Contester le pouvoir médical : médecine sociale et santé communautaire en quartiers populaires. Retour sur les années 1970 au Québec et en France

« Les barrières entre les professions étaient tellement rigides à l’époque que nos pratiques étaient vraiment alternatives [à la clinique communautaire Pointe-Saint-Charles]! Nous réalisions énormément de visites à domicile pour voir les patients qui ne pouvaient pas se déplacer. […] La clinique était accessible 24 heures par jour. Maintenir un lien de proximité constituait un principe de base. […] Il y avait clairement des visées politiques aux objectifs de la clinique : changer le système de santé, bien sûr, mais aussi transformer toute la société prise au piège du capitalisme. » Lorraine Guay, organisatrice communautaire puis infirmière à la clinique Pointe-Saint-Charles de 1972 à 1987, disparue le 17 juin 2022 (Dufour et Guay, 2019, p. 80-81) 

La récente pandémie de Covid-19 est venue rappeler la permanence des inégalités sociales en matière de santé dans les pays capitalistes, en Amérique du Nord et en Europe. Elle a aussi montré le rôle des acteurs-trices du secteur médico-social à l’échelle locale et l’importance de la santé publique et des pratiques de prévention dans la gestion de la crise sanitaire face aux limites des modèles médicaux dominants, en France comme au Québec, centrés sur l’hôpital et sur la médecine libérale, curative et bioclinique. Pourtant, des formes alternatives à ces modèles existent, en premier lieu sous la forme de centres de santé pluriprofessionnels (rattachés au réseau public de la santé et des services sociaux dans le cas du Québec, associatifs ou municipaux dans le cas de la France). Ces centres associent missions curatives et préventives, travail sanitaire et social, et ancrent leur activité à l’échelle locale, en partant des besoins des habitant-es. Loin d’être nouvelles, ces structures alternatives portent les traces laissées par la critique sociale des années 1970. 

Peu de travaux en sciences sociales ont porté sur les formes prises par la critique sociale dans le champ de la médecine et de la santé durant ces années 1970. Initiées dans des quartiers populaires durant ces années contestataires, des expériences alternatives à la médecine libérale et hospitalo-centrée sont pourtant repérables dans différents pays capitalistes et configurations étatiques, en Amérique du Nord comme en Europe. Menées au Québec et en France, nos recherches socio-historiques ont permis de montrer des similitudes entre les expériences développées à cette période dans plusieurs quartiers populaires francophones de Montréal, à l’instar de la clinique communautaire du quartier Pointe-Saint-Charles, et les mouvements contestataires du pouvoir des médecins sur les patient-es dans le champ de la santé, à Paris et dans d’autres régions françaises. Ces pratiques contestataires du pouvoir médical s’inscrivent à l’époque dans une critique plus large de l’ordre social et des rapports de pouvoir qui le structurent. Si elles sont portées par des groupes militants d’extrême gauche dans différents espaces sociaux (cause des femmes, cause des travailleurs-euses immigré-es notamment) et professionnels (entre autres du droit et de la santé), on les appréhende ici en situation de travail. Les différents groupes professionnels qui les portent alors (professionnel-les de santé, mais aussi travailleurs-euses sociaux-ales et communautaires) participent à constituer le travail de soins, et plus largement les questions de santé, en enjeu politique : les causes sociales de la maladie sont alors mises en avant comme emblématiques des inégalités entre groupes sociaux. Au-delà des proximités d’expériences alternatives, nos enquêtes ont aussi permis de mettre au jour des circulations transnationales de cette critique sociale et ses effets durables à différentes échelles, du local à l’international.  

Méthodologie 

Cet article mobilise des matériaux issus de différentes enquêtes que nous menons auprès de groupes professionnels intervenant dans le champ de la santé en France et au Québec. Laure Pitti (2021) travaille sur les métamorphoses de la médecine sociale en territoires populaires depuis les années 1960 en France. Elle a réalisé des entretiens biographiques auprès de médecins généralistes militant-es dans les années 1960-1970 et a dépouillé les fonds d’archives privées du Groupe Information Santé (GIS) et du Mouvement d’action santé (MAS), déposés au Centre des archives du féminisme à Angers, et du Mouvement santé et populations (MSP), ainsi que des fonds d’archives privées. Elle participe également à un programme d’enquête sur des médecins généralistes dans différents contextes d’exercice, en particulier des équipes de soins primaires dans des centres de santé en France aujourd’hui.  

Audrey Mariette (2021) travaille quant à elle sur les politiques locales de santé et les pratiques regroupées sous le label de santé communautaire, portées notamment par des groupes professionnels non-soignants (chargé-es de mission et organisateurs-trices communautaires) en France et au Québec depuis les années 1970, à partir d’observations, d’entretiens et de sources écrites, dont le fonds d’archives de la Clinique des citoyens de Saint-Jacques déposé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).  

Croisant nos deux entrées, par la médecine générale comme médecine sociale, d’une part, et par les politiques locales de santé, d’autre part, l’enquête « PopSanté » menée ensemble entre 2012 et 2017 visait à interroger ce que font les territoires populaires aux politiques, aux professionnel-les et aux pratiques de santé, en partant du cas d’une ville située dans l’un des départements les plus pauvres de France hexagonale. Longtemps communiste, cette ville dispose d’une politique municipale de santé ancienne, de centres de santé, de réseaux de soins entre la médecine de ville et l’hôpital et d’associations locales en santé. Ces trois enquêtes nous ont conduites à développer le volet socio-historique et la comparaison France-Québec (Mariette et Pitti, 2021). 

Mobilisations collectives au Québec 

« La Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles existait depuis 1968. Ce sont des jeunes médecins progressistes de l’Université McGill qui avaient bâti ce projet et ils avaient fait la jonction avec des comités de citoyens dans le quartier [qui] essayaient de mettre en place des services pour les gens du quartier dans le domaine du transport, de l’éducation, du juridique et de la santé, notamment. C’était dans l’air de l’époque. […] Plusieurs initiatives de jeunes animateurs socioculturels étaient proches des théories de l’animation sociale, de l’organisation communautaire, tant anglophone que francophone. » Lorraine Guay (Dufour et Guay, 2019, p. 77) 

Au Québec, au tournant des années 1970, l’émergence de cliniques communautaires dans plusieurs quartiers populaires francophones de Montréal s’inscrit dans un contexte de fortes mobilisations sociales, mais aussi de développement des politiques sociales et de santé. C’est en effet pendant la Révolution tranquille que sont créés les premiers Comités de citoyens, pour certains sous le patronage catholique, dans une logique de participation à l’action publique sanitaire et sociale. À la fin des années 1960, plusieurs de ces Comités, regroupés dans des Comités d’action politique, s’inscrivent dans une logique plus contestataire de l’action publique et participent, pour certains, à la création de centres de santé nommés cliniques communautaires. Pour les étudiant-es en médecine ou médecins qui y participent, ces expériences constituent tout à la fois une remise en cause des hiérarchies professionnelles dans le champ de la santé et une remise en cause du paiement à l’acte caractéristique de la médecine libérale, au profit d’un paiement à la fonction. Comme salarié-es des cliniques, les médecins ne sont pas rémunéré-es pour chaque acte réalisé auprès de patient-es. Au sein de la clinique Pointe-Saint-Charles (Plourde, 2019) comme de celle de Saint-Jacques (Boivin, 1988), ils et elles sont aussi moins payé-es qu’ailleurs afin de réduire les écarts de salaires avec les autres employé-es. Les pratiques développées dans ces cliniques tendent aussi à réduire la distance entre médecins et patient-es. Outre la délégation de certains actes à des non-médecins, les temps de consultation sont plus longs et les visites à domicile courantes. À Pointe-Saint-Charles, une pharmacie populaire et gratuite est également ouverte aux habitant-es du quartier. 

Au-delà des soins, la politisation des questions de santé passe ainsi aussi par des incitations à la mobilisation collective. À Saint-Jacques, par exemple, des consultations gratuites sont proposées à la condition d’assister à une réunion d’information politique. Les travailleurs-euses puis organisateurs-trices communautaires jouent un rôle central en la matière. À Pointe-Saint-Charles, la sensibilisation de la population du quartier aux questions de santé passe ainsi par le biais du porte-à-porte, de brochures, ou encore de pièces de théâtre. L’objectif est à la fois d’encourager les visites à la clinique, mais aussi de faire de la prévention, par exemple, au sujet de la surconsommation de médicaments. On le voit, ces cliniques sont des lieux de soins, mais aussi de politisation visant à donner du pouvoir aux citoyen-nes sur les questions de santé. Une conception sociale de la médecine s’y développe, avec un rôle fort des organismes communautaires, favorisant la participation citoyenne et l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics locaux et provinciaux. 

L’histoire des cliniques communautaires québécoises, issues de la mobilisation de citoyen-nes de quartiers populaires, et de celle de quelques médecins ou étudiant-es en médecine, apparaît relativement exceptionnelle et liée, d’une part, au contexte de mise en place de politiques sociales et de santé (l’assurance hospitalisation est créée en 1961 et l’assurance maladie en 1970) et, d’autre part, au développement de l’organisation communautaire dans le contexte nord-américain. Pourtant, à la même période, plusieurs expériences critiques du modèle libéral et hospitalo-centré dominant se sont également développées en France.  

Critiques du pouvoir en France 

En France, ces expériences sont avant tout nées de l’initiative de médecins, et non d’usagers-ères du système de santé. Pour autant, on observe des analogies entre les deux espaces critiques francophones. Au cours des années 1960-1970, plusieurs groupes de médecins militant-es mettent ainsi en place, dans différents quartiers populaires en France, deux types de structures de soin : des cabinets de groupe en exercice libéral, avec un partage des dossiers des patient-es et une répartition des honoraires en fonction du temps de travail (par opposition au système de rémunération à l’acte), et des centres de santé, associatifs notamment, qui salarient leurs équipes composées de médecins, souvent d’infirmiers-ères, de secrétaires médicaux-ales et de travailleurs-euses sociaux-ales. 

Alors que la médecine dite urbaine, dans la lignée de l’hygiénisme développé à la fin du XIXe siècle, est instituée comme un instrument de contrôle social et d’encadrement des pratiques des classes populaires, ces initiatives se placent en alternative. Ce, en remettant en cause les hiérarchies instituées entre, d’une part, les médecins et les autres groupes professionnels en charge de la santé et, d’autre part, entre les médecins et les patient-es. Plusieurs des pratiques mises en place en leur sein font écho à celles des cliniques communautaires québécoises. Les centres de santé instaurent une relative horizontalité du travail de soin entre les médecins et les autres professionnel-les, dont les secrétaires médicaux-ales. Une place importante est accordée aux usagers-ères et aux actions de prévention, en allongeant la durée des consultations et en portant attention aux lieux de vie et aux caractéristiques sociales des personnes, comme la classe sociale, la classe de sexe et les trajectoires migratoires. L’organisation spatiale des lieux de consultation, avec deux chaises d’un même côté plutôt que le traditionnel face-à-face entre médecin et patient-e, témoigne aussi de la volonté de rompre avec la domination des médecins sur les patient-es.  

Ces expériences puisent leur fondement sur une critique du pouvoir médical qui s’est développée en France dès les années 1950, notamment parmi les étudiant-es en médecine militant au sein de la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC) qui dénoncent la domination coloniale et la torture par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Pendant les événements de mai-juin 1968, cette dynamique de politisation de la médecine s’accentue, associant critique du pouvoir médical et de l’ordre social, montrant là aussi des analogies avec le cas québécois. Au sein de ces mouvements critiques, on trouve des médecins proposant une critique interne au champ médical qui aboutit à la réforme des études médicales avec la suppression de la sélection par concours pour l’externat. Une fraction plus radicale de médecins militant-es d’extrême gauche, en majorité généralistes et d’origine sociale plus modeste que les spécialistes, élargissent leur critique au-delà du seul champ médical et inscrivent leur engagement politique dans « des luttes contre les inégalités sanitaires et sociales » (Bernard, 1975, p. 39).

Marginaux-ales dans le champ médical, ces quelques dizaines de médecins militant-es s’organisent au sein de différents groupes pour diffuser leurs critiques de la médecine libérale, par exemple à travers la mobilisation pour la suppression de l’Ordre des médecins en 1975, portée notamment par le Groupe Information Santé (GIS), ou encore à travers la création du Syndicat de la médecine générale. 

Dans les expériences québécoises, le rôle joué par les usagers-ères et le mouvement communautaire est essentiel. En France, la critique est centralement portée par des médecins principalement de ville, souvent avec le soutien de municipalités de gauche volontaristes en matière de politiques locales de santé. Mais, point commun aux deux espaces, ces expériences s’ancrent dans les quartiers populaires, proposent une conception large de la santé qui ne se réduit pas à l’absence de maladie et visent à mobiliser les habitant-es les plus éloigné-es du soin et les moins politisé-es.  

Essaimage 

Si le contexte international de diffusion des idées anti-impérialistes et anticapitalistes, développées dès le début des années 1960 en Amérique du Sud et en Afrique, a influencé les militant-es d’Amérique du Nord et d’Europe, les analogies observées entre la France et le Québec s’expliquent également par des échanges directs entre les groupes militants locaux les plus radicaux, à savoir les médecins du Groupe Information Santé (GIS), et des médecins et organisateurs-trices communautaires de la clinique Pointe-Saint-Charles. Ces derniers-ères réalisent ainsi un voyage de trois semaines en mai 1976 pour « étudier les relations existant entre les luttes féminines et les luttes ouvrières [en France et] analyser la participation effective des femmes du milieu populaire à ces mouvements » (archives du GIS, 1976). Nous avons également trouvé trace, dans les archives du GIS, de la venue d’un étudiant en médecine québécois, investi de 1967 à 1969 au sein du conseil d’administration de la clinique Pointe-Saint-Charles, à une réunion du GIS à Paris. Ces échanges impliquent également des voyages de Français-es au Québec, à l’instar de celui de Nantais-es, assistant-es sociales pour la plupart, venu-es durant trois semaines au Québec en mai 1977, pour visiter la clinique Pointe-Saint-Charles et trois Centres locaux de services communautaires (CLSC), alors en cours de développement. 

Minoritaires et limitées, ces circulations par le biais de voyages reçoivent néanmoins des soutiens institutionnels. Les deux voyages cités ont par exemple été soutenus par l’Office franco-québécois de la jeunesse, créé en 1968. La critique du pouvoir médical et la politisation de la santé ont aussi des effets au-delà d’un cadre militant. Elles essaiment au sein du champ institutionnel, à l’échelle nationale : une mission d’enquête du ministère de la Santé français part ainsi visiter les CLSC québécois en 1975, dans la perspective de repenser l’organisation des soins. L’essaimage est également visible à l’échelle internationale, au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : suite à la première « Conférence internationale sur les soins de santé primaires » qui s’est tenue en URSS, à Alma-Ata, en 1978, les actions et programmes de l’OMS sont ainsi réorientés pour favoriser la « santé pour tous », faisant de la communauté définie comme lieu de vie une notion centrale dans la lutte contre les inégalités sociales (Vanel, 2016). La critique sociale s’institutionnalise au sein de cette organisation mondiale, sous une forme certes moins radicale, puisqu’elle met davantage en avant « l’autonomie » des usagers-ères et leur capacité à agir, que la critique du pouvoir médical. 

Euphémismes 

Au tournant des années 1980, on observe en effet un processus d’incorporation de la critique sociale par les institutions (inter)nationales chargées de la santé, sous une forme euphémisée par rapport aux expériences développées localement durant les années 1970. Cette période est, de fait, marquée par la dilution des groupes militants les plus radicaux et le déclin progressif des mobilisations sociales dans un contexte de tournant néolibéral, au Québec comme en France. Pour autant, la critique sociale laisse des traces. 

Au Québec, le processus d’euphémisation de la critique sociale en matière de santé prend la forme d’une institutionnalisation des expériences populaires, par leur incorporation dans le nouveau système de santé. La loi de 1971 instaure un réseau public de la santé organisé autour des CLSC, regroupant des services sociaux et des services de santé de première ligne, contre l’exercice libéral et l’hospitalo-centrisme. D’abord salarié-es, les médecins de ces CLSC sont cependant rapidement contraint-es de rejoindre le syndicat des médecins omnipraticien-nes (ou généralistes), sous la pression de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) (Plourde, 2019, p. 797-965). Les cliniques communautaires, mobilisées au sein d’un « Front commun » dans la deuxième moitié des années 1970, font l’objet de critiques de la part du Collège des médecins, et disparaissent progressivement. Néanmoins, la Clinique Pointe Saint-Charles parvient à subsister et le développement des organismes communautaires participe à maintenir des formes de critique sociale.  

De plus, la profession d’organisateur-trice communautaire est intégrée aux CLSC, ce qui contribue à l’institutionnalisation de la pratique de l’organisation communautaire au sein du réseau public de la santé (Leclercq, 2014). Au cours des années 1980, l’organisation communautaire devient d’ailleurs une référence et un modèle à l’échelle internationale : la charte d’Ottawa, qui met l’accent sur « l’action communautaire », est signée en 1986 au Canada, suite à la première « conférence internationale pour la promotion de la santé ». C’est à cette période aussi que la notion de « déterminants sociaux de la santé » s’impose au sein de l’OMS, participant à une définition de la santé publique moins hygiéniste, car attentive au rôle de l’environnement social sur la santé des individus, qui se diffuse aux échelles locales (Clavier, 2013). 

En France, le mouvement de critique sociale en santé est marginalisé au début des années 1980. Plusieurs revendications, comme la suppression de l’Ordre des médecins, n’obtiennent pas satisfaction, malgré certaines promesses électorales. Cependant, des professionnel-les de santé et des acteurs-trices des politiques locales au sein de plusieurs villes ou quartiers populaires s’appuient sur la définition large de la santé, proposée par l’OMS, pour lutter contre les inégalités sociales de santé en mobilisant des habitant-es. Des médecins généralistes installé-es en libéral dans des quartiers populaires et des médecins salarié-es exerçant en centres de santé continuent à porter des pratiques alternatives pour aller contre la domination des médecins sur les patient-es, à l’image des deux chaises disposées côte à côte pour les consultations. C’est aussi le cas d’associations et d’organisations non gouvernementales (ONG) qui développent une activité auprès des fractions les plus marginalisées de la population, à l’image des Centres d’accueil de soins et d’orientation (CASO) développés par la « mission France » de l’ONG Médecins du monde, dont le premier ouvre à Paris en 1986 à destination des « exclus du soin ».  

La période des années 1980 voit ainsi se développer des formes de circulation de la critique moins frontales, car moins portées par des groupes militants et davantage par des associations, autour d’individus politisés et sensibilisés à une conception sociale de la médecine et communautaire de la santé. 

Revalorisation 

Si la socio-histoire des années 1970 traite rarement de la remise en cause des hiérarchies dans le champ de la médecine et de la santé, développer les travaux dans cette perspective permet ainsi d’éclairer le pouvoir des marges et les traces laissées par la critique du pouvoir médical, qui se développe particulièrement dans les périodes de crises, politiques ou sanitaires, à l’image de celle liée à la pandémie de sida dans les années 1980 ou, plus récemment, celle du Covid-19. Le contexte pandémique rend visibles les inégalités socio-spatiales de santé et le rôle joué par des acteurs-trices locaux-ales (collectivités locales, groupes professionnels chargés de la santé, acteurs associatifs) pour lutter contre. Les périodes de crise permettent ainsi de révéler, voire de revaloriser et légitimer la médecine sociale et la santé communautaire. Mais cette revalorisation reste relative : elle se fait souvent au prix d’une version de la médecine sociale et de la santé communautaire édulcorée de la contestation de l’ordre médical et, plus largement, de l’ordre social. 

Références

Bernard, O. (1975). La Médecine désordonnée. À la recherche d’une nouvelle pratique médicale : le centre mutualiste de santé de la Villeneuve à Grenoble. Groupe Information Santé (GIS)/Liaisons Directes. 

Boivin, R. (1988). Histoire de la Clinique des citoyens de Saint-Jacques (1968-1988). Des comités de citoyens au CLSC du Plateau Mont-Royal. VLB Éditeur. 

Bourque, D. (1997). Trajectoire de l’organisation communautaire professionnelle. Nouvelles pratiques sociales, 10(1), p. 59-70. 

Clavier, C. (2013). Les causes locales de la convergence. La réception des transferts transnationaux en santé publique. Gouvernement et action publique, 2(3), 395-413. https://doi.org/10.7202/301386ar 

Dufour, P. et Guay, L. (2019). Qui sommes-nous pour être découragées? Conversation militante avec Lorraine Guay. Écosociété. 

Jourdan, D., O’Neill, M., Dupéré, S. et Stirling, J. (2012). Quarante ans après, où en est la santé communautaire? Santé publique, 24(2), 165-178. https://doi.org/10.3917/spub.122.0165  

Lachapelle, R. (dir.). (2003). L’Organisation communautaire en CLSC. Cadre de référence et pratiques. Presses de l’Université Laval. 

Leclercq, J.-B. (2014). L’« organisation communautaire » au Québec et la reconfiguration de l’État social : le tournant. Revue du CREMIS, 7(1), 49-55. https://www.cremis.ca/publications/articles-et-medias/l-organisation-communautaire-au-quebec-et-la-reconfiguration-de-letat-social-le-tournant/ 

Le Collectif CourtePointe (2006). Pointe-Saint-Charles : un quartier, des femmes, une histoire communautaire. Les Éditions du remue-ménage. 

Mariette, A. et Pitti, L. (2021). Subvertir la médecine, politiser la santé en quartiers populaires. Dynamiques locales et circulations transnationales de la critique sociale durant les années 1970 (France/Québec). Actes de la recherche en sciences sociales, 239(septembre), 30-49. https://doi.org/10.3917/arss.239.0030  

Mariette, A. (2021). « Santé communautaire » et « santé publique » en territoires populaires : « participation » des habitant∙e∙s ou gouvernement des conduites? Des catégories, des pratiques et des agents en circulation entre la France, le Québec et la Belgique. Revue française des affaires sociales, 3(juillet-septembre), 319-332. https://doi.org/10.3917/rfas.213.0319  

Pitti, L. (2021). Le renouveau d’une utopie? Lutter contre les inégalités sociales de santé en médecine générale : les métamorphoses de la médecine sociale dans les quartiers populaires en France, des années 1970 à aujourd’hui. Revue française des affaires sociales, 3(juillet-septembre), 305-317. https://doi.org/10.3917/rfas.213.0305  

Plourde, A. (2019). État-providence et système socio-sanitaire au Québec : les CLSC comme étude de cas d’une analyse matérialiste et dialectique de l’État démocratique dans la société capitaliste. Thèse de doctorat en sciences politiques, Université du Québec à Montréal. https://archipel.uqam.ca/12699/ 

Vanel, J. (2016). De l’éducation sanitaire à la promotion de la santé : enjeux et organisation des savoirs au cœur de l’action publique sanitaire (internationale). Thèse de doctorat en droit, Université Paris Saclay (COmUE). https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01513699