L’accès au Programme de solidarité sociale pose des enjeux importants, qui dépassent les pratiques professionnelles et concernent les orientations du programme et ses modalités d’accès. Nous relevons ici quelques-uns de ces enjeux.
La réduction diagnostique
Le portrait diagnostique des personnes faisant une demande de reconnaissance de contrainte sévère à l’emploi est souvent complexe ; il peut combiner des diagnostics physiques ou de douleur chronique et des diagnostics en santé mentale, en plus de venir se superposer dans certains cas à des histoires de vie remplies d’adversités. C’est l’ensemble de ces facteurs qui entravent la capacité de la personne à se maintenir en emploi.
Or, le médecin est présentement la principale porte d’accès au Programme de solidarité sociale, alors que toutes les personnes bénéficiaires n’ont pas accès à un médecin connaissant suffisamment bien leur situation pour statuer sur leur capacité au travail. En outre, les expertises des professionnel·les de la santé et des services sociaux (autres que médecins) ne sont actuellement pas prises en compte par le MTESS. En cohérence avec le fait qu’une évaluation de la capacité au travail dépasse largement l’établissement d’un seul diagnostic incapacitant, une réflexion sur la possibilité d’élargir le rôle d’évaluation à d’autres ordres professionnels devrait certainement être menée, afin d’améliorer l’accessibilité au Programme de solidarité sociale.
La formation professionnelle
Le manque de formation et de soutien des professionnel.les de la santé et des services sociaux pour évaluer ces cas complexes mène à un éventail de pratiques très variables. Un soutien devrait être apporté aux professionnel.les dans le mandat qui leur est dévolu, afin de limiter les biais dans l’évaluation dus à une méconnaissance des modalités d’accès au programme. Les professionnels de la santé et des services sociaux en particulier doivent être en mesure de comprendre les subtilités et le potentiel discriminatoire du processus actuel, afin de pouvoir jouer pleinement leur rôle d’advocacy pour le patient.
⇒ Consulter les bonnes pratiques d’évaluation à l’intention des médecins
Il importe également d’offrir les conditions de travail et la formation requise aux agents dans les Centre locaux d’emploi, afin qu’ils soient en mesure de soutenir les personnes bénéficiaires, de les informer des mesures disponibles, ainsi que de leurs droits.
Les barrières à l’employabilité
Au-delà de la formation professionnelle, il faut prendre la mesure des difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi, qui sont d’ordre structurel, et favoriser une participation à la formation et au marché du travail plus facile et plus flexible, qui n’exige pas un abandon du filet social.
De multiples facteurs expliquent les barrières à l’employabilité : scolarité et historique d’emploi, adaptabilité sociale et stigmatisation, sentiment d’incompétence alimenté par les échecs d’insertion à répétition, mauvaises conditions de travail pour les travailleurs au bas de l’échelle et crainte de mettre sa santé en péril, gestion chronophage de l’état de santé et effets secondaires de certains traitements, difficulté à négocier des conditions de travail protégées auprès des employeurs et manque de programmes d’insertion adaptés, difficulté à gérer les allers-retours incessants entre l’emploi de courte durée et l’accès aux programmes, fluctuations du marché de l’emploi, etc.
Des programmes sociaux dédiés aux personnes qui sont en mesure de faire un emploi à temps partiel, sans pour autant être en mesure d’occuper un emploi de façon soutenue, sont nécessaires. Ces programmes devraient permettre de préserver un filet de sécurité sociale advenant une détérioration de leur situation et de leur capacité à se maintenir en emploi.
Les préjugés
Il importe de se questionner sur les effets du découpage des programmes d’aide en catégories de prestataires. Présentement, plus la personne peut démontrer le caractère «permanent» de sa contrainte à l’emploi, plus elle a droit à un revenu élevé. Quant aux personnes pour qui l’on juge que la contrainte est ponctuelle ou temporaire, elles sont encouragées à intégrer ou réintégrer le marché de l’emploi pour améliorer leur condition, sans égard à l’incertitude liée à la durée de la contrainte.
L’idée, ou la crainte, bien ancrée, que l’accès à un revenu plus au diapason avec le coût de la vie soit dissuasif au travail fait complètement abstraction de la valeur accordée au travail dans notre société et de l’expérience véritablement éprouvante des personnes bénéficiaires, qui vivent au quotidien avec le stigmate, les préjugés, la discrimination et la disqualification sociale. Cette idée reçue ne tient pas non plus compte des impacts positifs de l’accès au Programme de solidarité sociale sur la mobilisation personnelle et sociale.