Récit de pratique  3 – Un quartier mobilisé pour favoriser l’accès à l’alimentation des aînés en HLM

Par Catherine St-Germain et Nathalia Guevara-Jaramillo

Ce récit de pratique a été produit dans le cadre du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ».

L’origine du projet  

À l’été 2018, la Direction régionale de santé publique (DRSP) lançait son appel à projets intitulé Programme de soutien à l’amélioration de l’accès aux fruits et légumes à Montréal pour la période 2018-2021. En tant qu’organisatrice communautaire, engagée auprès de la table de concertation en sécurité alimentaire d’un quartier relevant du territoire du CIUSSS, j’ai pris l’initiative de mobiliser les acteurs·trices locaux·ales pour explorer les opportunités de soumission de projet. 

La table de quartier avait mis l’accent sur l’accès à l’alimentation dans son plan de développement social et a élaboré une série d’actions en conséquence. J’ai ainsi utilisé cette base lors de la première réunion à laquelle une quinzaine d’acteurs·trices locaux·ales ont participé. Dès lors, j’ai appuyé le processus démocratique conduisant à l’élaboration du projet, ce qui a permis de cibler une action conforme aux critères du cadre de référence de la DRSP et soutenue par consensus au sein du quartier : faciliter l’accès à une alimentation saine pour les personnes aînées résidant dans les HLM. Lors de la deuxième réunion, tous les acteurs·trices se sont rallié·es autour de l’idée d’un marché mobile ciblant spécifiquement cette population. Un porteur de projet a été identifié, un organisme fiduciaire (une mission religieuse) s’est porté volontaire, et un comité de suivi a été mis en place pour garantir le caractère collectif du projet, la liaison avec tous les acteurs·trices concerné·es et la cohérence des actions. Le projet a alors été prêt à être soumis, et j’ai collaboré à la rédaction de la demande de financement en documentant le contexte et la situation. 

Au sein du comité de suivi, j’ai été impliquée dans le soutien des différentes étapes de gouvernance ayant conduit à l’embauche d’une première chargée de projet. Celle-ci a œuvré pour établir des liens avec les comités de locataires des HLM aînés du quartier et trouver un fournisseur de fruits et légumes. Un premier HLM, reconnu pour la vulnérabilité de ses résident·e·s et ses nombreux défis, a été sélectionné. De plus, la présence d’un travailleur de milieu1 a grandement facilité la communication avec les locataires et la logistique pour la tenue du premier marché. Malheureusement, une semaine avant le lancement prévu du premier marché, la chargée de projet a annoncé sa démission. En outre, l’organisme porteur a annoncé qu’il ne pouvait plus assumer le projet ni les autres initiatives en sécurité alimentaire qu’il avait mises en place. Le comité de suivi s’est alors mobilisé pour trouver un autre organisme porteur. Par chance, un organisme s’est porté volontaire pour reprendre l’ensemble des activités en sécurité alimentaire, y compris le marché mobile. Le comité de suivi a rapidement entrepris le recrutement d’une deuxième chargée de projet. Celle-ci a repris les rênes du projet, et un premier marché a eu lieu en juin 2019 dans la salle communautaire du HLM. 

La mise en place des marchés de fruits et légumes 

Dès le premier marché, le succès était au rendez-vous avec une vente complète. Cependant, il a été observé que les personnes devaient attendre longtemps en file, ce qui était difficile pour de nombreuses personnes aînées. C’est alors que j’ai sensibilisé le comité de suivi aux aspects relationnels et décisionnels du projet. Ainsi, pour le deuxième marché, la chargée de projet a mis en place un système de numérotation permettant aux personnes d’attendre assises à une table. Ce changement a eu un effet positif inattendu : les gens ont commencé à interagir entre eux, et le travailleur de milieu a pu entrer en contact avec des locataires qu’il ne rencontrait pas habituellement. Cela a ouvert de nouvelles perspectives : pourquoi ne pas offrir du café pendant l’attente ? Pourquoi ne pas présenter les ressources du quartier ou faire goûter des aliments ? Le marché semblait rompre l’isolement des locataires. Une fois de plus, tout a été vendu, répondant ainsi à un réel besoin. Les locataires ont exprimé le désir de certains produits, notamment des fraises du Québec. La chargée de projet a entrepris les démarches nécessaires pour répondre à ces demandes et respecter l’autonomie décisionnelle des locataires. Lors du marché suivant, les fraises du Québec étaient disponibles, pour la satisfaction de tous·tes. Une forme d’entraide a émergé : la présidente du comité de locataires a pris des commandes à l’avance pour les personnes incapables de se rendre à la salle. Les plats préparés la veille lors du repas communautaire organisé par l’organisme porteur ont été vendus à prix réduit et se sont vendus rapidement. Le comité de suivi a envisagé la possibilité d’offrir des aliments transformés issus du circuit court du système alimentaire local lors des prochains marchés. Ainsi, les aîné·e·s locataires des HLM ont désormais accès à des fruits, légumes et repas sains à moindre coût. Le comité de locataires envisage même de s’approvisionner au marché pour relancer ses repas communautaires. 

Pour la suite, il est prévu de cibler d’autres HLM. Un travail progressif sera également entrepris pour convaincre les comités de locataires d’ouvrir le marché aux résident·e·s du quartier. Qui sait, de nouveaux liens pourront peut-être se tisser ? 

Actualisation par Nathalia Guevara-Jaramillo 

Les retombées  

En examinant rétrospectivement le projet, nous constatons que le soutien en organisation communautaire a eu des retombés sur le plan matériel, notamment en facilitant de manière indirecte l’accès aux produits frais aux résident·.es de cet HLM. Sur le plan relationnel, la mise en place des marchés a également renforcé les liens sociaux entre les résident·.es. À longue terme, la collaboration en matière de sécurité alimentaire a permis de rassembler diver·es acteurs·trices du quartier, y compris des organismes dont la mission principale n’est pas l’alimentation, facilitant ainsi la création de nouveaux projets et partenariats. En ce qui concerne la dimension décisionnelle, l’implication des organisatrices communautaires dans les espaces de concertation a stimulé la participation de divers acteurs et a permis de prendre en compte les perspectives des résident.es d’HLM dans la mise en œuvre du projet.  

L’évolution du projet pendant la pandémie et le contexte actuel 

Le projet de marchés aux HLM, mis en œuvre pendant la période de financement de trois ans, n’a pas été reconduit. Cette décision s’explique par le contexte pandémique, les pressions accrues sur les organismes et les travailleurs·euses communautaires, ainsi que le manque de financements à long terme.  

Le portrait de la sécurité alimentaire dans le quartier a évolué pendant et après la pandémie : les besoins en alimentation ont explosé dans un contexte de hausse du coût de la vie. Les demandes d’aide alimentaire auprès des organismes ont fortement augmenté. En parallèle, plusieurs organismes et services ont dû fermer faute de financements suffisants pour maintenir leurs activités. C’est le cas de l’organisme porteur du projet de marché aux HLM, qui, confronté à des contraintes économiques et n’ayant pas la sécurité alimentaire comme mission principale, a décidé de cesser ses activités alimentaires pour se concentrer sur des projets mieux alignés avec ses priorités.  

Le Programme de soutien à l’amélioration de l’accès aux fruits et légumes à Montréal, qui avait subventionné les marchés, a été révisé et transformé en PASTA (Programme de financement pour l’amélioration des systèmes territoriaux en alimentation). Ce nouveau programme de financement en santé publique requérait la collaboration des organismes, qui devaient se coordonner pour soumettre une demande collective par quartier. Un groupe d’acteurs·trices s’est constitué pour lancer un nouveau projet visant à créer une cuisine collective dans un secteur mal desservi. Cependant, malgré la mobilisation de quatre organismes, le projet n’a pas obtenu de financement pour la période 2023-2027.  

Les besoins alimentaires des résident·es des HLM et des personnes aînées restent pressants, et les organismes continuent de se mobiliser pour y répondre à travers divers projets tels que des dépannages alimentaires, une soupe populaire, des cuisines collectives et des jardins communautaires. 

Un projet de récupération d’invendus, impliquant bénévoles, organismes, institutions et commerces locaux, est en cours depuis plusieurs années et perdure malgré des financements limités, grâce à l’engagement des bénévoles. Ce circuit permet de récupérer environ 600 kg de nourriture chaque semaine, qui sont ensuite redistribués ou transformés. En dépit de l’absence de ressources financières stables, cette initiative contribue à compléter les paniers alimentaires et à offrir des repas préparés aux habitant·.es du quartier chaque semaine. 

La contribution de l’organisation communautaire 

Dans ce contexte, le rôle des organisatrices communautaires a été de soutenir la recherche collective d’alternatives à la fermeture des services alimentaires de l’organisme gestionnaire des marchés, de contribuer à la recherche de financements pour les projets et les organismes du quartier, et de favoriser la concertation ainsi que la création de liens entre les différents acteurs·trices. Elles accompagnent également la mise en place d’autres initiatives locales et participent activement aux réflexions autour de ces projets. 

L’évolution de la sécurité alimentaire dans un contexte post-pandémique nécessite une réévaluation de certaines initiatives, ce qui souligne l’importance de bien connaître le territoire et les enjeux des communautés qui le composent. Le financement et la mobilisation restent des défis majeurs pour les actions en sécurité alimentaire, et le rôle des organisatrices communautaires consiste à soutenir les organismes dans ces domaines, en étant à l’écoute de leurs besoins et préoccupations. 

Pour citer ce récit de pratique

St-Germain, C. et Guevara Jaramillo, N.  (2025). Un quartier mobilisé pour favoriser l’accès à l’alimentation des aînés en HLM. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web].  Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.