On le sait que l’exclusion, c’est la résultante d’échecs successifs dans les structures familiales, scolaires… On parle de créations de liens, tu sais? Ça prend des liens significatifs. Quand ces liens sont pas là avec les parents, quand ces liens sont pas là dans le scolaire, la confiance est pas là… Il faut travailler sur les liens!
Intervenant.e
L’itinérance, c’est pas un problème de lieux, c’est un problème de liens. Concrètement, la prévention, elle se travaille aussi au niveau des liens qu’on est capables de tisser avec les jeunes, mais avec leur entourage, puis le fameux filet de sécurité, filet social.
Intervenant.e
Objectifs de cette section
Cette section vise à donner aux lecteur·rices une compréhension globale de l’itinérance chez les jeunes en mettant en évidence sa nature multidimensionnelle, les facteurs et les enjeux qui l’entourent, y compris les points de bascule qui favorisent le passage à la rue et la chronicisation de l’itinérance. Elle s’appuiera sur des connaissances clés tirées du projet PIJ ainsi que sur le point de vue des jeunes qui ont connu ou connaissent une situation d’itinérance, le tout dans le but de mieux comprendre leur réalité.
L’exclusion sociale des personnes en situation d’itinérance
La littérature consultée rapporte que différents niveaux d’influence interreliés (individuel, relationnel, systémique, structurel) sont impliqués dans le passage d’une personne vers une situation d’itinérance et que ce phénomène est marqué par un effritement des liens sociaux ou un processus de désaffiliation sociale. L’équipe PIJ a produit le tableau ci-dessous afin d’exemplifier des éléments favorisant l’exclusion des jeunes et pouvant contribuer à un basculement vers une situation d’itinérance. Chacun des niveaux d’influence est illustré par un extrait d’entretien avec des jeunes ayant vécu une situation d’itinérance ou des intervenant·es œuvrant auprès d’iels. Pour une explication plus détaillée des niveaux d’influence liés à ces éléments favorisant l’exclusion, nous vous invitons à télécharger le document suivant.
Quelques niveaux d’influence
| Niveau d’influence | Exemples d’éléments qui favorisent l’exclusion |
| Individuel J’ai probablement plus consommé que si j’avais mon TOC en main. Moi, j’ai la conviction que si ça avait été pris en main avant l’itinérance, j’aurais jamais été itinérant. (Jeune) | Consommation ou autres enjeux reliés à des dépendances Enjeux de santé mentale Enjeux de santé physique Décrochage scolaire |
| Relationnel Je pense que tout le monde, on a besoin d’une personne dans sa vie qui va comme le guider un peu. […] Je pense que c’est nécessaire dans le développement de tout le monde d’avoir au moins… quelqu’un de plus vieux que soi qui nous apprend des choses. Pas nécessairement plus vieux, mais plus sage… Je sais pas. (Jeune) | Enjeux relationnels (violence conjugale, violences familiales, violences identitaires, deuil, isolement, négligence, maltraitance) Faible soutien social/isolement |
| Systémique Les jeunes, ils vont pas dans les ressources adultes en itinérance. Ils sont tannés des règles! (Intervenant·e) Moi, je vous dirais… les lourdeurs administratives, c’est horrible pour nos jeunes et toute la compréhension de ce système-là, d’essayer de parler à quelqu’un au niveau du gouvernement, c’est ardu. (Intervenant.e) Faire plus d’endroits de services de santé mentale. Faut trouver le bon entre-deux, puis je vais être honnête là, au Québec, niveau de santé mentale là, il y a pas grand-chose là. Puis, sinon, se dépêcher faut que tu ailles au privé, puis c’est incroyablement cher! Je trouve pas qu’on devrait payer pour de l’aide psychologique. (Jeune) | Manque de services adaptés (école, RSSS, DPJ etc.) Manque d’accompagnement lors sorties d’établissement (ex. fin des services de la DPJ) Les transitions sont cruciales lors de ces moments Bureaucratie (portes tournantes) Exigences/contraintes des ressources destinées aux personnes en situation d’itinérance (sobriété, refus des animaux de compagnie, enjeux pour les personnes en couple ou pour les personnes à mobilité réduite) Démarches complexes et mal comprises (même par les practicien·nes) Manque de communication entre les instances, travail en silo Violences/discriminations institutionnelles produites par les systèmes d’oppression (ex. racisme systémique) |
| Structurel Les loyers… c’est des prix dégueulasses. Moi, je comprends même pas comment tu peux te payer un 1 ½ avec le salaire minimum. C’est ridicule. Même moi, je serais pas capable! (Intervenant.e) Comme société, au lieu d’être dans un mode de stigmates… d’être davantage à se poser des questions. Qu’est-ce qu’on fait qui fait que ça augmente? C’est pas une mode cette affaire-là! Si ça arrive, il y a des raisons structurelles qui vont au-delà du parcours de chacun des individus, puis si on se pose pas ces questions-là, on culpabilise, puis on met tout le poids sur les individus. (Intervenant.e) | Crise du logement Pauvreté Oppressions Messages dominants qui renforcent les préjugés tout en produisant de la discrimination et de la stigmatisation Patriarcat Colonialisme Capitalisme Racisme |
Bien que ces différents niveaux d’influence doivent être considérés afin d’avoir une vision globale l’itinérance jeunesse et de développer des pratiques pour la prévenir, il importe de souligner que ceux-ci n’agissent pas en vase clos. En effet, leur incidence traverse différents espaces sociaux et peut se juxtaposer afin d’aviver les mécanismes d’exclusion auxquels les jeunes en situation d’itinérance peuvent faire face. Le schéma qui suit illustre cette juxtaposition en les mettant en lien avec les différentes sphères de vie des jeunes.
Télécharger le schéma ici.
En somme, les réalités des jeunes en situation d’itinérance se situent à différents endroits sur un continuum entre l’inclusion et l’exclusion sociale et les trajectoires qu’iels empruntent les mènent à se déplacer sur celui-ci de manière évolutive. Comme nous l’avons vu, l’inclusion et l’exclusion peuvent être comprises en fonction de différents niveaux d’influence ou se percevoir à travers plusieurs sphères de vie. Si l’itinérance jeunesse est marquée par des expériences communes, il est important de se rappeler qu’elle se décline en des parcours diversifiés. Ainsi, ce phénomène peut être appréhendé par le biais d’une approche globale, mais il demeure important de considérer les spécificités individuelles afin d’éviter d’homogénéiser les réalités et les perspectives des jeunes. La complexité de la prévention de l’itinérance jeunesse réside justement au sein de ces tensions qui s’observent non seulement entre l’inclusion sociale et l’exclusion sociale, mais aussi entre la volonté de rejoindre un maximum de jeunes et le désir de célébrer les parcours uniques qu’iels sillonnent.