L’accès aux Centres de la petite enfance : lever les barrières

Améliorer l’accès aux centres de la petite enfance (CPE) pour les enfants de familles à faible revenu1 est une stratégie démontrée efficace pour soutenir le développement des jeunes enfants et réduire les inégalités de santé dans la population. Tout d’abord, les connaissances les plus à jour indiquent que c’est dans les CPE que l’on retrouve les niveaux de qualité de service les plus élevés (Gingras et al., 2015; Lemay et al., 2018). Ensuite, les services y sont gratuits pour certains parents ayant un statut particulier, notamment ceux qui sont prestataires de l’aide sociale. De plus, les CPE ont des liens privilégiés avec les professionnels des CLSC (MF, 2019), ce qui facilite l’accès aux services de santé pour les enfants ayant des besoins particuliers. Enfin, de par leur structure qui leur permet de dégager du temps pour assister aux activités de concertation ou de formation organisées dans la collectivité (Laurin et al., 2013), les CPE sont davantage ouverts sur la communauté et mieux positionnés pour connaître et faire connaître aux familles les autres services ou activités qui leur sont destinés. Les enfants de familles à faible revenu bénéficient donc particulièrement de la fréquentation d’un CPE au cours de leur parcours préscolaire.

Dans les dernières années, en s’appuyant sur ses travaux d’enquête sur les parcours préscolaire (Guay et al., 2015; Laurin et al., 2019a) , la Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP) a pris position à plusieurs reprises en faveur du modèle des CPE, notamment pour que soient développées des nouvelles places dans les quartiers défavorisés et les quartiers moins bien desservis. Cela a été le cas lors de la commission sur l’éducation à la petite enfance et celle sur la réussite éducative en 2016, de l’étude du projet de loi 143 sur la qualité éducative en 2017 et du Projet de loi 5 sur l’offre de maternelle à tous les enfants de 4 ans en 2019.

Cet article présente les résultats des plus récents travaux de la DRSP sur les services de garde. Dans un premier temps sera présenté le portrait du parcours préscolaire des enfants montréalais selon le statut socioéconomique réalisé en 2017. Les différences observées entre les résultats obtenus en 2012, lors de la première édition du portrait, et 2017 seront également présentées (Laurin et al., 2019a).  Dans un second temps sera présenté, en complémentarité, le portrait montréalais de l’accessibilité aux centres de la petite enfance selon la défavorisation et la proportion d’enfants ayant une vulnérabilité développementale (Laurin et al., 2019b).

Le Québec offre une diversité de services dits éducatifs pour les enfants d’âge préscolaire, lesquels sont obligés d’offrir un programme éducatif adapté à l’âge de l’enfant. À Montréal, ces services éducatifs incluent les services de garde régis ainsi que la maternelle 4 ans publique  à temps plein ou demi-temps (voir encadré). Ces services sont utilisés par une large majorité de la population, 90% des enfants les ayant fréquentés régulièrement avant leur entrée à la maternelle

Services éducatifs

Services de garde régis
– Centre de la petite enfance (CPE)
– Garderie subventionnée
– Garderie non subventionnée
– Milieu familial subventionné

Maternelle 4 ans
– À temps plein en milieu défavorisé
– À demi-temps en milieu défavorisé

Parcours préscolaire selon le statut socioéconomique

Le portrait du parcours préscolaire des enfants montréalais, effectué en 20172, souligne plusieurs disparités dans la fréquentation des services éducatifs entre les enfants de familles à faible revenu et ceux de familles mieux nanties. Les premiers sont tout d’abord moins nombreux en proportion à avoir fréquenté les services éducatifs que les seconds (84% c. 94%). Les enfants de familles à faible revenu commencent aussi à fréquenter un service éducatif plus tardivement que leurs pairs mieux nantis. Ils sont environ deux fois moins nombreux en proportion (21% c. 50%) à intégrer un service éducatif avant 18 mois et environ deux fois plus nombreux en proportion à commencer à 3 ans et plus (45% c. 20%).

En ce qui concerne les profils de fréquentation des différents services, les enfants de familles à faible revenu sont plus nombreux en proportion à n’avoir jamais fréquenté un CPE à un moment donné au cours de leur parcours dans les services éducatifs que leurs pairs mieux nantis (66% c. 46%) et sont aussi plus nombreux à avoir fréquenté exclusivement une garderie non subventionnée (18% c. 12%), un milieu familial subventionné ou une maternelle 4 ans. Aujourd’hui, ce sont donc encore les enfants de familles mieux nanties qui ont le plus accès aux CPE. Soulignons également qu’une fois intégrés dans un CPE, plus de huit enfants sur dix y demeurent jusqu’à l’entrée en maternelle et ce, indépendamment du statut économique. Étant donné que les enfants de familles mieux nanties commencent à fréquenter les services plus précocement que leurs pairs de familles à faible revenu, ils ont accès aux places en CPE en priorité.

Lorsqu’on s’intéresse à l’évolution du portrait depuis 20123, on constate un accroissement du nombre d’enfants de familles à faible revenu qui fréquentent les services de garde éducatifs. Aussi, les enfants de familles mieux nanties commencent à les fréquenter plus précocement. Quant aux profils de services fréquentés, nous notons une baisse de la fréquentation exclusive d’un CPE chez les enfants de familles mieux nanties et une hausse considérable de la fréquentation exclusive des garderies non subventionnées chez les enfants de familles à faible revenu.

Accessibilité

Les disparités dans l’accès aux modes de garde s’observent aussi géographiquement. La figure 1, qui présente le taux de places en CPE selon le quintile de défavorisation matérielle des territoires de CLSC, illustre que, tendanciellement, les territoires considérés plus favorisés matériellement sont ceux qui ont le meilleur accès aux CPE. On y constate notamment qu’en 2019, le taux de places en CPE dans le quintile le plus favorisé est plus du double de celui du quintile le plus défavorisé.

Figure 1

Pour mieux connaître les territoires de CLSC qui devraient être priorisés par le ministère de la Famille pour le développement de places en CPE, la DRSP a croisé les taux de places en CPE avec la défavorisation matérielle (figure 2) ainsi qu’avec la proportion d’enfants ayant une vulnérabilité développementale selon l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM)4. Il ressort que ce sont dans les territoires de  Montréal-Nord, Saint-Michel, Parc-Extension et LaSalle que l’iniquité d’accès aux CPE est la plus grande et c’est dans ces territoires que les enfants bénéficieraient le plus de fréquenter ces services.

Figure 2

Discussion

Plusieurs pistes peuvent être avancées pour expliquer ces résultats préoccupants. Tout d’abord, la stagnation dans la fréquentation des CPE au profit de la fréquentation des garderies privées non subventionnées chez les enfants de familles à faible revenu peut être liée à des changements significatifs5 dans les réseaux de l’éducation et des services de garde qui, depuis 1998, ont peu favorisé le développement des places en CPE. Comme on peut l’observer dans la figure 3 (Évolution du nombre de places en services de garde pour les enfants de 0-4 ans selon le type de services de garde, Montréal, 1990 à 2019), en deux décennies, la part relative des places en CPE a diminué progressivement, passant de 38,4 % à 28,3 %. À l’opposé, les places en garderies privées non subventionnées, presque inexistantes en 1998 (0,8 %), comptent pour 33,2 % des places en services de garde éducatifs en 2019, dépassant la proportion de places offertes en CPE. Ainsi, il s’est développé près de 8 fois plus de places en garderies privées non subventionnées de 2009 à 2019. Pour l’instant, rien n’indique un changement de cap dans les prochaines années qui puisse freiner le développement de ce type de service.

Figure 3

La stagnation dans la fréquentation des CPE au profit de la fréquentation des garderies privées non subventionnées chez les enfants de familles à faible revenu peut aussi s’expliquer par le fonctionnement de l’aide financière gouvernementale. En effet, le fait de fréquenter une place subventionnée comparativement à une garderie non subventionnée dont les services coûtent en moyenne 25$ par jour n’a pas un impact au plan économique pour les familles à faible revenu. En d’autres termes, cela revient du pareil au même pour ces familles au niveau financier, et ce aussi bien avant qu’après la modulation des frais de garde de 2015.

Un autre élément d’explication à la sous-représentation des enfants de familles à faible revenu dans les CPE peut venir aussi du fait que les enfants de familles mieux nanties commencent à fréquenter les services de garde plus précocement que leurs pairs à faible revenu, suite au retour au travail de leurs parents après le congé parental d’une année. Il est connu que ces parents inscrivent leur enfant sur des listes d’attente dès les premiers mois de grossesse. Ainsi, selon le principe du «premier arrivé, premier servi», ces enfants occupent en priorité les places en CPE. Nos travaux antérieurs témoignent d’ailleurs que le manque de places en CPE est la principale raison invoquée par les familles à faible revenu pour justifier la non-utilisation de ce mode de garde (Guay et al., 2015).

Priorités

Le portrait 2017 du parcours préscolaire des enfants montréalais suggère qu’aucun gain n’a été fait depuis 2012 pour diminuer l’inégalité d’accès aux CPE pour les enfants de familles à faible revenu. La proportion d’enfants de familles à faible revenu n’ayant jamais fréquenté un CPE n’a pas diminué depuis 2012, alors que la fréquentation de garderies privées non subventionnées est en augmentation constante. Ces résultats sont préoccupants puisqu’un tel parcours n’apparaît pas actuellement comme la meilleure option pour les enfants montréalais. La garderie privée non subventionnée est loin d’offrir les mêmes avantages que le CPE, notamment en termes de qualité de services (Gingras et al., 2015; Lemay et al., 2018) et de liens avec le réseau de la santé. Pour l’année 2015-2016, le taux de plaintes était 4,5 fois plus élevé pour les garderies non subventionnées que pour les CPE (Couturier et al., 2016).

Nous ne pouvons qu’espérer que le processus d’évaluation de la qualité éducative en vigueur depuis le printemps 2019, suite à la loi 143, assurera à chaque enfant d’avoir accès à un parcours éducatif de qualité, peu importe le service de garde choisi. Ainsi, il est espéré que cette loi, qui oblige tous les milieux de garde à participer au processus d’évaluation et d’amélioration de la qualité éducative6, rehaussera la qualité des milieux non subventionnés où l’on retrouve des enfants de familles à faible revenu en proportion importante.

Quant au portrait de l’accessibilité aux CPE à Montréal, ce dernier montre que quatre territoires de CLSC devraient être priorisés pour le développement de nouvelles places, soit les CLSC de Montréal-Nord, Parc-Extension, St-Michel et LaSalle. Ces territoires ont besoin d’être soutenus pour lever les barrières financières et structurelles qui peuvent freiner ou décourager certains acteurs à présenter des projets de CPE pour leur communauté lors des appels de projets du ministère de la Famille.

La prochaine édition de l’Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle aura lieu en 2022. Il est évident que l’interprétation de ce nouveau portrait sera fortement teintée par le contexte actuel de pandémie de COVID-19. Plusieurs milieux de garde non subventionnés sont à risque de fermer leurs portes en raison des importants coûts financiers requis pour offrir des services répondant aux exigences sanitaires. La mission éducative de l’ensemble des milieux de garde et la qualité du service rendu sont aussi mises à mal pour ces mêmes raisons.

Face à tous ces enjeux qui pèsent sur le réseau des services de garde, l’auteure principale de cet article, chercheure d’établissement à la DRSP de Montréal, a formé en mai dernier un comité régional composé d’un représentant montréalais de l’Association québécoise des centres de la petite enfance, l’Association des garderies privées subventionnées du Québec, l’Association des garderies privées non subventionnées en installation, l’Association des haltes-garderies communautaires du Québec et du ministère de la Famille. Par ce comité, la chercheure souhaite maintenir une communication directe avec les représentants régionaux des associations des services de garde pour soutenir leurs membres dans le contrôle de la transmission de COVID‑19 et la gestion des éclosions ainsi que documenter les impacts de la pandémie sur le réseau, notamment sur la mission éducative et la qualité des services. Le comité se réunit hebdomadairement et les préoccupations soulevées sont documentées et communiquées au palier national.

La DRSP a aussi formé des brigades de prévention des éclosions en service de garde dans les cinq CIUSSS de l’Île de Montréal. Des professionnelles de la santé ont le mandat de soutenir tous les milieux de garde de leur territoire dans l’application des mesures sanitaires et concernant d’autres enjeux rencontrés en lien avec la pandémie. En complément, la DRSP assure un soutien pour les situations plus particulières où un cas de COVID-19 expose le milieu de garde. Ainsi, dans le contexte de la pandémie, la chercheure est directement en lien avec ce qui se passe sur le terrain et elle pourra s’appuyer sur cette expérience, notamment, pour interpréter le prochain portrait de 2022.

Notes

  1. Dans ce texte, la désignation de «famille à faible revenu» réfère aux familles vivant sous le seuil de la mesure de faible revenu (MFR) alors que les familles mieux nanties ont un revenu égal ou supérieur au seuil de la MFR.
  2. Pour 2017, les données utilisées proviennent de l’Enquête Québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle (EQPPEM) (Lavoie et al., 2019) qui a été réalisée auprès des parents et qui porte sur la trajectoire préscolaire des enfants de maternelle 5 ans en 2016-2017 dans les écoles francophones et anglophones, publiques ou privées du Québec. Ces données sont couplées à celles issues de l’EQDEM 2017 (Simard et al., 2019) dont l’objectif était d’évaluer le développement des enfants de maternelle. En ne retenant que les enfants résidant sur l’île de Montréal, on obtient un échantillon probabiliste constitué de 1014 enfants.
  3. Pour 2012, les données utilisées proviennent de L’Enquête montréalaise sur l’expérience préscolaire des enfants de maternelle (EMEP) qui a été réalisée auprès des parents et qui porte sur la trajectoire préscolaire des enfants de maternelle 5 ans en 2011-2012 sur l’île de Montréal, fréquentant les écoles francophones et anglophones publiques. L’Échantillon était de 1184 enfants (Guay et al.; 2015).
  4. La carte est disponible dans le document suivant : Laurin, Isabelle, Vivianne Martin et Nathalie Bigras. (2019b). Portrait montréalais de l’accessibilité aux centres de la petite enfance (CPE). Montréal : Direction régionale de santé publique, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
  5. Notamment par la levée du moratoire sur l’établissement de nouvelles garderies privées (2003), la bonification du crédit d’impôt pour frais de garde (2009 et 2015) et l’introduction récente de la modulation des tarifs de garde (2015).
  6. Sur rendez-vous, une équipe de trois évaluateurs de Servirplus se présente dans les services de garde pour évaluer la qualité éducative à l’aide de différents instruments de mesure de la qualité reconnus scientifiquement. L’évaluation requiert une journée. La récurrence des évaluations est établie en fonction de la date de renouvellement de permis (habituellement aux cinq ans). https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/mesure-qualite-educative.PDF

Références

Couturier, E.L. et P. Hurteau (2016), Les services de garde au Québec : champ libre au privé. Rapport de recherche, Montréal, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

Direction régionale de santé publique (DRSP), CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (2016), Commission sur l’éducation à la petite enfance. Mémoire du directeur régional de santé publique de Montréal, Montréal, Direction régionale de santé publique.

Direction régionale de santé publique (DRSP), CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (2019), Des services précoces, accessibles et de qualité pour favoriser le développement des enfants. Mémoire de la Directrice régionale de santé publique de Montréal dans le cadre du projet de loi 5 sur les maternelles 4 ans, Montréal, Direction régionale de santé publique.

Gingras, L., A. Lavoie et N. Audet (2015), Enquête québécoise sur la qualité des services de garde éducatifs – Grandir en qualité 2014. Tome 2. Qualité des services de garde éducatifs dans les centres de la petite enfance (CPE), Québec, Institut de la statistique du Québec.

Guay, D., I. Laurin, N. Bigras, P. Toussaint, M. Fournier (2015), Portrait du parcours préscolaire des enfants montréalais. Résultats de l’Enquête montréalaise sur l’expérience préscolaire des enfants de maternelle (EMEP 2012), Montréal, Direction de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal.

Lavoie, A., L. Gingras, et N. Audet (2019), Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle 2017. Tome 1. Portrait statistique pour le Québec et ses régions administratives, Québec, Institut de la statistique du Québec.

Laurin, I., A. Bilodeau, N. Giguère et A. Lebel (2013), «L’initiative des sommets montréalais : ses retombées sur la mobilisation», Le point sur… l’action intersectorielle, no 1, Centre de recherche Léa-Roback, 12 p.

Laurin, Isabelle, Danielle Guay, Michel Fournier et Nathalie Bigras. (2019a), Portrait du parcours éducatif préscolaire des enfants montréalais et son effet sur leur développement à la maternelle selon le statut socioéconomique, Montréal, Direction régionale de santé publique, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Laurin, Isabelle, Vivianne Martin et Nathalie Bigras, (2019b), Portrait montréalais de l’accessibilité aux centres de la petite enfance (CPE), Montréal, Direction régionale de santé publique, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Lemay, L., G. Cantin et J. Lemire (2018), Évaluer et améliorer la qualité éducative en services de garde en installation. Résultats d’un projet pilote (2016), Coll. «Conférence Résultats de recherche pour réfléchir ensemble : l’éducation à la petite enfance s’invite dans la campagne électorale», Montréal, Université du Québec à Montréal.

Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MEESR) (2015), Mise en œuvre du service éducatif de la maternelle 4 ans à temps plein en milieu défavorisé, Québec, Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Ministère de la Famille (MF) (2019), Étude des crédits 2019-2020. Renseignements particuliers de l’opposition officielle, p. 279.

Simard, M., A. Lavoie et N. Audet (2019), Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle 2017. Portrait statistique pour le Québec et ses régions administratives, Québec, Institut de la statistique du Québec.