance, traumatismes et violences sexuelles) ainsi qu’à l’identité sexuelle (ex.: difficulté d’accès aux refuges pour les personnes transgenres et risque de violence et d’agression pour ces personnes) : «les personnes itinérantes transgenres se font très malmener dans la rue. Violence, viol, certains arrivaient défigurés à force d’avoir été frappés. Mais encore là, il y a peu de documentation sur comment agir auprès de la clientèle transgenre itinérante, même si c’est un phénomène qui arrive de plus en plus.» (infirmière 7)

Afin de pouvoir réaliser ce mandat de réaffiliation, la notion de plaidoyer (advocacy) a émergé des données comme concept clé dans la pratique infirmière en itinérance. Cette fonction du plaidoyer peut prendre différentes formes, que ce soit par la défense des droits et intérêts des personnes itinérantes au sein du réseau de la santé et auprès des différents professionnel-les (Denoncourt et al., 2007), par la prise de parole dans les médias et les sphères publiques et politiques (Hardill, 2007), ou encore par la sensibilisation des étudiant-es et du public sur les enjeux liés à l’itinérance : «Je pense qu’une personnalité plus revendicatrice, c’est important. D’être capable de faire de l’advocacy et d’avoir un rôle plus politique […]. Vu qu’on est reconnue [comme infirmière], qu’on a déjà une place, il faut utiliser ça pour faire de la place, que ce soit pour les clients ou les partenaires communautaires.» (infirmière 1) Dans cet extrait, cette participante soulève l’importance d’utiliser son statut à titre de professionnelle de la santé pour donner une voix et permettre un meilleur accès aux soins pour les personnes désaffiliées. Ce rôle d’advocacy doit donc se concrétiser en partenariat avec le milieu communautaire, et doit mettre au premier plan les intérêts des personnes en situation d’itinérance.

Critiques

Nous avons pu constater, notamment à travers l’analyse du corpus et à la lecture des écrits, que certaines critiques ressortent par rapport à la pratique infirmière de proximité. Hardill (2007) soulève par exemple le risque pour le personnel infirmier d’agir à la solde des institutions à titre d’agent de contrôle social auprès de populations en situation de grande vulnérabilité. Cette approche de proximité peut aussi être décrite comme insuffisante en réponse à l’ampleur des enjeux structurels et systémiques qui affectent les personnes en situation d’itinérance. Pensons notamment aux difficultés d’accès au logement et à l’emploi, à la crise des opioïdes ou encore aux répercussions sociales de l’idéologie néolibérale et de son emphase sur la contribution individuelle à la société.

À l’instar de Hardill (2007), nous avons pu analyser que l’accroissement des équipes spécialisées en itinérance, notamment en sciences infirmières, peut être perçu comme le reflet de l’échec de nos institutions et gouvernements à pallier la hausse des inégalités sociales et de l’itinérance, un constat soulevé également par Patton et Loshny (2008). Selon les propos des participant-es à cette étude, qui reflètent l’observation formulée par Hardill (2007), la pratique infirmière en itinérance ne devrait théoriquement pas exister puisqu’elle représente l’incapacité du réseau public à prendre en charge ces personnes désaffiliées: «malheureu-sement, tant que les inégalités vont survivre, il y aura toujours besoin d’infirmières dans tous les milieux différents» (infirmière 11). Cette approche de proximité s’avère certes pertinente et nécessaire, mais doit s’inscrire à l’intérieur d’un plus grand schème d’intégration sociale. Selon la perspective proposée par Castel (1995), un accroissement de la protection étatique et des systèmes publics est requis en complément aux interventions professionnelles ciblées afin de pouvoir venir en soutien aux populations en situation de vulnérabilité : «ces entreprises ne sont pas inutiles, mais s’en tenir à elles implique un renoncement à intervenir sur les processus qui produisent ces situations» (Castel, 1995, p.16).

Alternatives

Au cours de notre recherche, nous avons pu constater que la pratique infirmière en itinérance se décrit par son caractère intangible, atypique et en lui-même marginal. Dans ce contexte, le mandat de réaffiliation sociale conféré au personnel infirmier se heurte à bon nombre de difficultés théoriques et pratiques. D’une part, l’existence même de cette pratique se pose à la fois en reflet et en réponse à une rigidité apparente des structures institutionnelles, dont les répercussions affectent directement les personnes marginalisées, mais également à la capacité d’action du personnel infirmier. Si la flexibilité du travail de proximité démontre qu’un certain nombre d’alternatives sont possibles, il y a lieu de craindre les effets pernicieux de son institutionnalisation et de son émergence en tant que pratique spécialisée. Chose certaine, un tel travail demande au personnel infirmier le développement de compétences éthiques, culturelles et politiques qui, sans être étrangères ou antinomiques aux assises cliniques caractérisant la pratique courante, devraient bénéficier d’une intégration et d’une valorisation plus soutenue.

Notes

  1. Nous avons suivi les étapes suggérées par Thomas (1993) pour l’analyse qualitative des données. Les transcriptions d’entretien ont d’abord été codifiées et les différents codes ont ensuite été regroupés en catégories: cette étape de la catégorisation est un processus de regroupement des données permettant l’élaboration d’un construit plus abstrait. Les catégories identifiées ont été mises en relation entre elles afin d’observer les similitudes et contradictions à travers les données. Enfin, nous avons effectué une comparaison des données émergentes avec les écrits théoriques, plus particulièrement avec le cadre théorique utilisé (modèle des quatre zones). Cette comparaison théorique nous a permis de mieux structurer et organiser les catégories et concepts. Lors de l’interprétation des données, l’apport du modèle des quatre zones a permis de mieux comprendre le processus par lequel la pratique infirmière en vient à se définir comme une réponse organisée à la désaffiliation sociale et mobiliser une large variété de mécanismes d’assistance.

Références

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