« Ça touche toute l’ensemble de sa personne, le fait qu’on soit discriminés. » Mélanie Fournier, personne première concernée1
« La société me disait qu’on ne peut pas vivre seule parce qu’on a une déficience. » Julie Brodeur, personne première concernée, en appartement autonome depuis 9 ans1
Dans cet article, nous souhaitons aborder la question de la stigmatisation des personnes composant avec une déficience intellectuelle en posant l’hypothèse que la notion d’intelligence, telle que conçue historiquement au sein du modèle médical, participe activement au maintien de la dévalorisation sociale vécue au quotidien par les personnes concernées. Dans cette perspective, nous estimons qu’en l’absence d’une critique frontale de la notion d’intelligence, les personnes associées au « manque d’intelligence », en l’occurrence celles qui composent avec une déficience intellectuelle, sont condamnées à vivre du discrédit social et de la honte.
Subvertir les étiquettes
Depuis le tournant des années 2000, on assiste à des initiatives visant à briser l’image négative historiquement associée à la « folie ». La voix des personnes concernées se fait de plus en plus entendre : les campagnes de sensibilisation à ce que l’on nomme désormais les « problèmes de santé mentale » se multiplient et le mouvement de reconnaissance sociale des enjeux de santé mentale ne cesse de gagner du terrain. La présence de pairs aidant·es dans les services de santé mentale2 et l’émergence de groupes de soutien tel que les « Entendeurs de Voix »3 constituent des exemples concrets de la volonté de placer les expériences vécues et la réappropriation du pouvoir d’agir des personnes concernées au cœur de la lutte contre la stigmatisation.
Dans le même esprit, un mouvement analogue est en cours dans le champ de l’autisme où des regroupements de personnes ayant reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA) et leurs proches souhaitent « dépathologiser » et « déproblématiser » l’autisme en se distanciant de la notion de « trouble » (le « T » de TSA), pour mettre l’emphase sur la richesse de la diversité des profils neurologiques. L’autisme se présente ainsi de moins en moins comme un « trouble » individuel sur lequel l’on se doit d’agir, et de plus en plus comme une catégorie sociopolitique que l’on se doit de reconnaître et de valoriser (Rebechi, 2023).
En remettant en question les définitions et les représentations négatives qui sont associées à la santé mentale et à l’autisme, les personnes concernées procèdent à la réappropriation d’étiquettes imposées de l’extérieur, et à leur subversion en catégorie sociopolitique reconnue comme étant légitime. Un tel processus de subversion n’est pas nouveau ou exclusif à ces domaines : rappelons par exemple que, jusqu’en 1973, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM4) soutenait que l’homosexualité relevait d’un désordre mental et que jusqu’aux années 1990 le mot « queer » était considéré comme une insulte.
Évidemment, la subversion de catégories pathologisées en catégories politiquement valorisées ne suffit pas à éradiquer l’homophobie ou les préjugés liés à la santé mentale et l’autisme. Néanmoins, ce processus permet une réappropriation du pouvoir par les personnes concernées et replace au centre du débat l’importance de valoriser la diversité et de soutenir la mise en place d’environnements inclusifs.
S’il a émergé dans le champ de l’autisme autour de la figure de l’Aspie5, le mouvement de la neurodiversité tend désormais à regrouper des profils neurologiques de plus en plus variés, comme l’autisme, la douance, la dyspraxie, la dyslexie, la dyscalculie, ou le déficit d’attention (Doyle et al., 2020). À l’instar de la biodiversité, de la diversité culturelle, ou de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres, l’idée de la neurodiversité laisse à penser qu’une société en santé est une société composée de profils diversifiés… À une exception près : celle de la déficience intellectuelle.
Effectivement, la déficience intellectuelle n’apparait que très rarement sous le parapluie de la neurodiversité. De manière générale, la déficience intellectuelle constitue au contraire un critère d’exception (Dutriaux, 2023). Comme nous l’avons lu sur les blogues tenus par des personnes se réclamant de la neurodiversité ou entendu au cours d’entrevues avec des parents d’enfants autistes : « on parle d’autisme sans déficience intellectuelle », « dyslexie non liée à une déficience intellectuelle », ou encore « la neurodiversité n’est pas la même chose que la déficience intellectuelle » (Ouellet et Labrecque-Lebeau., 2021). C’est cette tendance à faire de la déficience intellectuelle une catégorie repoussoir, à laquelle il ne faut en aucun cas être associé·e, qui nous intrigue sociologiquement et, pour tout dire, qui nous trouble éthiquement. Au nom de quoi la déficience intellectuelle constituerait-elle un cas d’exception, soustrait à toutes possibilités de se subvertir en une catégorie sociopolitique légitime?
La tare sociale du manque d’intelligence
Soulignons d’abord que selon l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD) (Schalock et al., 2021), le diagnostic de déficience intellectuelle est un état qui se caractérise par : des limitations significatives sur le plan du fonctionnement intellectuel (capacités mentales générales, apprentissage, raisonnement, résolution de problèmes), des limitations sur le plan des comportements adaptatifs (compétences conceptuelles, sociales et pratiques acquises) et le fait que ces limitations (intellectuelles et adaptatives) doivent avoir été constatées au cours de la période de développement de la personne, c’est-à-dire avant l’âge de 22 ans. L’AAIDD spécifie que le fonctionnement intellectuel, désigné comme l’intelligence, peut être mesuré à l’aide d’un test de quotient intellectuel (QI). En général, un résultat d’environ 70 ou de 75 indique une limitation significative du fonctionnement intellectuel.
Soulignons ensuite que, sur le plan sociologique, ce qui surprend lorsqu’on s’intéresse à la déficience intellectuelle dans le contexte actuel, c’est l’absence de questionnement entourant l’objectivation de l’intelligence par le score du QI et son admission comme une mesure standardisée et valide de l’intelligence. Pourtant, la perspective critique sur l’évaluation de l’intelligence ne remonte pas à hier. Mais, dans le domaine de la déficience intellectuelle, cette distance critique semble avoir été mise en suspens. Ceci fait en sorte que, encore aujourd’hui, le manque d’intelligence et la déficience intellectuelle vont de pair. Or, peut-on, à une époque qui valorise par-dessus tout la performance, l’efficacité et les capacités intellectuelles supérieures, imaginer une tare plus grave ou, pour reprendre l’expression de Goffman (1963), une « différence [plus] fâcheuse » que celle du manque d’intelligence? Alors que l’on assiste à l’émancipation individuelle et politique de plusieurs catégories sociales, la déficience intellectuelle semble vouée à demeurer une condition individuelle problématique associée au discrédit, à la honte et à l’indignité.
Pour comprendre les raisons pour lesquelles la notion d’intelligence pèse encore aujourd’hui de tout son poids dans les processus de stigmatisation et de pathologisation de la déficience intellectuelle, nous proposons de revenir sur le contexte historique qui lui a permis de s’installer comme un concept scientifique légitime.
De quoi l’intelligence est-elle le nom?
À l’heure où l’intelligence artificielle s’insinue à très grande vitesse dans la vie sociale et privée des individus, et où la discursivité néolibérale y réserve une place de choix au sein de sa grammaire entrepreneuriale (on parle par exemple d’intelligence économique, d’intelligence managériale, d’intelligence émotionnelle, etc.), aucun consensus scientifique n’existe autour d’une définition de l’intelligence humaine (Sheikh et al., 2023; Sternberg et Detterman, 1986).
Si nous remontons jusqu’aux écrits des philosophes de la Grèce antique, au sein desquels la notion d’intelligence fait son apparition, la notion d’intelligence sert avant tout à décrire les capacités d’acquisition des savoirs et de la science (Stella, 2016; Delcominette, 2014). Déjà, à l’époque d’Aristote, la notion est utilisée comme un outil de classification qui mobilise des critères permettant une hiérarchisation sociale, comme le genre (« la femme possède un intellect naturellement plus faible que celui de l’homme »), l’âge (« la capacité intellectuelle existe sous une forme moins développée chez l’enfant que chez l’adulte »), ou encore le statut (« [les esclaves] n’ont aucune capacité intellectuelle ») (Fernández-Santamaria, 1975, p.140). Ce système classiste, qui assigne arbitrairement un niveau d’intelligence à chaque catégorie d’individus, a pour fonction première de légitimer la domination masculine au sommet de l’ordre social.
Plus près de nous, avec l’avènement de la modernité occidentale, les recherches scientifiques sur la notion d’intelligence ont conservé leur système de classification initiale, tout en concentrant massivement leurs nouvelles analyses autour d’une catégorie principale d’étude : la race. C’est à l’aune de cette période historique que nous jugeons important de comprendre le fonctionnement des processus sociaux et médicaux qui conduiront à la pathologisation de la déficience intellectuelle.
Le paradigme colonial (Ladner et Orsini, 2004) adossé à la modernité occidentale institue un changement de paradigme sur l’intelligence. En introduisant la race au cœur de ses recherches sur l’intelligence, une partie du monde scientifique occidental accompagne épistémologiquement l’effort de déshumanisation des populations noires et autochtones. L’opération « scientifique » de classification des groupes humains au 18ᵉ siècle installe une rigidité et une permanence des conceptions suprémacistes blanches de la race.
Dès lors, pour tout ou partie du monde scientifique, il ne s’agit plus de justifier ces positions, mais plutôt d’alimenter leur bien-fondé par de nouvelles théories. Johann Blumenbach, naturaliste allemand et auteur de l’ouvrage The Unity of Mankind (1795) (Rupke et Lauer 2018), expliquera l’infériorité intellectuelle par un principe de dégénérescence multifactorielle. Par exemple, l’appartenance géographique aurait ainsi été, pour Blumenbach, chez certains groupes non-blancs le principal facteur de « dégénérescence » : la nature du climat, le type de nourriture sur le continent africain seraient parmi les raisons de cette « dégénérescence ». S’il était avancé que l’intelligence se retrouvait distribuée de manière inégale entre les individus (selon les catégories d’âge, de genre, de classe et de race), aucune mesure ne permettait alors de la quantifier.
Le Graal de la mesure de l’intelligence
C’est au cours du 19ᵉ siècle que s’opère le basculement technique dans les stratégies scientifiques de légitimation de la supériorité blanche. Avec, d’abord, la pseudoscience de la craniométrie (mesure de la boite crânienne) qui, en mobilisant la statistique, incarne avant tout un projet politique de réaffirmation de la supériorité blanche (Douglass 2014[1845]). Sans surprise, on peut lire dans l’ouvrage de Morton, Types of Mankind (1854, cité dans Smith, 2014), que les populations noires possèdent le plus petit cerveau et que, par corrélation, leurs capacités intellectuelles s’en trouvent naturellement limitées. La justification ne s’arrête pas aux mesures du crâne et du cerveau. La nécessité d’accumuler le plus grand nombre de données statistiques pour parer le scientisme raciste d’un vernis mathématique conduit, avec l’anthropométrie, à une extension du domaine de la mesure à l’ensemble du corps.
Le début du 20ᵉ siècle marque l’abandon des approches centrées sur la mesure des crânes et des cerveaux humains (craniologie et phrénologie) au profit de nouvelles approches qui permettraient de tester les facultés cognitives de chaque individu. Avec les travaux d’Alfred Binet et de Théodore Simon dans le domaine de l’éducation, on assiste à l’émergence de la classification des niveaux d’intelligence à partir d’une première échelle métrique permettant de mesurer le niveau de développement intellectuel et psychomoteur d’enfants, d’adolescent·es ou d’adultes (1905). En 1912, en s’appuyant sur les travaux de Binet et Simon, le psychologue allemand William Stern formalisera l’équation qui permettra d’établir le quotient intellectuel.
La volonté des chercheurs en psychologie, au début du siècle, de faire de leur discipline une science respectable et reconnue comme telle, a précipité un peu plus la recherche sur l’intelligence dans une course à la quantification (Yerkes, 1917). L’abondance de protocoles méthodologiques et la profusion de chiffres comme corollaire des tests de QI constituèrent une ressource autant symbolique que scientifique pour faire basculer la légitimité scientifique de la psychologie du côté des sciences dites « naturelles ».
C’est en reprenant la vision naturaliste de l’intelligence qu’en 1925, l’eugéniste Walter E. Fernald, directeur de la Massachusetts School for the Feeble-Minded, légitimait scientifiquement la stérilisation des personnes concernées en affirmant que :
« Les handicapés mentaux sont une classe de parasites et de prédateurs, incapables de prendre en charge leur destinée. Ils deviennent des charges pour la société. Ils sont la cause de peines pour leur famille et un danger social important. Les femmes handicapées mentales sont presque toujours immorales, porteuses de maladies vénériennes, transmettant leurs déficits à leurs enfants. Elles sont deux fois plus fécondes que les femmes normales. Toute personne handicapée mentale, plus spécialement les imbéciles, sont des criminels en puissance » (Fernald, cité dans Korpès, 2000, p. 54).
Avec les nouveaux outils de la psychométrie, comme le Test Binet-Simon (1905) ou le Facteur g (Spearman, 1904; Wechsler 1939), il devient alors possible de dépister et de classer les enfants et les adultes, de les réunir ou de les mettre à l’écart, en fonction de leurs performances cognitives. Comme l’affirme Anne Anastasi, éminente psychologue américaine du 20e siècle, dans son ouvrage Introduction à la psychométrie paru en 1954 : « Un test psychologique est essentiellement une mesure objective et standardisée d’un échantillon de comportements » (1994, p.26). Les rapports de domination se retrouvent ainsi, en apparence, neutralisés et dés-historicisés par le caractère objectif de la mesure. Rapidement, la prétention de la psychométrie à produire des résultats objectifs et standardisés séduit et trouve ses usages pratiques à l’école et dans l’armée6, aussi bien qu’au sein de la recherche fondamentale. Si bien qu’aujourd’hui, en éducation comme en psychologie clinique, le test du QI est considéré comme le révélateur d’une « intelligence naturelle » (Gottfredson, 1998; Larivée et Gagné, 2007).
Si les tests de QI utilisés aujourd’hui ont fait l’objet de plus d’un siècle d’actualisations et d’ajustements méthodologiques, leurs versions contemporaines demeurent néanmoins en filiation directe avec les origines troubles de la psychométrie. Les croyances en la dimension innée de l’intelligence blanche, masculine et bourgeoise, ne sont plus mises de l’avant, mais la logique classiste et raciste qui consiste à distribuer les individus en fonction de leur niveau d’intelligence (de supérieur à inférieur) est admise comme un allant de soi. En somme, sans marquer de rupture franche avec ses fondements politiques, le principe de hiérarchisation de l’intelligence à l’œuvre dans la craniométrie a trouvé, au sein de la psychométrie, un nouveau lieu d’expression et un refuge scientifique qui semble le placer à l’abri de la critique.
Faire sauter le verrou
Nous avons jusqu’ici décrit comment, à partir d’une conception restrictive de l’intelligence, la déficience intellectuelle est demeurée sous la mainmise d’un modèle médical pathologisant et stigmatisant. Le lien historique entre l’idée du « manque d’intelligence » et la déficience intellectuelle agit comme un double verrou. D’une part, un fonctionnement intellectuel « inférieur » est perçu exclusivement à travers le prisme de la défectuosité. D’autre part, au sein d’une société qui tend à faire de l’intelligence une injonction normative, l’apparent manque d’intelligence met en échec toute tentative de subversion politique. Pour reprendre la réflexion de notre collègue Stéphane Handfield (2019, p. 22) :
« Difficile […] pour les personnes catégorisées comme ayant une déficience intellectuelle de s’approprier et de subvertir une catégorisation fondée sur une caractéristique distinctive unanimement considérée comme « disqualifiante » sur le plan de l’humanité… Comment pourraient-elles se bâtir une identité positive à partir d’une caractéristique affectant leur capacité à être reconnues comme interlocutrices valables, comme égales, comme personnes à part entière ? Comment pourraient-elles revendiquer fièrement un statut qui les prive de considération et de dignité ? ».
Les représentations et le traitement social réservés aux personnes associées à la déficience intellectuelle apparaissent plus que jamais à contre-courant du contexte contemporain. Alors que les mouvements d’émancipation politique battent leur plein chez les Premières Nations et Inuit, les personnes racisées, les personnes se réclamant de la diversité sexuelle et de genre, ou encore les personnes éprouvant des problèmes de santé mentale graves et persistants, les personnes composant avec une déficience intellectuelle demeurent réduites et constamment refoulées à leur diagnostic.
Pour sortir de l’impasse, il importe de garder en tête que la notion d’intelligence est, et demeure avant tout, un outil de domination. Dans la poursuite de l’idéal néolibéral, la valorisation des notions de performances intellectuelles, de capacités individuelles et d’adaptation permanente participe à hiérarchiser la valeur des individus et, ainsi, à justifier des rapports sociaux inégalitaires. La valorisation de la notion d’intelligence entre ainsi en opposition directe avec l’aspiration politique de faire de la société un lieu juste et équitable. Dans la foulée de la prise de distance face à la notion d’intelligence, l’émancipation sociale des personnes concernées passe également par une remise en question de l’hégémonie du modèle médical qui, historiquement, les a dépeintes comme des individus « moindres », en situation de « retard permanent » ou « inaboutis ». Cela implique d’adopter une conception sociale du handicap qui permet d’identifier et d’agir sur les barrières environnementales qui maintiennent les personnes concernées en situation d’incapacité. Selon cette conception, le handicap apparaît comme une responsabilité collective selon laquelle l’ensemble des acteurs·trices sociaux·ales sont amené·es à accueillir et à soutenir les personnes, quelles que soient leurs différences.
En regard d’un passé pavé d’adversités, l’avenir des personnes associées à la déficience intellectuelle s’annonce peut-être moins aride. Les défis demeurent nombreux, mais certains éléments nous laissent entrevoir que le verrou pourrait être sur le point de céder.
Sur le plan politique d’abord, il faut saluer l’évolution des droits et les politiques sociales qui soutiennent l’idée que ces personnes doivent être considérées comme des citoyennes à part entière, aptes à faire des choix pour elles-mêmes et encouragées à participer à l’ensemble des sphères de la vie en société. L’institution de ces politiques, qui s’appuient sur le modèle social du handicap, est largement attribuable aux efforts soutenus depuis plus de 60 ans par les familles des personnes concernées et, plus récemment, par les personnes concernées elles-mêmes.
Sur le plan clinique, ensuite, il est à souligner qu’un recadrage s’opère dans la manière de poser le diagnostic et d’orienter l’intervention. Sur ce point, rappelons qu’il y a à peine plus de 10 ans, on diagnostiquait un « retard mental » chez une personne en qualifiant le niveau de sévérité de l’atteinte (retard léger, modéré, sévère ou profond). On favorise maintenant les termes de « déficience intellectuelle » (AAIDD) ou de « handicap intellectuel » (DSM-5). Autre changement notable, l’évaluation du niveau de sévérité des atteintes, en fonction du QI, tend aujourd’hui à être remplacée par l’évaluation du niveau d’intensité du soutien à mettre en place pour que la personne évolue le plus facilement possible dans des environnements du quotidien (famille, école, travail, logement, etc.). Le QI demeure un des outils contribuant à l’évaluation, mais celui-ci n’occupe plus une place centrale dans l’attestation du diagnostic. Dans ces changements entourant l’évaluation diagnostique, on saisit une prise de conscience de l’impact négatif des anciennes désignations, et une volonté d’agir sur l’environnement de la personne de sorte à lui offrir les conditions d’une pleine participation. En somme, l’hégémonie du modèle médical semble perdre de sa prise au profit du modèle social du handicap.
Les changements opérés sur le plan politique et clinique offrent un cadre propice à une transformation sociale plus profonde, mais ces changements ne peuvent à eux seuls renverser les rapports sociaux inégalitaires dans lesquels les personnes concernées sont enchevêtrées. Pour que les choses évoluent, il faut que l’ensemble des acteurs·trices sociaux·ales adoptent une vision inclusive qui favorise la participation active des personnes concernées dans la manière de faire société. Les personnes composant avec une déficience intellectuelle ne doivent plus constituer une catégorie à part et se heurter au quotidien à une ligne de démarcation entre ce qui serait un Eux et un Nous. Une question demeure : sommes-nous collectivement prêt·es à cesser d’accorder autant d’importance au soi-disant « manque d’intelligence » pour reconnaitre la pleine valeur de leur parole, de leur expérience, de leur vie humaine?