Mobilité et précarité résidentielle en région : bouger pour être

La réalité de l’itinérance touche toutes les régions du Québec. Si la vie à la rue est l’image la plus typique de l’itinérance dans les grands centres urbains, itinérance cachée, précarité résidentielle et mobilité caractérisent le plus souvent l’itinérance en dehors des grands centres urbains. Comment comprendre le parcours géographique des personnes en situation d’itinérance qui bougent d’une ville et d’une région à l’autre ? Comment accompagner adéquatement ces populations difficiles à connaître ?

Ces questions sont au centre d’une recherche exploratoire menée au CREMIS, en collaboration avec les acteurs d’une ressource d’hébergement d’urgence d’une ville régionale2 ayant connu ces dernières années une hausse des résidents provenant de différentes régions du Québec. Il s’agit d’une ressource d’hébergement à bas seuil d’accessibilité, c’est-à-dire qu’elle est ouverte à un large public : à la fois aux femmes et aux hommes; aux personnes ayant des problèmes de dépendance, de santé mentale et des troubles cognitifs; à celles vivant à la rue tout comme aux personnes logées qui ont besoin d’un répit pour éviter de perdre leur chez soi. Nous nous sommes demandé d’où venaient ces personnes, comment elles se déplaçaient dans l’espace et quelle était la réponse des ressources locales à cette mobilité.

Notre démarche a consisté à recueillir l’expérience de personnes en situation de précarité résidentielle fréquentant l’hébergement d’urgence, ainsi que celle des intervenants de ressources situées dans une ville régionale de taille moyenne du Québec.3 La recherche exploratoire a ainsi permis de faire vivre cette dimension de l’itinérance qui est peu abordée dans la littérature et de faire émerger des questionnements à même de soutenir la réflexion des intervenants sociaux. Y a-t-il lieu de « produire un sens » de ce déplacement pour ceux et celles qui se sentiraient déracinés ?

Parcours pluriels

La mobilité entre villes et régions fait partie de l’expérience récente de la majorité des personnes fréquentant la ressource d’hébergement de la ville étudiée. De fait, près de la moitié y sont depuis moins d’un an. Le parcours de ces personnes est ponctué de déplacements qui ne se limitent pas à des mouvements unidirectionnels allant du petit village à un grand centre urbain. Leur provenance (lieu habité avant le dernier déplacement) se répartit presque également entre petites villes (moins de 10 000 habitants), villes moyennes et grands centres. La mobilité est principalement de type proximal (en provenance des municipalités environnantes), suivie d’une mobilité interrégionale puis, dans quelques cas, d’une mobilité à l’échelle canadienne.

Au moment où nous les rencontrons, deux tiers des personnes sondées souhaitent s’installer dans la ville régionale, alors qu’un peu plus du tiers se considèrent en transit (près d’une personne sur dix n’a pas de projet défini à ce sujet). Dans le premier cas (projet d’installation), les personnes rapportent pour la plupart des problèmes familiaux ou reliés au travail comme motifs de déplacement vers le centre urbain, ceux-ci se combinant dans plusieurs cas à une situation de précarité résidentielle (incapacité de payer leur loyer ou formules précaires de logement comme la colocation ou des chambres). La majorité d’entre elles a choisi la ville régionale pour se rapprocher de son réseau, « se trouver une job » et retrouver certains repères. Par-delà le besoin immédiat d’un hébergement, ce qui oriente ces personnes vers une ville ou une autre est souvent un projet « relationnel », comme renouer avec un de ses enfants, se rapprocher d’une connaissance, revoir un ancien patron.

Dans le second cas (projet de transit), il s’agit surtout de personnes qui ont quitté leur dernier lieu de vie en raison d’une situation reliée à la consommation, au jeu ou à un problème de santé mentale (qui s’accompagne souvent de démêlés avec la justice, de problèmes familiaux, de colocation ou d’endettement). Plusieurs insistent sur leur désir de changer de réseau, de prendre un « break » et de changer d’air, alors que quelques-unes disent plutôt être parties sur un « nowhere ». Elles choisissent principalement la ville étudiée pour des motifs liés aux services de désintoxication ou à l’hébergement d’urgence, sans insister sur la présence d’un réseau social dans ce nouveau milieu de vie.

Circularité et possibilités limitées

Les entrevues réalisées avec les usagers de la ressource4 suggèrent que ces deux grands types de rapport au lieu – un lieu envisagé sous l’angle d’un chez soi, où on veut demeurer, et un lieu vécu sous l’angle de ses ressources d’aide, par où on transite – ont un impact déterminant sur le rapport aux ressources et leur usage. Pour les personnes de passage, la ressource d’hébergement est davantage utilisée comme un espace de répit, afin de se reposer, refaire ses forces, stabiliser un problème de dépendance ou de santé, faire des économies ou trouver une alternative de logement. Du côté des personnes qui envisagent la ville comme un chez soi effectif ou possible, la ressource d’hébergement est plutôt appréhendée comme un point d’ancrage ; sont mis de l’avant l’importance des liens avec les intervenants ou d’autres résidents, la possibilité d’y travailler, bref, les conditions pouvant faciliter l’installation dans le milieu.

Lorsqu’on prend un peu de distance par rapport à leur trajectoire de déplacement et qu’on s’y intéresse à l’échelle de leur vie, il ressort de cela que l’expérience de déplacement géographique des personnes est moins souvent linéaire que circulaire. On part et on revient, en essayant différentes façons de se rattacher, de maintenir une appartenance, de consolider une identité. Les mots utilisés par les personnes évoquent différentes figures du déplacement : il y a les déplacements planifiés, recherchés, faits de lieux où on « arrive », on « revient »; des déplacements temporaires, liés au travail saisonnier et au voyage, où on se « promène »; des départs précipités, pour se protéger d’un danger ou pour prendre l’air, qualifiés par le fait de « décamper »; ou encore des déplacements imposés par les conditions de santé, la justice ou l’état des relations sociales (divorce, décès) et qui font en sorte qu’on « se ramasse » quelque part, qu’on « retombe » en un lieu; enfin, certains épisodes de vie seront qualifiés par l’impossibilité de se déplacer et le fait d’« être pogné ».

Plutôt qu’aléatoire ou irrationnel, le parcours de ces hommes s’appuie sur une variété de rationalités sociales. Aux différentes époques de leur vie, ces hommes ont cherché à travers les lieux et les déplacements différents types d’ancrage, cherchant tantôt à s’inscrire dans les relations familiales ou dans l’univers du travail, se déplaçant d’un lieu à l’autre suite à la prise en charge institutionnelle ou pour accéder aux ressources en itinérance, en dépendance ou en santé mentale. La mobilité s’inscrit le plus souvent dans la construction de l’identité, comme levier pour une quête de sa place dans le monde et comme moteur du changement personnel : « Je voulais sortir du milieu où j’étais. Tu sais quand tu consommes, tu as une routine. Si tu veux t’en sortir, il faut que tu changes de milieu. Alors, c’est pour ça que je suis venu ici. (…) et ça fait partie aussi de mon premier choix de me retrouver près de mes enfants. Même s’il y a une certaine froideur, j’apprécie drôlement le rapprochement. » (Homme 65 ans)

Lorsqu’elle n’est pas justifiée par des repères sociaux, la mobilité est perçue de manière négative par les personnes elles-mêmes. Quelques-unes parlent alors de « fuite géographique », définie comme la difficulté à faire face aux conséquences de relations sociales difficiles et qui incitent à repartir constamment, en neuf, ailleurs. Ici, on parlera de sa propre mobilité en termes d’instabilité ou d’errance. Les déplacements font alors office de stratégie pour prendre une pause des problèmes vécus, pour s’éloigner et repartir en neuf : « J’ai pas trouvé de place chez moi. Même encore, je fuis. Il y a toutes sortes de fuites, hein? J’essaie de penser à d’autres choses et puis je fuis. Là, c’est moins pire, là, je suis en appartement, ça fait un petit bout, mais j’ai de la misère avec la vie, là… J’aide le monde, je me fais avoir. Je suis bonasse. » (Homme 36 ans)

Ainsi, de manière générale, les hommes en situation de précarité résidentielle rencontrés se déplacent pour les mêmes raisons que les personnes domiciliées : des projets économiques et relationnels ou encore, des déplacements contraints. Ces hommes ne se distinguent pas de façon marquée du point de vue de leurs stratégies ou comportements liés à la mobilité. Ces personnes « itinérantes », souvent qualifiées comme étant hors du social, se révèlent n’être ni en dehors de l’espace familial, ni hors du travail. Au contraire, ces espaces sociaux sont souvent le moteur de leur mobilité.

Cela dit, ce qui qualifie peut-être le parcours que nous décrivent ces hommes, c’est son caractère « en pointillé » : ce sont des trajectoires ponctuées par une prise en charge institutionnelle, une crise de santé mentale, un épisode de toxicomanie, une rupture amoureuse, une tentative de suicide ou un environnement hostile, par le manque de services ou le fait de se retrouver «entre deux chaises». Ils ont fait l’expérience de ne plus se sentir appartenir, de ne plus avoir de rôle au sein de la société, de cumuler les échecs, de défendre une identité marginale en regard des normes établies. Apparaissent également dans ces trajectoires tous les intervalles autour desquels ils n’ont pas pu se déplacer, se voyant temporairement freinés dans leur possibilité d’aller vers des lieux qu’ils considéraient comme plus propices à leur bien-être. Certains doivent réaliser des travaux communautaires, entreprendre une thérapie, ont des conditions de libération conditionnelle, sont en attente d’un procès, manquent d’argent, ont des problèmes de santé physique ou mentale ou n’ont pas accès aux alternatives de transport. Leur capacité à se déplacer est ainsi régulièrement mise à mal, limitée, voire temporairement compromise. Les déplacements se vivent dans des conditions fragiles, où ils font face à des choix restreints en matière de destinations, ainsi qu’à des possibilités limitées à leur arrivée.

Le malaise

À différents moments de leur parcours, les personnes rencontrées ont eu recours aux services communautaires et institutionnels locaux. Contrairement à un grand centre urbain comme Montréal, qui dispose de deux ressources spécialisées dans l’accompagnement des personnes « migrantes » (principalement sans domicile)5 la région étudiée ne compte aucune ressource dont la mission soit centrée sur l’amélioration de la capacité de déplacement des personnes en situation de précarité financière et résidentielle. Cet accompagnement s’intègre de façon plus ou moins formelle dans la pratique quotidienne des organismes du territoire. Alors que certains sont destinés majoritairement à des personnes en situation de précarité résidentielle (centre d’hébergement d’urgence, organisme de travail de rue, équipe itinérance), d’autres rejoignent ces personnes à travers leurs services courants (centre de détention, centres de réadaptation en dépendance, maisons de thérapie, CSSS) ou disposent d’un volet secondaire d’hébergement d’urgence (maison d’hébergement pour femmes victimes de violence, centre d’hébergement en santé mentale, maison de transition pour personnes judiciarisées). Au total, onze acteurs des milieux communautaires et institutionnels6 ont été rencontrés en entrevue afin d’approfondir leur rôle dans les parcours de déplacement des personnes et d’identifier certaines initiatives pour mieux accompagner les personnes dans la recherche d’un lieu de vie significatif.

Un des éléments principaux qui émergent est que les ressources de cette région orientent leurs pratiques principalement vers la stabilisation résidentielle des personnes et leur ancrage dans le milieu environnant. Les ressources du milieu apparaissent particulièrement propices au développement de relations significatives, à la fois entre usagers d’une même ressource, mais aussi avec des membres de la famille ou divers réseaux de socialisation dans la ville. Pour le coordonnateur d’un centre d’hébergement d’urgence, la création de liens serait le principal « moteur de la stabilisation » des personnes que sa ressource accueille : « C’est être quelqu’un quelque part, mais c’est plus un problème de liens que de lieux. Donc quelqu’un qui arrive ici, qui a le désir de s’enraciner ici, d’avoir un lien avec des gens qui est significatif et tout ça, c’est ça, le moteur de la stabilisation, sinon la migration continue. » Ainsi, les ressources peuvent parfois devenir le vecteur par lequel se construit l’appartenance à un milieu vis-à-vis duquel les personnes n’avaient pas d’attachement particulier auparavant. Certains offrent une aide matérielle pour l’emménagement dans un logement, des expériences de travail au sein de leur organisme ou misent sur des activités de participation sociale et citoyenne pour améliorer les dynamiques de cohabitation locales.

Par rapport à ces objectifs de stabilisation résidentielle, la mobilité des personnes tend cependant à être perçue comme un échec en termes d’intervention. Plusieurs intervenants partagent en effet un sentiment d’impuissance et un malaise vis-à-vis des personnes qui passent comme un « coup de vent » dans les ressources, sans entrer dans le « cadre » de l’intervention. Ces personnes en transit, désignées comme étant « très mobiles »,utiliseraient les ressources avant tout comme lieu de répit, plutôt que comme tremplin pour la réinsertion. Du point de vue de l’intervention, maintenir le lien avec des personnes qui sont de passage semble ainsi parfois avoir peu de sens. Le coordonnateur d’un hébergement temporaire de la région évoque par exemple les défis du suivi médical ou social en CSSS auprès des personnes « mobiles », insistant sur les barrières que rencontrent les personnes « de l’extérieur » fréquentant sa ressource pour accéder aux services sociaux et de santé. Il a entendu à quelques reprises ce type de commentaires dans le réseau : « Pourquoi mobiliser professionnels et médecins pour une personne qui va peut-être disparaître demain matin? ».

L’accompagnement des personnes dans leur mobilité demeure ainsi marginal au sein de la plupart des organismes. On parle principalement de pratiques informelles et peu balisées6: par exemple, défrayer le transport en autobus ou en covoiturage dans des situations particulières ou encore, effectuer des références personnalisées vers un organisme de la région où se dirige la personne. La plupart du temps, la responsabilité par rapport au suivi des personnes s’efface avec la distance. Comment réussir une intervention auprès de personnes ayant une mobilité récurrente, qui repartiront dans quelques jours et qui ont parfois peu d’intérêt à nouer un lien significatif avec les intervenants ?

Mobilité versus stabilisation

Alors que nous avons documenté le parcours de gens qui se déplacent en fonction de diverses logiques d’insertion sociale (familiale, de travail, identitaire, matérielle, etc.), ayant pour objectif une amélioration de leurs conditions d’existence ou un rapprochement de leur réseau, les trajectoires de mobilité des personnes retiennent généralement peu l’attention des intervenants que nous avons rencontrés en entrevue. La dimension « mobilité » des parcours de vie des personnes apparaît de manière marginale dans la lecture que les intervenants font de la situation de vie des personnes, leur compréhension s’articulant davantage autour du cheminement de désaffiliation et de précarisation de leurs conditions de vie. Se dégagent même des entretiens une certaine résistance et un malaise face aux gens qui ont une mobilité importante, amenant une fréquentation récurrente dans les ressources. La mobilité n’est-elle pas parfois jugée trop négativement lorsqu’on la réduit à l’instabilité ? Y aurait-il une pression étatique, une injonction intériorisée à aller vers la stabilisation résidentielle des personnes, alors que le besoin des personnes qui transitent par un hébergement d’urgence est parfois de se reposer, pour mieux repartir ?

Cette tension entre les projets de mobilité des personnes et les objectifs de stabilisation portés au sein des ressources apparaît néanmoins très féconde pour réfléchir l’intervention. Dans les dernières années, le champ de la recherche sur l’itinérance s’est particulièrement articulé sur un axe allant de la précarité résidentielle à la stabilisation en logement, où les solutions recherchées consistent à offrir aux personnes la possibilité de s’établir (Dorvil et Guèvremont, 2013; Laberge et Roy, 2001). La présente recherche exploratoire amène à s’intéresser à des dimensions parallèles à ce souci d’ouvrir l’accès à la domiciliation. Plusieurs recherches démontrent que la stabilisation résidentielle est une clé prioritaire dans la sortie de l’itinérance. L’approche Housing First en fait d’ailleurs sa priorité en soutenant que le logement doit s’accompagner d’un suivi régulier qui s’inscrit dans la durée (Busch-Geertsema, 2013; Latimer et coll., 2014; McAll et coll, 2013). Il nous semble que ce suivi gagne à prendre cependant en compte la question de la mobilité. Par exemple, plusieurs personnes rencontrées dans les ressources en hébergement ont exprimé leur besoin d’un lieu de répit, d’un espace où elles ont la possibilité de rester quelques jours pour reprendre des forces, de manger correctement, de faire des économies, d’être entendues, de prendre des décisions en dehors d’un contexte de survie et d’urgence.

L’expérience des personnes rencontrées dans le centre d’hébergement suscite aussi une réflexion autour du potentiel de mobilité dont dispose une personne. Alors que du point de vue des personnes, le déplacement fait office de stratégie pour améliorer leur situation de vie et que la mobilité semble de plus en plus constituer un « passage obligé pour l’insertion sociale » (Le Breton, 2005), la capacité à se déplacer et à concrétiser leur projet d’insertion est variable selon leur situation. Celles-ci déménagent dans des contextes de rupture conjugale, de perte d’emploi, de consommation, d’expulsion de certaines ressources, d’incarcération et de perte de logement. Arrivant dans un nouveau milieu de vie avec l’espoir de stabiliser ou d’améliorer leur situation de vie, les projets d’insertion se heurtent à plusieurs défis. Plusieurs vivent par exemple dans des formules précaires de logement, notamment en colocation avec une connaissance, lesquelles se soldent souvent par un conflit.

Les résultats de notre recherche suggèrent que cette mobilité a une forte composante relationnelle, qu’elle s’exprime par les liens familiaux et amicaux, les relations affinitaires développées au sein d’une ressource ou la nécessité de s’éloigner de relations de violence. Elle s’inscrit aussi dans la construction de l’identité des personnes. En prenant pour objet le rapport aux lieux et à la mobilité, nous voyons que les déplacements ne sont pas aléatoires et que le domicile prend un sens en regard des relations sociales antérieures, actuelles ou projetées. Non seulement faut-il entendre la voix de ces personnes, mais faut-il aussi les voir dans leurs trajectoires diversifiées non réductibles à de quelconques stéréotypes.  Les publications issues de la recherche sont aussi une façon de les faire exister. Curieusement, plus on fait entendre ces voix, plus on constate que le réseau institutionnel semble en décalage avec cette expérience vécue, en étant un peu figeant et figé.

Opportunité

Soutenir la capacité de certaines personnes à se déplacer demande donc de faire un pas de côté pour penser autrement l’organisation et la coordination des services. Il s’agirait de développer une perspective globale sur l’itinérance, permettant de saisir que bien que l’enjeu soit local, pour les personnes, il s’inscrit souvent sur une échelle plus large, impliquant une diversité de mouvement sur le territoire, à l’échelle de divers espaces relationnels. Globalement, cette mobilité porteuse de projets peut être comprise non pas comme un échec, mais comme une opportunité à saisir pour l’intervention. Car, comme l’évoque le directeur d’une ressource d’hébergement d’urgence, « ce qui motive les déplacements, ce n’est pas tant le besoin de bouger, que le besoin de répondre à ses besoins en bougeant. »

Notes

  1. Le rapport de recherche complet Mobilité et précarité résidentielle en régionest disponible gratuitement sur le site web du CREMIS.
  2. Le nom de la ville régionale est gardé anonyme dans le rapport de recherche et dans les publications qui en découlent.
  3. L’étude s’est appuyée sur une méthodologie mixte, combinant données statistiques et entrevues qualitatives auprès de ces deux groupes d’acteurs. Au total, 73 questionnaires ont été remplis par les usagers de la ressource d’hébergement d’urgence de la ville régionale, donnant lieu à un portrait d’ensemble du parcours géographique et des motifs des déplacements intervilles et interrégions des personnes. Quatorze entrevues ont ensuite été réalisées auprès d’hommes fréquentant la ressource. Ces entrevues ont permis d’explorer les façons dont les personnes se déplacent, en documentant leur expérience de la précarité résidentielle et de la mobilité, ainsi que le rapport aux différents lieux habités au fil des ans. Onze autres entrevues ont été menées auprès d’intervenants et de gestionnaires de ressources communautaires et publiques par lesquelles transitent des personnes en situation de précarité résidentielle dans la région de la ville étudiée. Ces acteurs-clés ont permis de dresser un portrait des ressources existantes et d’avancer la réflexion sur les manières de répondre aux personnes ayant des trajectoires de mobilité géographique.
  4. Nous avons rencontré en entrevue quatorze hommes. Aucune femme fréquentant la ressource d’hébergement mixte n’a accepté de participer à l’étude. Les quatorze hommes qui fréquentent la ressource d’hébergement sont âgés de 22 à 65 ans. Ils résident dans la ville régionale où nous les rencontrons depuis plus ou moins longtemps, à savoir entre quelques jours et 21 années. Parmi les 14 hommes rencontrés, deux sont nés dans des villes avoisinantes à la ressource, les autres étant originaires de différentes régions au Québec et d’Ontario. Ils ont vécu dans des villes et villages situés dans un rayon de 100 km de la ville régionale avant de faire l’expérience de la précarité résidentielle, pendant leur enfance ou à l’âge adulte.
  5. Ces deux organismes accompagnant la migration interurbaine sont le Service aux migrants, du CSSS Jeanne-Mance, et Premier arrêt,faisant partie intégrante du YMCA de Montréal. Le Service aux migrantsa pour mission « d’aider le migrant à intégrer ou réintégrer un milieu de vie favorable à sa stabilisation et à sa réinsertion sociale » (Service aux migrants, 2010), à travers des interventions accompagnant l’installation de la personne ou son rapatriement dans un autre milieu de vie. Premier arrêt offre « des services d’accueil et d’orientation de première ligne auprès des gens vulnérables et sans ressource à leur arrivée au centre-ville ». L’organisme offre également un « service de rapatriement afin de permettre aux personnes en difficulté de retourner dans leur milieu d’origine ou de s’établir dans un milieu plus propice à leur réinsertion » (Premier arrêt, 2013 : 2).
  6. Ces acteurs avaient tous été identifiés dans les questionnaires et les entrevues avec les usagers comme ayant joué un rôle significatif dans leur parcours de déplacement.
  7. Celles-ci se voient souvent réserver l’étiquette d’« itinérant », terme sinon peu utilisé dans la région étudiée.
  8. Sauf dans le cas de deux organismes, soit un centre de réadaptation en dépendance et un centre d’hébergement pour femmes victimes de violence. Afin de maintenir le lien avec les personnes qui quittent le milieu où se trouvent les ressources, celles-ci ont développé des points de services locaux dans de petites municipalités dispersées dans la région.

Références

Busch-Geertsema, V. (2013). Housing First Europe. Final Report. Bremen/Brussels. European Union Programme for Employment and Social Solidarity.

Canzler, W., V. Kaufmann, et S. Kesselring (2008), « Tracing Mobility: An Introduction » in W. Canzler, V.Kaufmann, V. et S. Kesselring, S. (dir), Tracing Mobilities: Towards a Cosmopolitan Perspective (Aldershot : Ashgate).

Dorvil, H. et S. B. Guèvremont. (2013) Le logement comme facteur d’intégration sociale pour les personnes itinérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale participant au projet Chez soi à Montréal. Montréal : Rapport de recherche présenté à la Commission de la santé mentale du Canada.

Kaufmann, J-C. (2004.) L’invention de soi. Une théorie de l’identité. Paris : Armand Colin.

Laberge, D. et S. Roy (2001). « Pour être, il faut être quelque part : la domiciliation comme condition d’accès à l’espace public », Sociologie et sociétés, 2, 33 : 115-131.

Latimer, E., D. Rabouin, C.Méthot, C. McAll, A. Ly, H. Dorvil, A. Crocker, L. Roy, D. Poremski, J-P Bonin, M-J Fleury et E. Braithwaite (2014). Projet Chez Soi – Rapport final du site de Montréal. Calgary, Alberta : Commission de la santé mentale du Canada.

Le Breton, E. (2005). Bouger pour s’en sortir. Mobilité quotidienne et intégration sociale. Ed. Armand Colin.

McAll, C., M. Guttiérrez, P-L Lupien, A. Fleury, A. Robert et A. Rode (2013) Le sentiment d’exister : l’impact du projet Chez soi à Montréal après 18 mois, du point de vue des participants. CREMIS. Disponible à www.cremis.ca

Ohnmacht, T., H. Maksin et M. M. Bergman (2009) Mobilities and Inequality. Ashgate Publishing.