Récit de pratique 5 – Concertation en sécurité alimentaire dans le quartier Centre-Sud

Par François Soucisse et Marcela Cid 

Ce récit de pratique a été produit dans le cadre du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ».

Ce texte trace le parcours de l’organisation communautaire dans son implication sur près de vingt ans, depuis l’émergence de la concertation en sécurité alimentaire dans le quartier Centre-Sud de Montréal jusqu’au déploiement du Carrefour alimentaire Centre-Sud. Quatre organisatrices et organisateurs communautaires (OC) ont successivement contribué à soutenir cette concertation et ses projets, tantôt individuellement, tantôt en binôme. 

Au milieu des années quatre-vingt-dix à Montréal, deux regroupements ont œuvré en faveur d’actions pour garantir la sécurité alimentaire des populations les plus démunies. Dans le quartier Centre-Sud, bien que l’insécurité alimentaire dans les ménages soit reconnue, les organismes communautaires, accaparés par la gestion des besoins urgents, n’ont pas eu l’occasion de s’engager dans une démarche de concertation, d’autant plus qu’ils se connaissaient peu entre eux. 

Deux événements ont agi comme des catalyseurs majeurs pour la mobilisation des organismes. Tout d’abord, un relevé des commerces alimentaires réalisé en 2000 a mis en évidence de graves lacunes dans l’offre commerciale du Centre-Sud. Les résultats ont révélé une surreprésentation des dépanneurs et une absence de supermarchés à bas prix. Ensuite, en 2001, la Grande Guignolée des médias s’est surtout tenue aux portes de Radio-Canada, une institution également implantée dans le quartier, sans apporter de réel bénéfice aux organismes locaux. Deux organisateurs communautaires du CLSC des Faubourgs ont joué un rôle crucial en facilitant la réalisation du relevé des commerces et en mobilisant les autres organismes concernés à travers des rencontres d’appropriation collective. Ces initiatives ont permis de recueillir près de 25 000 $ pour répondre aux besoins les plus urgents et ont conduit à la création de la Table de concertation et d’intervention pour une garantie alimentaire dans le Centre-Sud (CIGAL).  

Pour renforcer cette mobilisation naissante, ces organismes ont soutenu une démarche visant à établir un portrait complet de la sécurité alimentaire dans le quartier, soulignant le décalage entre les besoins pressants et les ressources limitées des organismes. Un sondage téléphonique et des groupes de discussion ont permis d’approfondir la compréhension des personnes ayant recours à l’aide alimentaire. 

En 2004, le colloque La FAIM ça prend des moyens – un défi à relever ensemble dans le Centre-Sud a été un moment fort pour doter la Table d’un plan d’action. De 2005 à 2008, le projet Porte d’entrée pour une garantie alimentaire, financé par la fondation philanthropique Centraide, a permis de développer l’accueil, l’évaluation et la référence dans les ressources d’aide alimentaire. En parallèle, l’idée d’une épicerie communautaire est envisagée pour répondre aux attentes des usagers·ères.  

À l’automne 2007, durant trois samedis consécutifs, un premier marché de fruits et légumes est expérimenté. Par la suite, un organisme à but non lucratif, le Marché solidaire Frontenac (MSF), est fondé pour orchestrer l’établissement et l’évolution d’un marché saisonnier sur une base hebdomadaire au fil des années suivantes. Divers modèles sont testés afin de concilier les préoccupations initiales, axées sur la réponse aux besoins des personnes en situation de précarité, avec les impératifs de viabilité économique et les enjeux environnementaux et de santé. Par la suite, ce marché s’est transformé en une plateforme participative assurant sa pérennité financière tout en maintenant des prix abordables. De plus, le MSF a collaboré avec un organisme de bienfaisance pour créer le Carrefour alimentaire Centre-Sud, un centre communautaire d’alimentation où les membres de la communauté se retrouvent pour cultiver, cuisiner et partager des aliments frais, nutritifs, abordables et culturellement appropriés, tout en soutenant la cause. 

Tout au long de ces années, l’organisation communautaire a joué un rôle essentiel, mobilisant les organismes, organisant des assemblées et des comités de travail, analysant les données populationnelles, participant à la conception et à la gestion de projets, coordonnant les processus d’embauche, représentant la Table et créant des liens avec les partenaires. Sa contribution a assuré la continuité et permis de maintenir le cap sur les objectifs, notamment en intégrant de nouvelles personnes. 

Retombées  

L’accès à des aliments sains et en quantité suffisante est au cœur des objectifs poursuivis, plaçant ainsi la dimension matérielle au premier plan. Cela nécessite non seulement l’augmentation des ressources financières à la disposition des organismes concernés, mais aussi la fourniture de ressources physiques, telles que l’occupation d’un terrain et l’accès à des services comme l’eau et l’électricité pour la tenue d’un marché hebdomadaire. 

La dimension relationnelle est présente à chaque étape du processus. Elle commence par la mise en relation de groupes qui se connaissent peu, puis se développe à travers des actions favorisant les interactions : groupes de discussion, colloques, accueil dans les ressources de dépannage alimentaire, et enfin un marché hebdomadaire conçu comme une agora, un lieu de rencontre. 

En ce qui concerne la dimension décisionnelle, la mise en relation des acteurs·trices de l’aide alimentaire a permis de mutualiser leurs besoins et de décider ensemble de l’utilisation des ressources et des programmes en fonction de leurs priorités. De plus, la voix des personnes directement touchées par l’insécurité alimentaire a fortement influencé les actions entreprises. L’expression « on veut s’alimenter à la même place que tout le monde » illustre leur désir de pouvoir choisir leurs aliments et de participer aux décisions concernant leur alimentation. 

Crédit : JBL

Actualisation par Marcela Cid 

Évolution de l’organisme depuis 2019  

Créée en 2000 et incorporée en 2008, la Table de concertation et d’intervention pour une garantie alimentaire dans le Centre-Sud (CIGAL) a vu le jour pour pallier l’absence d’une offre alimentaire adéquate dans le quartier Centre-Sud. Aujourd’hui, elle regroupe douze organismes communautaires qui fournissent divers services et activités visant à lutter contre l’insécurité alimentaire dans les quartiers des Faubourgs St-Laurent, St-Jacques et St-Marie, dans l’arrondissement Ville-Marie. Historiquement, la Table s’est concentrée sur l’échange d’informations et d’expériences, ainsi que sur le soutien de projets collectifs importants pour la communauté. Parmi ces projets, on peut citer la création et la diffusion du bottin des ressources alimentaires du Centre-Sud et le projet Zéro gaspillage, développé dans le cadre du système alimentaire solidaire et durable Notre quartier Nourricier en 2016.  

Impact de la pandémie sur la Sécurité alimentaire  

La pandémie de 2020-2023 a considérablement augmenté les besoins alimentaires dans le territoire de la Table CIGAL, entraînant une explosion des demandes d’aide alimentaire et plongeant ainsi les organismes dans une situation précaire. Pour répondre à cette situation critique, une cellule de crise s’est formée, regroupant divers acteurs·trices locaux pour garantir la sécurité alimentaire des résident·es les plus vulnérables et isolé·es.  

Lorsque l’urgence a commencé à s’atténuer, les rencontres de la Table CIGAL ont repris et la cellule de crise a cessé ses activités. Toutefois, cette période a été un tournant pour la Table, qui a accueilli de nouveaux acteurs·trices communautaires, institutionnel·les et politiques, accélérant ainsi son évolution organisationnelle. En 2019, les membres ont choisi de se désincorporer pour réduire la charge administrative, tout en continuant à collaborer pour nourrir les citoyen·nes du quartier. Après une période de transition, la Table a reçu son acte de dissolution du Registraire des entreprises du Québec le 11 octobre 2022.  

Accompagnement en organisation communautaire   

Depuis 2019, au moins trois organisateurs·trices communautaires ont soutenu la Table CIGAL. À compter de janvier 2024, le soutien offert en organisation communautaire s’est concentré sur plusieurs volets.  

Tout d’abord, l’organisatrice communautaire assiste le comité de coordination (coco) pour préparer les ordres du jour et les documents nécessaires aux réunions, tout en veillant au suivi des tâches et des décisions prises par la Table. Elle veille également à la mise à jour des documents relatifs à la vie associative, tels que les règles de fonctionnement et les listes de membres.  

En outre, elle apporte un soutien global à la Table en animant les rencontres, ce qui contribue à favoriser la vie associative et à renforcer la démocratie interne. Son intervention s’étend aussi au soutien des différents comités, à la stimulation de réflexions sur divers enjeux, ainsi qu’à la gestion des demandes externes, orientées vers le coco pour une réponse appropriée.  

Ce soutien est en constante évolution, s’adaptant aux besoins changeants de la Table et aux différent·es organisateur·trices communautaires ayant occupé ce rôle. 

Enjeux et difficultés actuels  

Le principal défi actuel est la précarité persistante des organismes de sécurité alimentaire, exacerbée par les crises actuelles : post-pandémie, crise migratoire, crise du logement, inflation, et pénurie de main-d’œuvre. Ces urgences consomment le temps et l’énergie des intervenant·es, laissant peu de place pour le travail de concertation. De plus, le financement à la mission des organismes est insuffisant, les obligeant à se tourner vers des projets souvent chronophages et précaires.   

Initiatives prometteuses  

Malgré ces défis, des initiatives prometteuses émergent. Depuis la cellule de crise durant la pandémie, un plus grand nombre d’acteurs·trices se sont rassemblé·es autour de la table, permettant une approche plus transversale de la sécurité alimentaire. Le travail collaboratif est de plus en plus apprécié, avec des initiatives de mutualisation qui commencent à voir le jour. Ces évolutions montrent que, malgré les difficultés, des progrès significatifs sont possibles grâce à une approche collective et solidaire. 

Pour citer ce récit de pratique

Soucisse, F. et Cid, M. (2025). Concertation en sécurité alimentaire dans le quartier centre-sud. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web].  Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.