Jeunes, éducation et société : la gestion par résultats versus l’approche globale

L’approche Écoles et milieux en santé souhaite reconsidérer les caractéristiques des projets spécifiques, tels que la prévention de la toxicomanie, de la cyberdépendance, de la violence à l’école et du jeu pathologique, afin de voir s’il est possible de les enrichir par une action globale. Dans le cadre de cette approche, on cherche à travailler sur des facteurs communs aux différentes problématiques. Ceci permet aux milieux scolaires d’alléger leurs activités en évitant d’avoir plus de projets en cours qu’il n’y ait de ressources à leur attribuer.

Dans le cas de l’intimidation, par exemple, plutôt que de se limiter à placarder les murs d’affiches condamnant ces comportements, l’approche globale propose de réfléchir à ce qui amène l’intimidation et aux moyens de la prévenir. Entre autres choses, on sait que la présence passive d’un adulte à proximité d’une situation d’intimation peut en favoriser la répétition. Ce problème est courant dans les classes. Les études suggèrent, par ailleurs, que les jeunes n’ont plus confiance en leurs professeurs pour gérer ce type de situation. En travaillant la relation de confiance adulte-jeune, l’intimidation pourrait être prévenue d’une manière peut-être plus efficace que par une campagne publicitaire qui ne donne que de l’information. Les projets ciblés ne sont pas nécessairement mauvais mais, dans le cas de la prévention auprès des jeunes, les affiches et dépliants n’ont qu’un effet limité. Pour que la prévention auprès des jeunes soit efficace, il faut la faire autrement.

Des manques à combler

L’approche Écoles et milieux en santé met donc de l’avant l’importance d’agir globalement auprès des jeunes d’âge scolaire. Cette approche n’est pas nouvelle, du moins dans le discours. Ce qui est récent, c’est l’assignation d’une ressource dans les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) pour la développer dans les pratiques de prévention et de promotion. La création du poste d’agent pivot démontre cette nouvelle volonté. Beaucoup de mesures actuelles proposées aux écoles s’inscrivent dans cette approche globale. Elle implique des actions qui tiennent compte de la relation Jeune-école-famille-communauté, par opposition aux approches ciblées.

Malheureusement, dans la pratique, il est difficile d’appliquer cette approche. En effet, ces projets requièrent plus de temps pour, entre autres, mener un travail d’analyse des situations, prioriser les actions les plus pertinentes et évaluer les pratiques. Une première difficulté dans la mise en pratique concerne le manque d’outils d’intervention. L’approche Écoles et milieux en santé propose des outils prometteurs, mais leur validation engendre un décalage avec la réalité sur le terrain, d’où les réticences de certains intervenants face à sa mise en pratique.

De plus, il importe de prendre le temps de bien connaître les jeunes et leur situation. Pour que la prévention soit efficace, il est préférable d’offrir un renforcement des outils donnés aux jeunes, par exemple, en favorisant un retour sur ceux-ci par un autre intervenant. Or, dans un contexte où l’intervention est financée par projet, le temps manque pour ces réflexions et suivis d’envergure. Une approche globale nécessite de développer des partenariats pour réfléchir collectivement. Ce temps de concertation n’est que rarement comptabilisé dans les statistiques pour les intervenants dans les milieux institutionnels, tels que les CSSS. Pour inciter les intervenants à adopter cette approche, il faudrait mettre clairement dans les mandats un nombre d’heures allouées à la concertation entre intervenants et à l’accompagnement des jeunes.

Un autre obstacle à l’implantation de l’approche globale de la prévention et de la promotion auprès des jeunes est l’écart entre le discours favorable à cette approche et la logique de financement et de reddition de comptes qui limite la possibilité d’action. Le mode de financement des organismes communautaires devrait être revu et corrigé pour faire une plus grande place au soutien de base. Un meilleur continuum dans l’action demande un investissement collectif global qui s’oppose à la division par projets. Le risque, c’est que l’approche Écoles et milieux en santé se traduise dans la pratique par des interventions ciblées sur les jeunes sans implication réelle de la famille et de la communauté environnante, d’où l’importance de la formation et de la sensibilisation à cette approche. Le mandat d’agent pivot se rattache à ce dernier aspect. Pour le remplir, il faut faire actuellement beaucoup de formations à la pièce. Il serait mieux de former plus largement, mais cette considération soulève encore l’obstacle du temps.

Par ailleurs, des considérations individuelles influent également sur le succès de l’implantation en ce qui concerne, par exemple, l’ouverture des directions d’école, des enseignants et d’autres professionnels à travailler avec les familles et la communauté.

Le début d’une réconciliation ?

Les difficultés de l’intervention auprès des jeunes en milieu scolaire dépassent les problèmes de temps et de financement. À une échelle plus large, les décideurs, les organismes, les tables de concertation, les intervenants, les journalistes et la population en général s’attendent à des résultats concrets et immédiats. La logique managériale de gestion par résultats dépasse la sphère des gestionnaires. Par exemple, si un parent saisit un journaliste d’une situation d’intimidation vécue par son enfant, le journaliste questionnera la direction de l’école sur les mesures de prévention de l’intimidation. Si cette dernière répond qu’elle met l’accent sur le développement de la relation de confiance adulte-jeune, le journaliste et, ultérieurement, l’opinion publique, peuvent conclure que peu est fait pour éviter ce phénomène, puisqu’il n’y a pas de programme spécifiquement identifié.

Davantage visible et tangible, une campagne publicitaire condamnant ce geste pourrait sembler plus appropriée. Pourtant, certains collègues intervenant auprès des jeunes constatent que ces derniers sont sur-stimulés visuellement et que des campagnes basées sur des affiches et des pamphlets ne les rejoignent pas. Dans les faits, peu d’approches globales en prévention et en promotion auprès des jeunes se concrétisent et on continue de placarder des affiches.

Bien que l’approche globale se prête mal à la gestion par résultats, une reddition de comptes est nécessaire. Celle-ci doit toutefois être adaptée à la réalité de cette approche, dont les résultats ne sont pas observables et mesurables instantanément. Il est vrai que si l’évaluation quantitative ne cerne pas les impacts réels que peut avoir ce type d’intervention, des évaluations de type qualitatif peuvent s’avérer lourdes administrativement. Des outils d’évaluation basés sur les recommandations de personnes impliquées dans ces approches pourraient être développés, de façon à rendre compte des avancées et des lacunes. Des initiatives du secteur Écoles et milieux en santé de la Santé publique ont d’ailleurs été prises en ce sens. Ceci marque peut-être le début d’une réconciliation entre la logique de gestion par résultats et l’approche globale.