L’importance du virage préventif

Objectifs de cette section

Cette section vise à mettre l’accent sur l’importance du virage préventif et sur la nécessité de développer une vision proactive de la prévention de l’itinérance jeunesse. En effet, ce phénomène a souvent été considéré selon un paradigme de gestion palliative qui tente de le réduire ou d’éliminer l’itinérance jeunesse, et ce, sans considérer les mesures qui pourraient être mises de l’avant afin de la prévenir.  

La prévention de l’itinérance jeunesse dans la littérature

Dans le cadre du projet PIJ, la prévention est comprise selon la définition de Gaetz et Dej (2017), soit :

Les politiques, les pratiques et les interventions qui réduisent les probabilités qu’une personne connaisse une situation d’itinérance. Cela implique aussi de fournir aux personnes qui ont vécu une situation d’itinérance les ressources et le soutien nécessaires pour encourager leur stabilité résidentielle, leur intégration et leur inclusion sociale pour, ultimement, réduire le risque que la situation d’itinérance devienne récurrente (traduction libre, p.35).

Certaines typologies ont déjà été élaborées afin de prévenir l’itinérance chez les jeunes. Cela dit, la reproductibilité de ces modèles peut parfois poser problème puisqu’ils ne rendent pas compte des réalités locales et régionales.

Pour en apprendre plus sur les différents modèles de prévention recensés dans la littérature, téléchargez ce document. Celui-ci pourra inspirer des pratiques en matière de prévention. 

Modèle de prévention du projet PIJ

Il est possible d’observer certains chevauchements ou points communs entre les différents modèles répertoriés dans la littérature. Or, en tenant compte des résultats du projet PIJ, il est aussi possible de constater que ceux-ci comprennent des lacunes. En effet, l’analyse des témoignages des jeunes et des practicien·nes qui ont participé au projet a levé le voile sur des aspects de la prévention qui ne peuvent s’arrimer aux modèles et aux typologies issus de la littérature. Plus précisément, l’analyse des données PIJ a révélé trois types de crises, regroupées dans ce qu’on appellera ci-après le « triple C », auxquelles les jeunes font face : une crise de citoyenneté, une crise de connexion et une crise existentielle : 

  1. La crise de citoyenneté concerne les cadres stricts qui sont imposés aux jeunes ainsi que les contextes organisationnels qui limitent leur engagement, leur épanouissement et leur pouvoir d’agir. Plus précisément, les approches rigides encadrent les comportements des jeunes à l’aide de règles, favorisent des pratiques punitives et encouragent des prises de décisions dans lesquelles iels ne sont pas impliqué·es. Parallèlement, l’accès aux services et aux ressources est limité par les contraintes bureaucratiques et la complexité des démarches administratives qui y sont perpétuées. Ultimement, cela incite les jeunes à développer un sentiment de méfiance envers la société et ses institutions puisqu’iels ne peuvent librement y exercer leur droit de cité.

    C’est sûr que tout ce qui est bureaucratie, ça marche pas du tout. […] Est-ce qu’on peut accompagner ces jeunes-là à faire des demandes d’aide sociale? Est-ce qu’on peut rendre ça plus facile? Comment on peut rejoindre? Comment on peut les aider aussi à rester dans cette société, puis à pas vouloir mettre un terme, puis à se désaffilier complètement? (Intervenant·e) 

    Je pense que, depuis longtemps, on sait que le système scolaire, c’est un moule dans lequel certains jeunes ne cadrent pas. Ces jeunes-là se voient automatiquement exclus, puis, qui dit exclus de l’école, dit rapidement exclus de certains marchés de l’emploi. Donc, je pense qu’il y a vraiment un modèle à repenser. Tu sais, le modèle de réussite, c’est un modèle qui ne rend pas compte de la diversité, puis de l’unicité de chaque individu qui sont là. (Intervenant·e) 

    1. La crise de connexion fait référence à l’importance des liens sociaux que les jeunes entretiennent. Dans un contexte d’intervention, il en découle une importance cruciale d’humaniser davantage les relations en faisant preuve d’ouverture et d’empathie. Sur le plan social, la crise de connexion se traduit par une nécessité de briser l’isolement des jeunes et de créer des espaces dans lesquels iels peuvent tisser des liens significatifs et consolider des connexions avec autrui et entre iels. 

        Ça arrive, des fois, que tu sens que genre… il y a des profs qui sont à l’encontre de toi, puis que même si tu essaies de changer ou que tu essaies de… de construire une relation avec, c’est pas du tout ce qu’ils veulent. Même si tu le veux au plus profond de ton cœur, ils s’en foutent eux. Eux, ils rentrent chez eux après ça… C’est pas important pour eux et ça se sent et ça serait un des plus grands problèmes, je pense. (Jeune) 

        L’itinérance, c’est pas un problème de lieux, c’est un problème de liens. Concrètement, la prévention, elle se travaille aussi au niveau des liens qu’on est capables de tisser avec les jeunes, avec leur entourage, puis… le fameux filet de sécurité : le filet social. (Intervenant·e) 

        1. La crise existentielle englobe la quête de sens et la construction identitaire qui marquent la réalité des jeunes et la transition à la vie adulte. Cette crise concerne aussi la vision No Future Youth, soit une forme de désillusion au sujet de l’avenir, qui est occasionnée par les menaces que représentent des enjeux mondiaux et sociétaux, tels que la crise climatique, la crise du logement et la multiplication de guerres et de violences à travers le monde. Tout cela souligne la nécessité de permettre l’exploration et l’expérimentation afin de soutenir le développement identitaire des jeunes, de créer des espaces de vie qui sont à l’image des jeunes et dont iels peuvent faire sens et, finalement, de reconnaître que leurs préoccupations concernant l’avenir sont justifiées. 

        Moi, personnellement, comment je vois ça, c’est qu’en ce moment, la société, elle va un peu vers un mur. Donc c’est dur de se dire… de vouloir être impliqué là-dedans, surtout que, dans ma situation à moi et dans les gens dans ma situation, on n’a pas envie d’aider la société. Ça nous donne pas envie et c’est dur! C’est dur d’aider la société qui nous aide pas. C’est dur de voir que les personnes qui sont en contrôle de la société s’en foutent de nous. (Jeune) 

        C’est normal d’être un jeune, c’est normal de se poser la question, c’est normal de vouloir déménager, de partir en voyage, de bouger, de pas trop savoir, de rejeter l’autorité. C’est un développement normal du cerveau de l’adolescent et l’adolescent ne s’est pas développé normalement dans un contexte où il n’a pas pu expérimenter. (Intervenant·e) 

        Le schéma ci-bas permet de conceptualiser l’analyse des données PIJ :

        L’image présente un schéma intitulé « PENSER la crise comme un cumul des ruptures : les 3C ». Au centre, trois cercles se chevauchent formant un diagramme de Venn. Les trois cercles représentent les trois dimensions principales des ruptures conduisant à la crise. Au centre de l’intersection des trois cercles figure le mot « CRISE » Chaque cercle est de couleur différente : Cercle vert foncé intitulé « EXISTENTIELLE ». Il comprend la mention : « No future, quête de sens et construction identitaire ». Autour de ce cercle, un encadré gris clair liste des éléments comme : « No-future, monde incertain, désarroi, crise climatique, coût de la vie, absence de congruence des valeurs, manque de solidarité, manque d’espace d’expérimentation et d’apprentissage, espaces sociaux inadaptés etc. ». Deux citations en encadrés verts plus foncés : « ... il y a vraiment cet enjeu-là de... À quoi ça sert de continuer dans ce monde qui brûle puis qui explose de partout? (Intervenant·e) » « Je trouve qu’en 2023, c’est très dur d’être un jeune adulte puisque tout devient cher, tout devient genre ambigu aussi sur le monde... (Jeune) ». Cercle bleu clair intitulé « CITOYENNETÉ ». Sous-titre : « Cadres stricts et limites des contextes organisationnels ». Liste des éléments : « Déni des droits humains et sociaux, sur-responsabilisation des individus, rigidité des systèmes, manque de souplesse, d’adaptation, pratiques contraignantes, pratiques punitives et surjudiciarisation, manque de liberté, manque de considération pour la parole des jeunes, etc. ». Une citation dans un encadré bleu clair : « C’est parce qu’en centre jeunesse tu as pas de liberté. À la moindre niaiserie, tu es dans ta chambre, tu manges dans ta chambre, tu te couches plus tôt ou ci ou ça... (Jeune) ». Cercle vert clair intitulé « CONNEXION ». Sous-titre : « Rupture de liens ». Liste des éléments : « Manque d’appartenance, de liens à soi et à autrui, isolement, liens brisés, abandons, manque de protection, traumatismes, fuites, exclusion, méfiance, roulement et discontinuité, instabilité des relations, etc. ». Une citation dans un encadré vert-bleu : « L’itinérance, c’est pas un problème de lieux, c’est un problème de liens. (Intervenant·e) ». Au centre, là où les trois cercles se croisent, le mot « CRISE » en blanc symbolise que la crise résulte de l’interaction de ces trois ruptures : existentielle, citoyenneté et connexion.

        Les données révèlent aussi des pistes d’action pour se pencher sur les trois crises : 

        Le schéma s’intitule « Penser la crise par la collectivisation des réponses (les 3C) ». Il montre trois cercles qui se chevauchent, formant un diagramme de Venn. Chaque cercle représente une dimension pour répondre à la crise : Existentielle (cercle vert) : Objectif : soutenir les jeunes dans leur quête de sens. Actions proposées : s’intéresser aux jeunes, les écouter, entendre leurs inquiétudes et idées, nourrir l’espoir, offrir des lieux sécuritaires pour expérimenter et apprendre, permettre aux jeunes de se projeter, les inclure dans un projet de société. Citoyenneté (cercle bleu) : Objectif : promouvoir la participation des jeunes. Actions proposées : assouplir les systèmes, contrer la stigmatisation, faciliter la possibilité de faire des choix et d’exercer son agentivité, accorder une considération à la voix et aux savoirs des jeunes, considérer leurs préoccupations et aspirations légitimes, s’intéresser à leurs pistes de solution. Connexion (cercle vert clair) : Objectif : créer des liens avec et entre les jeunes. Actions proposées : favoriser la présence de figures significatives, cultiver le respect et l’empathie, favoriser l’entraide, recentrer sur la relation d’être plutôt que sur la relation d’aide, mettre en place des conditions pour vivre des relations signifiantes, stabiliser les relations. Au centre, là où les trois cercles se recoupent, figure le mot « Collectivisation », indiquant que la réponse à la crise passe par une action collective qui intègre ces trois dimensions.

        Télécharger les schémas penser et panser la crise.

        À partir de tous ces éléments, les données PIJ permettent de dégager deux pistes d’avenir pour collectiviser la prévention de l’itinérance jeunesse : 

        1. Transformer la vision de la prévention de l’itinérance jeunesse 
        • Enrayer les logiques de normalisation et de responsabilisation individuelle 
        • Miser sur des pratiques de cohabitation sociale 
        • Créer des espaces de vie pour les jeunes (à l’image des jeunes) 
        • Reconnaître l’influence des dynamiques structurelles 
        1. Développer des pratiques globales, concertées et adaptées aux réalités singulières 
        • Reconnaître la compétence du milieu communautaire en matière de prévention 
        • Considérer les expertises terrain et le savoir expérientiel des jeunes 
        • Encourager une collaboration entre les acteur·rices qui œuvrent au sein de différents espaces sociaux (école, RSSS, protection de la jeunesse etc.) 

        Les personnes intéressées à approfondir les éléments abordés dans cette section du dossier sont invitées à télécharger le rapport de recherche PIJ.

        Notes de bas de page

        Gaetz, S. & Dej, E. (2017). A new direction: A framework for homelessness prevention. Toronto:
        Canadian Homelessness Research Network Press.