Itinérance, pauvreté et exclusion sociale : regagner du pouvoir sur sa vie

Le portrait des pratiques de participation citoyenne1 complété par le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) auprès de ses groupes membres révèle à quel point les impacts de la participation sont nombreux tant pour les personnes fréquentant les ressources que pour les ressources elles-mêmes (RAPSIM, 2008). La parole des personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être est peu entendue, alors qu’elles sont les mieux placées pour parler de ce qu’elles vivent et des impacts de la participation citoyenne. À ce sujet, les réponses provenant des groupes de discussion sont à souligner.

Les gens mentionnent le pouvoir et la capacité d’influence qu’ils ont regagnés sur leur vie. À travers la participation à des ateliers d’écriture, des manifestations ou des prises de parole publique, ils se sont sentis valorisés et ont pu développer une meilleure estime d’eux-mêmes et reprendre confiance en leurs capacités. La participation citoyenne a permis à certains de sortir de l’isolement et s’est parfois traduite positivement dans la vie même des personnes, par une baisse de la consommation de drogue ou d’alcool. Participer a pu être l’occasion d’acquérir une nouvelle formation, tandis que d’autres considèrent que cela les a incités à régler leurs problèmes et reprendre une prise sur leur vie. Selon les organismes, l’implication a favorisé chez les usagers et usagères la reconnaissance de leurs propres aptitudes et permis de développer de nouvelles compétences. Il s’agit donc ici d’impacts directs que peut avoir la participation sur les personnes impliquées.

Par ailleurs, selon une jeune femme rencontrée dans un groupe, « prendre la parole publiquement permet de faire prendre conscience aux gens qu’il existe une autre réalité que celle qu’ils connaissent », de mettre de l’avant son vécu afin de favoriser une prise de conscience et de briser des préjugés. Dans une ressource d’accueil et d’implication pour les personnes qui consomment des drogues, on souligne également que « ça permet de faire changer la vision que la population peut avoir des itinérants et des toxicomanes. »

L’implication citoyenne des personnes qui fréquentent les ressources permet de se mobiliser, notamment pour dénoncer des politiques qui contribuent aux inégalités : « ça permet de faire passer un message au gouvernement », a-t-on affirmé dans un refuge pour personnes itinérantes. En se mettant en mouvement, on devient « des agents de changement », on se mobilise pour la collectivité, pour défendre ses droits et ceux des autres.

Pratiques de participation

À travers les réponses obtenues via un questionnaire et des focus group, nous constatons que la grande majorité des groupes membres du RAPSIM ont choisi de favoriser la participation citoyenne et que les activités proposées sont nombreuses et variées. Notons que les réponses obtenues par le biais des focus group corroborent les données issues des questionnaires quant aux activités réalisées dans les organisations.

La forme la plus fréquente de participation citoyenne mentionnée est la participation aux conseils d’administration, 24 groupes sur 36  ayant mentionné cette pratique. Suivent la participation aux assemblées générales de l’organisme, la mobilisation pour des manifestations et des rassemblements et le bénévolat au sein de l’organisme (respectivement 16, 15 et 14 mentions). La participation à des activités publiques à l’extérieur de l’organisme (ateliers, forums, ramassages de seringues, signatures de pétitions), à différents comités au sein de l’organisme (orientation, comités de sélection des locataires, organisation d’activités), à des événements culturels (activités d’art, exposition de photos, ateliers d’écriture, récitation d’écrits) et la prise de parole lors d’événements publics obtiennent dans l’ordre 10, 10, 8 et 8 mentions. Les comités/réunions de locataires, de personnes usagères ou de résidents, la prise de parole médiatique par le biais de journaux ou d’émissions de radio et la participation à des formations en lien avec la mission de l’organisme ont récolté quelques mentions seulement.

Dans près de la moitié des organismes consultés, un poste est réservé aux usagers, locataires, membres ou ex-résidents sur le conseil d’administration. En ce qui concerne les assemblées générales, dans certains cas, les usagers et les locataires sont invités non seulement à y assister, mais également à y présenter des bilans d’activités. Un autre élément qui ressort est la prise de parole lors d’événements publics, propres à l’organisme (par exemple, lors de l’inauguration de locaux ou de la visite de politiciens dans une ressource) ou extérieurs à celui-ci (lors d’un rassemblement ou d’une commission parlementaire).

Droits de cité

Les pratiques de participation citoyenne et d’implication sont au cœur des préoccupations du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) depuis ses débuts, il y a maintenant près de 35 ans. Les organismes intervenant auprès des personnes itinérantes ont développé une multitude de sphères d’action où tous et toutes sont invités à s’impliquer en tant que citoyens et citoyennes. Pour le RAPSIM (2008), le terme « participation citoyenne » prend en compte un ensemble de pratiques qu’il faut mieux connaître et diffuser si on souhaite développer cette manière d’agir collectivement.

Les apports de la participation sont nombreux et les pratiques sont appelées à se développer et à se diversifier avec le temps. Grâce aux connaissances acquises sur ces dernières, le RAPSIM est convaincu de l’importance de mettre en place des lieux et des activités où les personnes itinérantes peuvent s’impliquer, faire valoir leur point de vue et travailler à la défense de droits trop souvent bafoués : droits au logement, de cité (c’est-à-dire d’occuper l’espace public), à un revenu décent, à l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à un réseau d’organismes pour les soutenir et offrir des services. Bien que des défis tels le manque de stabilité des personnes et leur difficulté à prévoir à long terme persistent, les organismes membres doivent continuer à développer des stratégies visant à favoriser et à promouvoir l’implication citoyenne des personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir.

Notes

1En 2007, les groupes membres du réseau ont été invités à se questionner sur les améliorations qui pourraient être apportées pour favoriser davantage la participation citoyenne des personnes en situation ou à risque d’itinérance qui les fréquentent. Pour connaître ces pratiques, leurs impacts sur les personnes itinérantes et les organisations, ainsi que les difficultés qui subsistent, nous avons demandé aux groupes membres du RAPSIM de remplir un questionnaire à cet effet, pour un total de trente-six réponses. Au moment de cette démarche, quatre-vingt-deux organismes étaient membres du RAPSIM. Cependant, quatre groupes n’étaient pas concernés puisqu’ils n’interviennent pas directement avec des personnes à risque ou en situation d’itinérance.

Parallèlement à cette démarche, dès le départ, nous avons jugé essentiel de prendre en considération le point de vue des personnes qui fréquentent les organismes et qui, quotidiennement, sont invitées à s’impliquer de multiples façons. Plutôt que de leur soumettre un questionnaire, nous avons organisé des focus group dans huit ressources membres, telles que la Maison du Père, PLAISIRS et Passages. Cinquante-quatre personnes ont été rejointes et ont pu s’exprimer sur les enjeux entourant la participation citoyenne.

Références

RAPSIM (2008). Une citoyenneté à bâtir. Portrait des pratiques de participation citoyenne au sein des groupes en itinérance à Montréal, Montréal, RAPSIM.