« Ailleurs et autrement », titre du dossier du dernier numéro de la Revue du CREMIS, est un concept cher aux groupes communautaires en santé mentale, notamment Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal. Cette organisation a été mise sur pied par des personnes ayant utilisé de façon volontaire ou non les services en santé mentale, convaincues de la nécessité de se regrouper pour faire valoir leurs droits. À la lecture du dossier, trois thèmes ont émergé en lien avec les préoccupations actuelles du collectif, soit la garde en établissement, l’accès à des services diversifiés, adaptés et de qualité ainsi que le projet pilote de tribunal sur la santé mentale à la Cour municipale de Montréal.
L’enfermement involontaire
Les préjugés et la stigmatisation dont sont victimes les personnes éprouvant des problèmes de santé mentale sont très répandus dans la population, y compris chez les agents et agentes de police. En bout de ligne, la décision d’amener contre son gré une personne dans un centre hospitalier revient à ces derniers. Est-ce que ce sont réellement les motifs de dangerosité qui guident cette décision ou le fait que la personne est dérangeante sur la place publique ou pour son voisinage ?
En 2008, à Montréal, après dix ans d’augmentation, 2460 requêtes de garde en établissement ont été déposées à la Cour du Québec. Autrefois appelée « cure fermée », la garde en établissement est largement utilisée. Selon la Loi pour la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (P-38.001), une personne peut être privée de sa liberté et gardée dans un centre hospitalier contre son gré. Adoptée en 1998, cette loi était censée protéger les citoyens et citoyennes tout en évitant les internements involontaires.
Peut-on parler d’une loi d’exception quand on prive de liberté autant de citoyens, année après année ? Priver une personne du droit fondamental de sa liberté est un geste grave que l’on ne peut en aucun cas banaliser. Pourtant, ici, on ne parle pas de gens qui ont commis un crime, mais de personnes que l’on aurait jugées dangereuses suite à une évaluation de leur état mental.
Par ailleurs, la loi P-38.001 s’appuie sur la nécessité d’une intervention en situation de crise pour éviter les hospitalisations involontaires. À Montréal, c’est l’Urgence psychosociale-Justice (UPS-J) qui a été désignée pour ce faire. Avec la multiplication des mandats dévolus au fil des ans à cette équipe, on peut se demander si sa mission d’éviter des internements involontaires se réalise comme escomptée. Lors de l’adoption de cette loi, les groupes en défense des droits voyaient l’introduction d’une intervention en situation de crise comme une avancée. Manifestement, l’objectif de réduction des enfermements involontaires n’a pas été atteint.
Respecter les droits
Les groupes de défense de droits en santé mentale ont toujours pensé que le développement d’un « ailleurs et autrement » — par exemple des services diversifiés — serait une des voies à privilégier pour préserver la liberté des personnes et éviter la garde en établissement. La difficulté de la dernière réforme du système de la santé à s’accommoder d’autres logiques laisse percevoir l’écart à combler entre les demandes des citoyens directement concernés et les velléités du réseau de la santé. Près de cinq ans après le lancement du Plan d’action en santé mentale 2005-2010, la réorganisation des services publics est loin d’être complétée, particulièrement à Montréal. Le plan d’action en santé mentale prévoit l’octroi aux groupes communautaires de 10% des dépenses publiques en santé mentale. Or, cette part budgétaire, qui n’atteignait que 7,2% (5,4% à Montréal) en 2006-2007, a fondu à 7% (5,2% à Montréal) en 2007-2008 .
La conviction d’Action Autonomie demeure qu’une des clés de l’ailleurs et l’autrement est le respect des droits et l’accès à des services diversifiés, adaptés et de qualité.
Mobiliser pour subvertir
En ce qui a trait au projet pilote de trois ans du tribunal de la santé mentale à la cour municipale de Montréal, qui en est rendu à son premier anniversaire, il est encore utile de rappeler qu’il continue de susciter la controverse. Implanté sans étude, ce projet fait fi de ce qui amène la judiciarisation des personnes, que ce soit le travail des agents de police qui pratiquent le profilage discriminatoire1 ou la difficulté d’accès à des services de santé et à des services sociaux qui répondent aux besoins des individus. Le contexte social de pauvreté des personnes qui vivent des problèmes de santé mentale et le fait qu’elles soient souvent discréditées avant toute condamnation ou sentence sont également peu considérés. Nonobstant les mérites d’un projet pilote et la bonne volonté des individus qui y sont impliqués, on ne saurait suppléer ainsi à l’inadaptation d’un système judiciaire2 où l’ensemble des citoyens s’y perd et où une catégorie spécifique d’entre eux ne sont perçus que comme des malades ou des délinquants.
Il est désolant de constater la disparition au cours des dernières années de divers lieux permettant d’enrichir les pratiques en santé mentale, tels le Comité permanent de lutte à la toxicomanie, le Comité de la santé mentale du Québec, les Consultations en Ethnothérapie et en Santé mentale ainsi que la menace qui plane sur l’avenir de la revue Santé mentale au Québec3. Il est dommage que l’on n’ait pas su mener des actions collectives pour sauvegarder ces initiatives éprouvées. La mobilisation est une forme de participation et se pose également comme enjeu. Tel qu’évoqué par Jean Gagné4, n’aurait-elle pas pu « subvertir le statu quo et renouveler les pratiques sociales et de santé par la démocratie » active ?
Notes
1À ce propos, on réfère à l’intervention de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse faite lors de la Commission parlementaire sur l’itinérance tenue à l’automne 2008.
2Pour une analyse critique plus générale de notre système judiciaire, prendre connaissance du dossier de l’édition du printemps 2008 du bulletin de la Ligue des droits et libertés intitulé « Les maux de la justice / Détournement et dérive ».
3Voir Lecomte, Y. (2009). « Avancées et excès de la réforme », Revue du CREMIS, 2(1), 16-19. Disponible en ligne, www.cremis.ca
4Voir Gagné, J. (2009). « Renouvellement et démocratie », Revue du CREMIS, 2(1), 20-24. Disponible en ligne, www.cremis.ca.