L’organisation communautaire : évolution et défis actuels 

Cette page fait partie du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ». Elle présente un portrait actualisé des évolutions et défis de l’organisation communautaire.

L’histoire de l’État social1 québécois est intimement liée à l’évolution de l’organisation communautaire. Cette relation symbiotique souligne comment ces deux entités se sont développées ensemble, façonnant ainsi le paysage de l’intervention sociale au Québec. L’organisation communautaire a émergé parallèlement à la mise en place d’un réseau public de santé et de services sociaux, et plusieurs tendances ont marqué son évolution2. Une histoire qui ne s’est pas faite sans tensions3.  

Institutionnalisation de l’organisation communautaire 

De l’action militante à la professionnalisation 

Initialement, les organisateurs et organisatrices communautaires (OC) se caractérisaient par leur engagement militant, souvent issus de mouvements sociaux ou syndicaux, notamment durant la Révolution tranquille des années 1960-1970. Ce contexte a contribué à établir les bases de l’État social québécois. L’organisation communautaire puise aussi ses origines dans l’animation sociale, une pratique qui vise à mobiliser les citoyens, à renforcer les liens sociaux, et à encourager leur participation active dans la vie communautaire à travers des activités éducatives, récréatives et culturelles. Les OC ont ainsi joué un rôle clé dans la création des Centres locaux de services communautaires (CLSC) en 1974, qui s’inspiraient des cliniques populaires. Ces établissements visaient une gestion « radicalement démocratique », favorisant la participation citoyenne4. En intégrant le réseau de la santé et des services sociaux, l’organisation communautaire s’est ainsi institutionnalisée et professionnalisée. 

Transformation des CLSC et normalisation 

Un processus de normalisation a affecté les OC œuvrant au sein du réseau de la santé et des services sociaux, en particulier à partir des années 1980, période marquée par la remise en question du rôle de l’État et le début de la « crise de l’État-providence ». C’est à cette époque que le modèle des CLSC, initialement fondé sur une approche décentralisée et axée sur l’autonomie communautaire, commence à être révisé, avec des modifications qui se font rapidement sentir sur le terrain5. La création des Centres de santé et services sociaux (CSSS) en 2003 intensifie cette normalisation, en centralisant de plus en plus les services de santé. Ce processus se poursuit avec la loi 10 de 2015, qui réorganise la gouvernance du réseau en créant les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS, ces derniers affiliés à des établissements universitaires). Cette réforme renforce l’intégration et la standardisation des services, y compris ceux liés à l’organisation communautaire. Dès lors, les OC se retrouvent confronté·es à un cadre plus rigide, où leurs pratiques et leurs modes de collaboration doivent s’adapter à une logique plus hiérarchique et centralisée, ce qui peut restreindre leur autonomie et leur capacité à intervenir de manière flexible au sein de leurs communautés. 

Structuration et professionnalisation de l’organisation communautaire 

Émergence de cadres de référence 

C’est dans ce contexte que les OC se sont structuré·es à l’échelle provinciale, notamment avec la création en 1988 du Regroupement des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC (puis en CISSS-CIUSSS, RQIIAC)6. Cette structuration a conduit, à partir de 2002, à l’élaboration de cadres de référence qui témoignent d’une professionnalisation croissante7.  

Le RQIIAC est devenu un acteur incontournable au sein et à l’extérieur du RSSS. Il constitue une communauté de pratique, créant un espace pour renforcer l’identité professionnelle et le lien d’appartenance. Il propose des formations, organise des colloques et des journées d’échange, favorisant le partage de connaissances et d’expériences. Par ailleurs, il défend la pratique de l’organisation communautaire et prend position sur les enjeux publics affectant cette pratique, ainsi que sur des problématiques sociopolitiques plus larges. 

Évolution du profil des OC et des critères d’embauche  

En janvier 2024, le RQIIAC a réalisé son huitième recensement annuel8, qui révèle que 505 personnes exercent dans l’organisation communautaire au sein des CISSS et CIUSSS au Québec. Bien que ces chiffres varient d’un établissement à l’autre dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), le RQIIAC (2024) note une augmentation du nombre total de postes ainsi qu’une stabilisation des statuts d’emploi des intervenant·es en organisation communautaire ces dernières années.  

Le recensement confirme également la féminisation continue de cette profession, amorcée dans les années 19909. En 2024, 78 % des intervenant·es en organisation communautaire étaient des femmes (RQIIAC, 2024). Concernant la répartition par âge, 20% des OC avaient entre 20 et 35 ans, 56 % étaient âgés de 36 à 50 ans, et 24 % avaient plus de 51 ans. Il convient de noter que ce recensement ne prend pas en compte des données relatives à l’origine, à la langue ou à d’autres catégories d’appartenance qui pourraient donner un aperçu de la diversité, ou au contraire de l’homogénéité des OC. 

En outre, on observe une diminution de la proportion d’OC titulaires d’un diplôme en travail social. En 2024, 49 % des OC avaient une formation en travail social, contre 61% en 2020. Parmi les nouvelles recrues en organisation communautaire, seulement 35% détiennent un baccalauréat en travail social, une proportion similaire à celle de l’année précédente.  

Par ailleurs, les critères d’embauche ont également évolué, mettant l’accent sur l’expérience, le savoir-faire, le savoir-être et les compétences interpersonnelles10 plutôt que sur les savoirs militants. Ce changement peut s’expliquer par de nouvelles exigences institutionnelles, ainsi que par des facteurs générationnels et une dépolitisation croissante de l’organisation communautaire. 

Dépolitisation ou renouvellement des formes d’engagement ? 

Les OC œuvrant dans les établissements de santé et les services sociaux semblent s’éloigner des enjeux politiques et des luttes sociales. Bien que l’approche sociopolitique, qui repose sur la défense et la revendication des droits sociaux, figure en bonne place dans le cadre de référence du RQIIAC (2020), sur le terrain, les OC sont davantage sollicité·es pour s’engager dans des démarches de développement local, qui visent à résoudre des problèmes spécifiques à travers des processus participatifs, ou pour adopter des approches sociocommunautaires et socio-institutionnelles11

Ces approches, tout comme l’approche sociopolitique, partagent une dimension de mobilisation collective, de prise en compte des besoins des communautés et de renforcement de leur pouvoir d’agir, dans l’optique de transformer les conditions sociales. Cependant, elles se distinguent par un moindre accent sur la critique systémique des inégalités sociales et des structures de pouvoir, privilégiant plutôt la participation, l’adaptation des services, la création de réseaux solidaires locaux et le soutien au milieu communautaire, dans une démarche plus pragmatique. Par ailleurs, les OC se voient de plus en plus assigner des mandats dits « top-down », émanant du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ou de leurs établissements respectifs. Ces mandats ne proviennent pas toujours des besoins exprimés directement par les communautés. 

Cette tendance peut donner l’impression d’une dépolitisation de la pratique, souvent interprétée comme une réduction de l’engagement politique direct. Cependant, il paraît plus juste de parler d’une évolution du rôle politique des OC, qui doivent s’adapter aux contraintes du cadre institutionnel dans lequel elles et ils évoluent, tout en tenant compte des réalités du milieu communautaire. Dans ce contexte, les OC peuvent être amené·es à collaborer sur des dossiers « politiques » avec des directions d’établissement, jouer un rôle dans des instances de concertation intersectorielle, ou encore sensibiliser certain·es élu·es à des enjeux sociaux cruciaux. Ils et elles contribuent ainsi à l’élargissement de la portée de leur action, en intégrant des dynamiques politiques dans leur travail quotidien, même si celles-ci sont parfois plus subtiles ou indirectes que dans des engagements militants plus traditionnels.   Cette évolution s’observe également dans l’émergence d’une nouvelle génération d’OC, à la suite du départ à la retraite de la première génération. Beaucoup de ces nouvelles et nouveaux OC proviennent de parcours militants divers, en lien avec des mouvements sociaux récents tels que le « Printemps érable » de 2012, les enjeux environnementaux, ou des causes identitaires telles que les luttes LGBTQ+, les droits des jeunes racisé·es et le féminisme intersectionnel. Ces OC apportent de nouvelles préoccupations sociopolitiques et de nouvelles façons de concevoir la mobilisation, introduisant ainsi un renouvellement possible des pratiques d’intervention collective.  

Défis de l’organisation communautaire 

Un contexte d’intervention complexe 

Les OC évoluent dans un environnement d’intervention complexe, se situant à l’intersection du Réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) et du secteur communautaire. Ces professionnel·les opèrent au sein de grandes structures administratives, comme le CSSMTL, qui compte plus de 15 000 employé·es et couvre de vastes territoires. Cette réalité pose des défis spécifiques, car leur pratique nécessite un ancrage local. Bien que le découpage des territoires en Réseaux locaux de services (RLS) et le fait que les OC soient souvent basés.es en CLSC atténuent quelque peu cette tendance, les défis persistent. 

Impact de la NGP sur la pratique 

Ces dernières années, plusieurs réformes ont été mises en œuvre pour améliorer l’« efficacité » du RSSS, entraînant une centralisation accrue et une influence croissante de la Nouvelle gestion publique (NGP)12. Ces changements imposent aux OC et à leurs collègues d’autres services une reddition de comptes rigoureuse, qui peut entrer en contradiction avec les principes de l’organisation communautaire. Les outils de reddition de comptes, conçus pour un milieu hospitalier centré sur des interventions individuelles, s’avèrent souvent inadaptés à la nature collective des actions des OC, soulevant des questions sur le sens de leur pratique et leurs marges de manœuvre13. Dans ce contexte, il est parfois difficile pour les OC de s’arrimer avec d’autres équipes axées sur l’intervention individuelle, tout comme pour ces dernières de collaborer avec le milieu communautaire14

Autonomie et financement des organismes communautaires

 Bien que l’autonomie des organismes communautaires soit inscrite dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSS), le secteur communautaire est lui aussi de plus en plus influencé par la NGP et soumis aux exigences croissantes de reddition de comptes vis-à-vis des bailleurs de fonds15. Parallèlement, le financement « par projet » et les ententes de services se font de plus en plus au détriment du financement « à la mission ». Cette situation, marquée par un sous-financement et des conditions de travail précaires, déséquilibre les rapports entre les secteurs institutionnel et communautaire, ce dernier jouant un rôle essentiel dans les politiques sociales au Québec. Les OC doivent naviguer dans cette réalité en soutenant les organismes dans leurs demandes de subventions et en veillant à l’équilibre des rapports de pouvoir. 

L’intégration de la santé publique 

Depuis la réforme de 2015, qui a conduit à la création des CISSS et CIUSSS, la santé publique est intégrée dans ces établissements. Alors que la Santé publique finance le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) et d’autres projets, notamment ceux liés à la sécurité alimentaire, des enjeux se posent pour les OC du RSSS qui aident les organismes communautaires dans leurs demandes de financement. D’une manière plus générale, l’influence croissante de la santé publique sur l’organisation communautaire crée un rapport ambivalent. D’une part, la santé publique s’appuie sur des données probantes et des pratiques documentées ; d’autre part, l’organisation communautaire valorise les compétences des citoyen·nes et les spécificités locales. Selon le RQIIAC, le défi majeur consiste à établir des espaces de négociation favorisant une influence mutuelle, afin d’éviter une dynamique unidirectionnelle. 

Rôle actuel des OC 

Aujourd’hui, les OC sont souvent perçus comme des « accompagnateurs·trices de milieu »16. Ils et elles soutiennent les organismes communautaires et les instances de concertation, apportant une expertise en participation citoyenne et une connaissance approfondie du Réseau de la santé et des services sociaux (RSSS). Cela en fait des «agent·es de liaison »17 entre ces deux mondes. On les sollicite également pour des aspects techniques, tels que le soutien aux demandes de subvention et l’animation d’assemblées et de rencontres. Nous revenons plus précisément sur le rôle des OC à travers des récits de pratique basés sur des cas concrets.

L’évolution de l’organisation communautaire au Québec témoigne d’une dynamique complexe entre institutionnalisation, professionnalisation et adaptation à un contexte en constante mutation et permet de mieux comprendre les transformations de l’État social.  

Pour citer cette page

J.B. Leclercq (2025). L’organisation communautaire : évolution et défis actuels. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web].  Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Notes

1 L’expression « État social » est préférée à « État providence », en référence à Robert Castel (1995) qui critique cette dernière pour son implication d’un État agissant uniquement comme un pourvoyeur de « bienfaits ». Castel estime que cette vision réductrice ressemble davantage à de la charité qu’à une véritable politique de solidarité et d’égalité.  

2 Leclercq, J.B., Coulombe, S., Llobet Estany, M. et Soucisse, F. (2017), « La reconfiguration de l’État social à travers les pratiques d’organisation (Québec) et d’intervention communautaire (Catalogne), Les Politiques Sociales, n° 3 et 4, pp.102-113. https://doi.org/10.3917/lps.173.0102   
Leclercq, J.B. (2015), « L’organisation communautaire au Québec et à Barcelone, un nouvel éclairage », Revue du CREMIS, 8(1), pp. 26-32. L’organisation communautaire au Québec et à Barcelone : un nouvel éclairage — CREMIS 
Leclercq, J.B. (2014), « L’organisation communautaire au Québec et la reconfiguration de l’État social : le tournant », Revue du CREMIS, 7(1), pp.49-55. L’« organisation communautaire » au Québec et la reconfiguration de l’État social : le tournant — CREMIS 

3 Berthiaume, A., Bergeron-Gaudin, J. V., & Gaudreau, L. (2022). L’organisation communautaire au Québec : quelques zones d’ombre dans l’état des connaissances. Canadian Social Work Review39(1), 45-61. https://doi.org/10.7202/1091513ar 
Berthiaume, A., & Mariette, A. (2024). L’organisation communautaire au sein du service public québécois. Trajectoire d’un groupe professionnel aux marges de l’État social (années 1970-2000). Travail et emploi, (172), 1-26. https://doi.org/10.4000/12mf6 

4 Mariette, A. et Pitti, L. (2021). Subvertir la médecine, politiser la santé en quartiers populaires Dynamiques locales et circulations transnationales de la critique sociale durant les années 1970 (France/Québec) Actes de la recherche en sciences sociales, N° 239(4), 30-49. https://doi.org/10.3917/arss.239.0030.

5 Plourde, A. (2019). Revendications et contre-offensives de classe : L’État social québécois et la transformation des CLSC (1971-1981). Revue du CREMIS, 11(1), 4-10. Revendications et contre-offensives de classe : l’État social québécois et la transformation des CLSC (1971-1981) — CREMIS

6 RQIIAC | Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire en CSSS

7 Au moment de réaliser ce dossier web, la dernière version du cadre de référence est la suivante : RQIIAC (2020). Pratiques d’organisation communautaire dans les établissements de santé et de services sociaux au Québec : cadre de référence du RQIIAC. Presses de l’Université du Québec. https://rqiiac.qc.ca/produit/cadre-de-reference/ 

8 RQIIAC (2024). Recensement des effectifs en OC : Faits saillants – 25 avril 2024. Document préparé par Suzie Cloutier (OC).   

9 Comeau, Y., Bourque, D., & Lachapelle, R. (2018). L’intervention collective. Convergences, transformations et enjeux. Presses de l’Université du Québec. https://doi.org/10.1515/9782760549807

10 Modèle de profil de compétences RQIIAC11

11 Pour le détail des différentes approches en organisation communautaire, voir RQIIAC (2020).

12 Grenier, J., & Bourque, M. (2018). Les services sociaux à l’ère managériale. Presses de l’Université Laval.

13 Leclercq, J.B. (2019).  Dépasser le cadre normatif pour penser son action en termes d’inégalités sociales – Réflexivité collective d’organisateurs et organisatrices communautaires (Québec). Sciences & Actions Sociales,  n° 11 (mis en ligne le 11 juin 2019). https://doi.org/10.3917/sas.011.0008.  

14 Leclercq, J. B., & Couvy, C. (2023). Arrimages entre les équipes-programmes, les services en organisation communautaire et le milieu communautaire – Rapport de synthèse d’une étude exploratoire au CCSMTL. Document produit dans le cadre d’une recherche exploratoire sur l’approche Éclaireurs développée au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. 

15 Bourque, D., Jetté, C. (2018). Nouvelle gestion publique et les rapports entre l’État et le secteur communautaire, in Bourque, M., & Grenier, J. Les services sociaux à l’ère managériale, 149-176. 

16 Lachapelle, R., Bourque, D., & Foisy, D. (2010). Les apports de l’organisation communautaire en CSSS aux infrastructures communautaires de développement des communautés. Service social56(1), 1-14. https://doi.org/10.7202/039775ar

17 Lachapelle, R. (2017). Être passeur : la fonction de liaison en organisation communautaire. PUQ.