L’accompagnement est un acte de soin

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’un projet mené au CREMIS en collaboration avec quatre organismes autochtones1 pour favoriser l’implantation de la sécurisation culturelle au sein des urgences hospitalières du CCSMTL. Au cours de ce projet, des membres de la communauté autochtone de Montréal ont suggéré au CREMIS de faire valoir un article de la Coalition professionnelle pour la santé autochtone au Québec (COPSAQ), paru dans la revue Perspective infirmière en 20232. Suivant cette recommandation, l’équipe du CREMIS rencontre en décembre 2024 Lucie-Catherine Ouimet, l’une des autrices de l’article et membre de la COPSAQ. Elle est accompagnée de sa collègue, Pénélope Boudreault. Cette entrevue donne lieu à l’enregistrement d’un épisode du balado Sur le vif du CREMIS3 et à l’écriture du présent texte4.

Lucie-Catherine Ouimet est infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne chez Médecins du Monde. Pénélope Boudreault est infirmière clinicienne et directrice des opérations nationales et du développement stratégique pour Médecins du monde Canada. Depuis le 5 septembre 2023, elles travaillent ensemble au sein de la clinique de proximité en santé autochtone, un projet pilote issu d’une collaboration entre le Centre d’amitié Autochtone de Montréal et Médecins du Monde. Au cours de cet échange, elles partagent avec nous leurs expériences de pratique et tracent des pistes à suivre pour favoriser des collaborations plus lumineuses entre les différent·es acteurs·trices de la santé et des services sociaux, et pour faire évoluer les pratiques professionnelles en vue d’offrir des services plus équitables.

Sécurisation culturelle

La Coalition professionnelle pour la santé autochtone au Québec (COPSAQ) définit ainsi la sécurisation culturelle, comme levier de l’équité en santé :

« La sécurité culturelle […] est produite lorsqu’il y a remise en question des relations de pouvoir dans les relations, de même que dans les organisations, dans le but d’atteindre l’équité en santé […]. [L]a remise en question des relations de pouvoir est une condition nécessaire à la lutte contre le racisme systémique et doit faire partie du développement professionnel des infirmières (AIIC, 2018; McGuire-Adams, 2021). […] Plutôt que d’apprendre ce que l’on doit faire à l’autre, la sécurisation culturelle est surtout une pratique perpétuelle de transformation de soi en vue, éventuellement, d’agir adéquatement auprès d’autrui. Le concept de sécurité culturelle, lequel procède par un auto-examen des impacts de sa propre culture sur les processus de soins, permet alors d’atteindre l’équité en santé. » (COPSAQ, 2023, p.57-58).

Dialogues

Lorsque Lucie-Catherine Ouimet et Pénéope Boudreault décrivent leurs collaborations, elles nous parlent avant tout de conviction, et de dialogue. Elles disséminent quantité d’exemples d’initiatives inspirantes, qui illustrent non seulement ce qui peut être réalisé par celles et ceux « qui y croient », mais qui révèlent également la force du maillage entre ces initiatives.

Lucie-Catherine Ouimet : ce qui aide à la collaboration, c’est d’avoir un interlocuteur qui croit au projet, qui croit en la réalisation de ce projet-là. Quand j’ai rencontré Pénélope pour la première fois, je travaillais pas encore pour Médecins du Monde (MdM). Je travaillais sur un projet de l’université McGill, qui faisait des cliniques infirmières communautaires. Mais j’ai été beaucoup en contact avec les navigateurs autochtones, et c’est comme ça que j’ai commencé à connaitre Médecins du Monde. […] De fil en aiguille, avec le fait que le projet de McGill n’allait pas continuer et le fait que je répondais à un besoin qui est assez criant pour les Premières Nations, Inuit et Métis dans la rue, Mathieu, un des navigateurs autochtones de MdM, a eu l’idée qu’on se mette en contact avec Pénélope et qu’on essaie de créer un projet de clinique de proximité. J’étais déjà au Centre d’amitié autochtone, et la directrice a tout de suite été très emballée, ça a été très vite.

Clinique de proximité en santé autochtone au Centre d’amitié Autochtone de Montréal

La Clinique de proximité en santé autochtone au Centre d’amitié Autochtone de Montréal a été développée en collaboration avec Médecins du Monde et propose des services de santé destinés aux populations autochtones en situation de vulnérabilité.

Il s’agit d’une clinique sans rendez-vous et à haut seuil d’acceptabilité, qui offre les services d’une infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne (IPSPL), une infirmière clinicienne de liaison, des navigateurs·trices autochtones ainsi qu’un accès à des soins traditionnels, et collabore étroitement avec le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) pour assurer un continuum complet de services.

Pour en savoir plus : https://reseaumtlnetwork.com/programmes/clinique-de-proximite

Navigateurs·trices autochtones

Les navigateurs·trices de Médecins du Monde sont elles et eux-mêmes issu·es des communautés autochtones. Ils et elles ont pour mandat d’accompagner les personnes autochtones en situation d’itinérance ou à risque de le devenir en milieu urbain, afin qu’elles puissent mieux cheminer dans les complexités du système de santé.

Leur travail consiste à aller à la rencontre des personnes pour comprendre leurs besoins et développer avec elles des relations de confiance, à collaborer avec le personnel de santé et des services sociaux pour offrir aux personnes accompagnées un soutien personnalisé et culturellement adapté, et à accompagner, à titre de facilitateurs·trices, les personnes dans leurs démarches et rendez-vous médicaux.

Les navigateurs·trices s’efforcent ainsi de faire le pont entre les personnes accompagnées et le système de santé et des services sociaux, tout en conservant des liens durables avec les personnes pour assurer un accompagnement holistique qui transcende les soins individuels.

Pour en savoir plus : https://medecinsdumonde.ca/aide/navigateurs-autochtones

L’avantage d’être un organisme humanitaire, c’est aussi l’avantage de la flexibilité. C’est de ne pas avoir toutes les étapes bureaucratiques. Mais je dirais que même dans un système très bureaucratique, ou très rigide, quand il y a une volonté, puis quand la personne croit à un projet, ça se fait très bien. Je pense à l’exemple de quand j’ai travaillé avec l’équipe de Missinak à Québec pour créer la clinique infirmière praticienne dans le centre MAMUK. On a interpellé le CIUSSS Capitale-Nationale, et la personne interpellée, qui était l’adjointe au PDG, croyait dur comme fer au projet. Et ça a fonctionné comme ça. Il suffit d’avoir quelqu’un qui y croit. Quand il y a de la volonté, when there’s a will there’s a way, comme on dit en anglais, je pense que c’est ça qui fait la grosse différence quand on veut créer quelque chose, mettre en place un projet auquel on croit et qu’on sait pertinemment que ça répond à un besoin. Donc oui, le système en ce moment c’est très difficile, il manque d’agilité, mais l’agilité ça vient aussi avec la volonté des gens de pouvoir faire des choix, puis de bouger. Des fois, ben oui, on dérange, puis des fois on ruffle feathers comme on dit en anglais! Mais c’est souvent ça qui démontre que les choses peuvent fonctionner.

Clinique Uatik’u

La clinique Uatik’u est un projet du Centre Multiservices pour Autochtones en milieu urbain à Kébec (MAMUK). Elle offre des services de soins en santé physique et mentale, auprès d’infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne.

Pour en savoir plus : https://centremamuk.com

[…] Travailler en concertation, c’est ça aussi. Parce qu’à Montréal, il y a d’autres cliniques autochtones qui se sont déployées, mais on ne dessert pas toutes la même clientèle. Donc souvent, on va s’entraider, on va se concerter. Par exemple, je vais dire que j’ai un patient qui est vraiment malade, qui a des problématiques, qui a besoin d’un suivi vraiment plus médical. C’est une personne qui est organisée, qui a son appartement, donc ça correspond un peu plus à la clientèle de Native Montreal par exemple. Native Montreal vont m’envoyer des patients qui sont un peu désorganisés, qui fittent pas tout à fait avec le concept de prendre des rendez-vous, des choses comme ça. C’est la même chose avec Tiohtià:ke, on va s’entraider pour plusieurs patients. On a des fois des patients qui préfèrent se rendre à la clinique Tiohtià:ke, mais c’est quand même souvent avec rendez-vous et c’est certains jours de la semaine. Ça fait en sorte qu’on va se compléter, on va s’entraider. Et je pense que c’est important, aussi, de se parler. Ça, c’est un gros problème qu’on retrouve souvent, quand on parle des problèmes dans notre société. C’est que tout le monde croit à différentes affaires, mais si vous ne vous asseyez pas pour parler, ça marche pas. Tout le monde tire sa couverte de son bord, puis ils essaient de réinventer la roue chacun de leur bord.

Pénélope Boudreault : se parler, mais aussi s’écouter. Il y a beaucoup de monde qui parle, mais qui n’entend pas.

Lucie-Catherine Ouimet : dialoguer.

Clinique de santé familiale de Native Montreal

La clinique de santé familiale de l’organisme Native Montreal fournit des soins de première ligne culturellement sécurisants aux personnes autochtones de Montréal et de sa région métropolitaine. Elle offre des services médicaux, de navigation en santé, d’intervention psychosociale et permet de rencontrer des gardiens du savoir.

Pour en savoir plus : https://nativemontreal.com/fr/clinique-sante-familiale

Centre de santé autochtone de Tiohtià:ke

Le Centre de santé autochtone de Tiohtià:ke fournit des services de santé culturellement appropriés, selon une approche holistique dans un environnement culturellement sécurisant, à destination des personnes autochtones de la région du Grand-Montréal. Ses services incluent entre autres des sessions de guérison spirituelle, un jardin et un parcours d’apprentissage pour les étudiant·es en médecine et en sciences médicales.

Pour en savoir plus : https://ihct.ca

À petits pas

Dans la rencontre avec les institutions, de grands changements sont bien sûr encore nécessaires. Lucie-Catherine Ouimet et Pénélope Boudreault nous rappellent toutefois que c’est aussi à travers les petites actions quotidiennes, les attitudes que l’on choisit d’avoir, que l’on transforme le monde tranquillement, un jour à la fois.

Pénélope Boudreault : j’ai commencé il y a longtemps, le CHUM5 s’appelait l’hôpital Saint-Luc dans le temps, et moi j’étais une infirmière sac à dos. C’était avec Ka’wáhse, la patrouille du Centre d’amitié autochtone. Maintenant, ça ne fonctionne plus, mais pendant des années Ka’wáhse avait une van qui se promenait à travers Montréal. On donnait des sandwichs et des cafés aux personnes en situation d’itinérance.

[…] C’est l’hiver, il fait froid, [un monsieur] est assis à côté d’une cabine de téléphone et il me dit “j’ai vraiment mal aux pieds, je peux plus me déplacer, […] ça fait plusieurs semaines que j’ai pas enlevé mes bottes”. Je lui dis “regarde, t’acceptes-tu de venir avec moi à l’hôpital Saint-Luc? J’y vais avec toi, je t’accompagne”. Il accepte de se rendre avec moi, on s’assoit dans la salle d’urgence et là il me dit “tout le monde me juge, je veux m’en aller”. Et moi je le vois, dans la salle, tout le monde le regarde. C’est sûr que ses vêtements sont usés, il a peut-être pas pu se laver depuis plusieurs jours… Et on est là, dans la salle d’attente, les gens le regardent et ils chuchotent. […] On parle, on essaie de lui changer les idées. Le temps passe, c’est long, il est tanné, il veut s’en aller. Mais on jase, on rit, on se raconte des histoires. Puis on va voir l’infirmière au triage, elle est un peu désabusée, tannée probablement, c’est le milieu de la nuit. Elle dit “là, il faut que vous enleviez votre manteau”, et ça semble bien compliqué. Moi, je disais “y’a pas de problème, je l’aide à enlever son manteau!”. La machine à pression est là, il faut prendre sa pression, “regarde je suis infirmière, je vais la prendre, moi, sa pression”. […] On retourne à la salle d’attente. L’infirmière vient nous voir, et nous dit que le médecin refuse de voir le patient à moins qu’il prenne une douche. C’était il y a plusieurs années. Le monsieur dit “oh, je veux m’en aller!”, mais je lui dis “non, non, allez, on y va!”. Et puis là, le préposé est pas très content, parce que la douche va être toute sale, c’est compliqué, il prend un sac de vidanges, il commence à mettre toutes les affaires du monsieur dedans, et le monsieur est comme “non! je veux pas que vous jetiez mes affaires!”, je lui dis que non, c’est juste pour les garder, et j’essaie d’aider autour, de faciliter le travail de tout le monde. Le préposé lui donne des savons, un peu désabusé.

Le monsieur rentre dans la douche, qui est juste à côté du poste des infirmières. Et là, il se met à chanter! Il se lave, et il chante, il chante vraiment fort! Tout le monde se regarde, les infirmières, le préposé, et tout le monde se met à rire. Le monsieur dit “ah! j’pense que ça va me prendre un autre savon!”. Alors le préposé va lui chercher un savon, les infirmières rient, et tout le monde trouve ça bien drôle. Le préposé amène des nouveaux vêtements, des souliers, tout le monde se mobilise un peu. Puis le monsieur sort de la douche, il est tout content, il dit que ça lui a fait du bien. Le médecin le voit, il arrange ses pieds, ça se passe bien. Il sort de l’hôpital, il est vraiment content, toutes les infirmières sont comme “bye, à la prochaine!”.

C’est une longue histoire juste pour dire que, des fois, les personnes ont raison quand elles pensent qu’elles sont jugées, qu’elles sont stigmatisées. C’est vrai. J’étais là, je l’ai vu. Même accompagné par quelqu’un qui a pas l’air d’être une personne de la rue, je le vois. Je le voyais de l’infirmière, je le voyais du préposé aux bénéficiaires. L’urgence déborde, ils sont tannés, ils sont écœurés, ils ont pas les moyens. Le préposé se dit “j’ai pas le temps de nettoyer la douche”. Mais quand on donne tous un petit peu de volonté, on peut faire qu’une expérience tourne finalement positivement pour tout le monde. Les infirmières l’ont trouvé drôle, le médecin était content de l’aider, le patient était content d’avoir pris une douche, puis tout le monde était finalement gentil. Je pense que c’est des petites expériences comme ça qui vont transformer, tranquillement… Peut-être que certaines infirmières, au lieu de voir une personne en situation d’itinérance arriver et se dire “oh… ”, peut être que ce patient-là, la prochaine fois qu’il a besoin d’aller à l’hôpital, il va être moins réticent. Je pense qu’il faut prendre ces moments-là pour permettre une expérience de santé qui est un peu plus positive pour toutes les personnes, c’est comme ça qu’on va changer, transformer le système.

Lucie-Catherine Ouimet : il y a deux ans, une femme est arrivée de sa communauté. C’était une femme un peu plus âgée, elle avait beaucoup d’années d’alcoolisme derrière elle. Elle avait des ascites, son foie était très atteint, ça lui faisait un ventre comme si elle avait une grossesse, son diabète était complètement débalancé, et puis elle était pas bien dans sa peau. Elle fuyait une situation difficile de sa communauté. La première fois que je l’ai vue, on s’est juste assises, elle était très sur la défensive. Elle me disait “tu vas me dire qu’il faut que je fasse ça, ça, ça”. J’ai dit “ben non, on va juste s’asseoir. Tu veux-tu un café? On va jaser”. Et de fil en aiguille, tranquillement, avant qu’on commence à faire quelque chose, on a juste créé un lien de confiance. Je la croisais, je lui demandais “puis, comment ça va?”, ”oh, ce matin mes genoux…”, “viens-t’en, on va aller jaser, on va regarder ça”. Et là je lui frottais ses genoux, je lui donnais quelque chose pour sa douleur. Elle a accepté qu’on prenne sa glycémie tous les jours. On regardait les valeurs, je lui expliquais. Alors tous les jours elle venait, [on prenait sa glycémie], et elle était contente quand ça descendait en bas de 10 à jeun, ou des choses comme ça.

Tranquillement, on a commencé à faire des traitements pour le diabète, parce qu’elle comprenait beaucoup mieux ce qui se passait. Pour ses problèmes d’alcool, c’était les premières fois que j’étais en contact avec l’unité des toxicomanies du CHUM. C’est grâce à cette femme-là qu’on a commencé à développer un corridor de services.

Elle est allée faire un sevrage, et elle a finalement été prise en charge à l’hôpital avec l’hépato-onco, parce qu’elle avait des tumeurs au foie aussi. Puis elle a été opérée. Là, elle est ressortie, elle a pas rechuté, elle est restée au refuge Projet Autochtone Québec, et elle a fait une demande pour avoir un appartement dans leur maison de transition. La première fois, elle a refusé l’appartement parce qu’elle était pas sûre qu’elle allait aimer ça, être toute seule dans un appartement… Finalement, elle a eu une petite rechute, et à un moment donné elle s’est dit “je veux l’avoir l’appartement“, alors on a remis son nom.

C’est toutes des petites étapes, tranquillement. C’est le temps de créer le lien de confiance, qui fait que tu prends la personne où elle est. Quand elle est prête, tu prends la personne, tu jases, et tu fais avec. Quand elle a décidé d’arrêter de boire, on se demandait de quelle façon elle préférait faire ça. Elle disait qu’elle voulait aller à l’hôpital, parce qu’elle avait déjà essayé d’arrêter et qu’elle a fait des black out. C’est étape par étape. Et là, en ce moment, elle habite dans un appartement, elle a un amoureux, elle fait du sport, elle est suivie de façon serrée en hépato, elle va beaucoup mieux, son diabète est relativement sous contrôle. Et elle revient souvent! Elle visite, elle vient prendre un café, elle veut que je lui prenne sa pression. Je le sais que c’est pas pour d’autres choses que juste venir jaser!

Perspectives

En 2023, Lucie-Catherine Ouimet a co-signé un article dans la revue Perspective infirmière, qui propose des pistes d’action sécuritaires en faveur de la santé des Premières Nations, des Inuit et des Métis (COPSAQ, 2023). L’idée derrière ce texte est d’amener les lecteurs·trices à réfléchir à leurs propres postures, à reconnaître les manifestations du racisme systémique dans le cadre professionnel et, finalement, à identifier ce qu’il est possible de faire à leur niveau pour favoriser l’équité en santé. L’article revient notamment sur la notion de double perspective :

« Cette double perspective, c’est “apprendre à voir d’un œil ce qu’il y a de mieux dans les modes de connaissance autochtones, et de l’autre œil ce qu’il y a de mieux dans les modes de connaissance occidentaux (ou dominants) et apprendre à utiliser ces deux yeux ensemble pour le bénéfice de tous” » (Bartlett, Marshall et Marshall, 2012, p. 335). L’approche de la double perspective soutient qu’il existe différentes perceptions du monde (Hovey et al., 2017; Iwama et al., 2009; Martin, 2012) et qu’il est nécessaire de reconnaître, de respecter et d’intégrer cette diversité de perspectives (Iwama et al., 2009; Martin, 2012) sans perpétuer la domination de l’une sur l’autre (Iwama et al., 2009). Il s’agit alors d’un cadre holistique et réflexif où tous les points de vue sont valorisés pour faciliter l’intégration des différentes perspectives et ainsi, élargir la compréhension d’un phénomène (Bartlett et al., 2012). » (COPSAQ, 2023, p.55).

Les auteurs·trices proposent des exemples concrets de démarches possibles pour développer des pratiques culturellement sécurisantes. À un niveau individuel, il peut s’agir par exemple d’écouter les patient·es qui parlent de leurs traumas, de cultiver son humilité et d’être réceptif·ive à la critique envers son propre comportement, ou encore de faire appel aux ressources autochtones désignées comme les agent·es de liaison, les interprètes ou les guérisseurs·euses traditionnel·les. À un niveau collectif, il est possible de former des groupes de discussion contre le racisme, de rendre disponibles et visibles les services de soutien offerts ou encore d’appuyer les propos des mouvements autochtones et voter des motions de soutien en assemblée syndicale (COPSAQ, 2023). Cette posture professionnelle offre un cadre d’analyse inspirant pour mieux comprendre ce qui se joue au sein du réseau de la santé et des services sociaux, et offre un terreau fertile pour le développement de pratiques, de projets et de collaborations fructueuses.

Cercle consultatif en santé des autochtones de Montréal

En 2022, l’équipe du CREMIS a rencontré Stéphanie Héroux-Brazeau, qui était alors la coordonnatrice du Cercle consultatif en santé des autochtones de Montréal. Au cours d’une entrevue réalisée pour le balado Sur le vif, elle nous parle de l’importance de la décolonisation du système de santé et de l’amélioration des services pour les personnes autochtones :

« Le Cercle consultatif en santé des autochtones de Montréal fonctionne en collaboration entre des organisations autochtones et les membres de plusieurs CIUSSS, qui se rencontrent sur une base régulière pour prendre des décisions par et pour les personnes autochtones, de porter honneur à leur voix et de reconnaître qu’ils et elles sont les seul·es et uniques expert·es de leur réalité, et donc nécessairement capables de développer des solutions qui leur conviennent ». (Héroux Brazeau, 2022).

Pour en savoir plus sur les travaux du Cercle consultatif en santé des autochtones de Montréal, vous pouvez écouter l’épisode du balado Sur le vif # 28 — Pour un accès équitable aux soins et services à l’intention des Premières Nations et des Inuit avec Stéphanie Héroux-Brazeau et lire l’article Décoloniser le système de santé, aperçu des travaux du Cercle consultatif en santé des Autochtones de Montréal, paru dans le numéro 13(2) Automne 2022 de la Revue du CREMIS.

Lien vers le balado: https://cremis.ca/balados/sur-le-vif?id=15206

Lien vers l’article: https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/decoloniser-le-systeme-de-sante

Actes de soin

Lucie-Catherine Ouimet : pourquoi on travaille si bien ensemble? Parce qu’on est deux personnes qui avons les mêmes valeurs, puis qui croyons à la nécessité de ce genre de projet là.

Pénélope Boudreault : j’ai envie de dire qu’on est complémentaires. On n’essaie pas de faire la job de l’autre, on reconnait l’expertise de chacune. On est créatives, on rêve, on est un peu naïves, un peu folles, du genre à faire les choses différemment, se relever, continuer. […] Et on se respecte vraiment beaucoup.

La collaboration de Lucie-Catherine Ouimet et Pénélope Boudreault s’inscrit dans une relation de complémentarité et de respect mutuel, dans laquelle s’enracine leur volonté de faire bouger les choses. À travers leur exemple inspirant, c’est aussi une approche holistique de la santé qui apparaît.

Pénélope Boudreault : Mathieu, le coordonnateur du projet de navigation, qui est lui-même navigateur autochtone, dit souvent : “[…] l’accompagnement, dans la vision de la santé holistique, c’est un acte de soin. C’est de la santé”. […] C’est pas seulement “tu fais un traitement de 10 jours, t’as fini ton traitement, voici la santé!”. C’est pas ça. L’accompagnement est un acte de santé. Je trouve ça beau de voir la santé comme ça.

Lucie-Catherine Ouimet : quand on parle de l’approche holistique, c’est vraiment ça : on n’adresse pas le physique seulement, on adresse tout le reste. […] La façon dont notre système de santé est construit, je pense que c’est comme ça dans beaucoup de pays en occident, on a une approche très biomédicale. C’est une approche très médicalisée, avec le professionnel de la santé, le médecin, au centre. J’enlève rien, les médecins peuvent être de super bons professionnels de la santé, mais… c’est pas l’unique [approche possible].

Pénélope Boudreault : je pense que, même quand t’es dans le système avec des personnes qui ont des visions, des valeurs différentes, qui ont des mandats différents, quand il y a du respect, et quand il y a une volonté d’accueillir l’expertise de l’autre personne, tout est possible. Et puis, on commence à petite échelle. On changera pas le monde demain. Mais si on commence maintenant, on va le transformer.

Notes

  1. Le Centre d’amitié Autochtone de Montréal, le Projet de Travailleurs de Soutien aux Autochtones, le Centre de santé autochtone de Tiotihà:ke et le Réseau de la communauté autochtone à Montréal.
  2. Coalition professionnelle pour la santé autochtone au Québec (COPSAQ). (2023). Développer sa conscience critique pour un système de santé plus équitable : pistes pour des actions infirmières sécuritaires en faveur de la santé des Premières Nations, des Inuit et des Métis (PNIM). Perspective infirmière, 20(2), 54-63. https://www.oiiq.org/developper-sa-conscience-critique-pour-un-systeme-de-sante-plus-equitable
  3. Sur le vif # 33 — L’intervention culturellement sécurisante : la pratique engagée de deux soignantes. L’entretien a été réalisé et animé par Rachel Benoit, coordonnatrice à la mobilisation et au transfert des connaissances au CREMIS, le 19 décembre 2024. Pour écouter le balado : https://cremis.ca/balados/sur-le-vif?id=23191
  4. Le texte a été rédigé par Chloé Couvy, secrétaire de rédaction pour la Revue du CREMIS, à partir des propos de Lucie-Catherine Ouimet et Pénélope Boudreault.
  5. Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Références

Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC). (2018). Énoncé de position — Encourager la compétence culturelle dans les soins infirmiers. https://www.cna-aiic.ca/fr/representation-et-politiques/outils-daide-aux-politiques/enonces-de-position

Bartlett, C., Marshall, M. et Marshall, A. (2012). Two-eyed seeing and other lessons learned within a co-learning journey of bringing together indigenous and mainstream knowledges and ways of knowing. Journal of Environmental Studies and Sciences, 2(4), 331-340. http://doi.org/10.1007/s13412-012-0086-8

Coalition professionnelle pour la santé autochtone au Québec (COPSAQ). (2023). Développer sa conscience critique pour un système de santé plus équitable : pistes pour des actions infirmières sécuritaires en faveur de la santé des Premières Nations, des Inuit et des Métis (PNIM). Perspective infirmière, 20(2), 54-63. https://www.oiiq.org/developper-sa-conscience-critique-pour-un-systeme-de-sante-plus-equitable

Héroux-Brazeau, S., Benoit, R., Cunningham, J. et Sallée, N. (2022). Décoloniser le système de santé, aperçu des travaux du Cercle consultatif en santé des Autochtones de Montréal. Revue du CREMIS, 13(2), 16-22. https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/decoloniser-le-systeme-de-sante

Hovey, R. B., Delormier, T., McComber, A. M., Lévesque, L. et Martin, D. (2017). Enhancing Indigenous health promotion research through Two-Eyed Seeing: A hermeneutic relational process. Qualitative Health Research, 27(9), 12780-1287. https://doi.org/10.1177/1049732317697948

Iwama, M., Marshall, M., Marshall, A. et Bartlett, C. (2009). “Two-Eyed Seeing and the language of healing in community-based research. Canadian Journal of Native Education, 32(2), 3. https://doi.org/10.14288/cjne.v32i2.196493

Martin, D. H. (2012). Two-eyed seeing: A framework for understanding indigenous and non-indigenous approaches to indigenous health research. Canadian Journal of Nursing Research, 44(2), 20-42. https://cjnr.archive.mcgill.ca/article/view/2348

McGuire-Adams, T. (2021). Settler allies are made, not self-proclaimed: Unsettling conversations for non-Indigenous researchers and educators involved in Indigenous health. Health Education Journal, 80(7), 761-772. https://doi.org/10.1177/00178969211009269