Récit de pratique 3 – PAQ : Renforcer la réponse à l’itinérance autochtone à Montréal

Par Manuel Penafiel

Ce récit de pratique a été produit dans le cadre du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ».

Basé sur entrevue réalisée le 7 octobre 2015 et article paru dans la Revue du CREMIS la même année.

Projet Autochtone du Québec (PAQ), un refuge d’urgence pour les communautés autochtones, était hébergé dans un bâtiment prêté par la Ville de Montréal, bien que celui-ci appartienne au CSSS Jeanne-Mance3. En 2005, face à la crise du logement et au besoin croissant de lits dans les grands refuges, la Ville identifie la nécessité d’un refuge spécifique pour les communautés autochtones. À ce moment-là, PAQ est une initiative qui s’efforce de favoriser l’affiliation et l’insertion sociale des populations autochtones en situation d’itinérance. Cependant, le groupe prend rapidement conscience de la nécessité de leur offrir un toit comme point de départ pour aborder d’autres dimensions de leur réalité. Bien que cela n’ait pas été sa mission initiale, PAQ s’est ainsi transformé en un refuge d’urgence pour ces communautés. 

En 2009, le CSSS a exigé la restitution du bâtiment, obligeant PAQ à se relocaliser. Le CSSS cherchait à récupérer le bâtiment nécessitant des rénovations majeures, et malgré tous les efforts de PAQ et de ses partenaires, aucun nouveau lieu adéquat n’a pu être trouvé. Mon mandat, débutant l’été 2011, était d’accompagner cette relocalisation cruciale. 

Les années suivantes ont été marquées par des tentatives infructueuses pour trouver un emplacement et obtenir des financements. Pourtant déjà en 2011, une lueur d’espoir était apparue avec la possibilité d’un financement de la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI).  PAQ y voyait une opportunité non seulement pour obtenir de nouveaux locaux, mais aussi pour élargir ses services en intégrant des logements de transition. Cette démarche répondait à des impératifs financiers, tout en introduisant de nouveaux défis. 

Les contraintes financières et le besoin d’un emplacement central ont compliqué la situation. Avec PAQ, nous avons examiné 37 sites différents, rencontrant des obstacles tels que les coûts d’acquisition élevés, des emplacements inadaptés, et une résistance marquée des arrondissements.  Bien que les objections ne fassent pas explicitement référence au caractère autochtone du refuge, elles reflétaient une hostilité manifeste à l’égard de son implantation. Certains groupes de citoyen·es et arrondissements cherchaient ainsi à faire échouer le projet. Face à ces difficultés, PAQ a dû réorienter sa stratégie, soulignant que la question de la relocalisation n’était qu’un aspect d’un enjeu plus vaste : l’itinérance autochtone urbaine, qui nécessite une réponse collective. 

Au fil de ce travail, c’est en développant des stratégies que mon rôle a eu un impact déterminant sur le dénouement. Plutôt que de considérer la relocalisation de PAQ comme le problème, j’ai proposé au CA de PAQ de repositionner l’équation en soulignant que le véritable problème résidait dans la situation d’itinérance vécue par de nombreuses personnes issues des communautés autochtones à Montréal. Donc de partager avec l’ensemble des acteurs·trices de la communauté la responsabilité du problème. Ainsi, la responsabilité du dénouement s’est déplacée : PAQ et sa relocalisation n’étaient plus le centre du problème, mais PAQ devenait un acteur clé pour développer une solution. Cette nouvelle approche a permis à l’organisme de prendre du pouvoir et de se positionner comme un acteur influent dans le dossier de la relocalisation. Le groupe a ainsi pu travailler à améliorer les conditions pour devenir cette solution de façon pérenne, soit renforcer son approche clinique, sa structure financière et son conseil d’administration, et ainsi se préparer à une relocalisation dans de meilleures conditions.  

Pour ce faire, il fallait collaborer plus étroitement avec divers·es acteurs·trices comme le Secrétariat aux affaires autochtones, le MSSS, la Ville de Montréal et le CSSS. En tant qu’organisateur communautaire, l’un de mes rôles était alors d’occuper une position de médiateur dans la facilitation des négociations entre ces parties. J’ai soutenu le groupe en naviguant entre les demandes et les refus, défendant sa stratégie avec des arguments solides tout en restant fidèle à une analyse collective.  

Cette approche collaborative a permis à chaque acteur·trice de contribuer selon ses responsabilités tout en travaillant vers une proposition commune. Cette vision a conduit à une prise de conscience collective de la responsabilité partagée. Malgré les obstacles, cela a permis de créer le projet de la Maison Autochtone de Montréal (ce titre n’a finalement jamais été retenu). Ce projet, en cours de réalisation, comprendra un refuge et des logements de transition pour les personnes autochtones en situation d’itinérance. Située dans un quartier tolérant, un voisinage qui connait déjà PAQ et un secteur familier aux communautés autochtones, cet espace marque une avancée significative. 

Avec ces nouveaux locaux, PAQ pourra offrir non seulement un abri culturellement sécurisé, mais aussi des chambres de transition pour aider les membres à quitter la rue. Ce tournant offre à l’organisme l’opportunité de se stabiliser et de se concentrer sur une stratégie d’intervention holistique, bien que des défis financiers persistent. Ce processus a souligné l’importance de la responsabilité collective et a renforcé la capacité de PAQ à soutenir celles et ceux qui en ont le plus besoin. 

Tout au long du mandat, le travail de l’organisation communautaire s’est structuré autour de deux volets principaux : d’une part, le soutien à la gouvernance et à la gestion auprès du conseil d’administration, de la direction et de la chargée de projet, et d’autre part, l’accompagnement dans le processus de relocalisation. Nous avons travaillé à définir un projet de développement pour le groupe, en élaborant des étapes concrètes pour le mettre en œuvre. Nous avons également mis en place un plan de levée de fonds, identifié des partenaires et des fondations privées et publiques à contacter, et exploré des partenariats avec des acteurs·trices autochtones. En parallèle, nous avons soutenu la direction dans la gestion du personnel et la définition des besoins spécifiques de leurs employé·es. Mon rôle incluait également la coordination des réunions et la garantie que toutes les voix soient entendues, tout en soutenant la directrice en place, une jeune intervenante autochtone confrontée à sa première expérience de direction. 

Crédit : JBL

Actualisation 

Évolution de la situation de PAQ depuis 2015 

Depuis l’entrevue de 2015, la situation de PAQ a évolué de manière significative, notamment avec l’ouverture du refuge au 169 de la Gauchetière en 2016. Cette étape a marqué le début d’un travail de stabilisation et de spécialisation des approches d’intervention du groupe. Ces approches, désormais bien structurées, ont pour objectif de favoriser une transition positive de la rue vers une communauté d’appartenance. Malgré des progrès importants, notamment en matière de consolidation organisationnelle, le groupe fait encore face à des défis financiers, en particulier pour le développement de nouveaux projets et l’amélioration des conditions de travail pour ses employé·es. Aujourd’hui, PAQ est reconnu comme un acteur incontournable dans le domaine de l’itinérance autochtone à Montréal, grâce à son expertise unique. L’organisation a su relever les défis posés par la pandémie, notamment en développant des services d’urgence. Elle gère désormais un deuxième refuge, un projet de gestion d’alcool supervisé avec des logements permanents, ainsi que des logements transitoires et permanents pour la communauté autochtone. 

Évolution de la situation des personnes autochtones en itinérance à Montréal 

Depuis 2015, la situation des personnes autochtones en itinérance ou en précarité résidentielle à Montréal s’est détériorée, en particulier en raison de la pandémie et de la crise du logement. La pandémie a exacerbé la vulnérabilité de cette population, déjà largement isolée et marginalisée. Comme tous les refuges, PAQ a dû réduire sa capacité d’accueil, mais a réagi en ouvrant un deuxième refuge d’urgence, qui a déménagé à deux reprises pour s’adapter aux besoins croissants. La crise sanitaire a également précipité la mise en place des premières cliniques de vaccination dans les milieux de l’itinérance, avant même qu’elles ne soient ouvertes à la population générale. 

La crise du logement a aggravé la situation de précarité pour les personnes déjà vulnérables. La gentrification et un marché immobilier de plus en plus tendu ont rendu l’accès au logement encore plus difficile pour les personnes autochtones, souvent à revenus faibles. L’accès à une éducation de qualité demeure problématique pour ces populations, avec seulement 63 % des jeunes des Premières Nations ayant terminé leurs études secondaires, contre 91 % chez les non-autochtones au Canada. 

Au-delà des problématiques économiques et sociales, les plus grands défis restent le racisme et le colonialisme systémique. Les traumatismes multigénérationnels continuent de marquer la population autochtone, et l’accès aux services de santé et d’éducation demeure entravé par une offre inadaptée aux réalités culturelles et un manque de services culturellement sécuritaires. 

Soutien en organisation communautaire : évolution et implication 

Depuis 2015, mon soutien à PAQ s’est poursuivi, en particulier dans le domaine de l’autochtonisation des pratiques et des décisions au sein de l’organisation. J’ai continué de travailler avec le conseil d’administration pour renforcer la voix des Autochtones au sein des structures de l’organisme. Mon travail a porté sur des questions de gouvernance, telles que les règlements généraux, la démocratie communautaire, et la reconnaissance de la place des Autochtones dans l’espace public. Dans une moindre mesure, j’ai également contribué à l’ouverture d’un nouveau refuge, en tant que conseiller pour le CA et la direction.  

Enjeux et difficultés rencontrés par PAQ 

PAQ a dû faire face à plusieurs défis majeurs au cours des dernières années. L’un des problèmes les plus persistants reste la difficulté de recruter et de retenir du personnel qualifié. Les conditions de travail, les salaires peu compétitifs et le faible bassin de travailleurs·euses autochtones rendent cette tâche particulièrement complexe. L’embauche et la formation sont devenues des priorités afin de soutenir la croissance de l’organisation. 

Un autre défi majeur concerne la création de refuges et de logements temporaires qui respectent les réalités culturelles et spirituelles des communautés autochtones. L’absence d’espaces dédiés aux cérémonies traditionnelles et le manque d’accès aux personnes aînées sont des lacunes importantes dans les services offerts. Bien que les différents niveaux de gouvernement aient soutenu des initiatives pour établir des refuges pour les Autochtones, l’adaptation des infrastructures et des services reste insuffisamment financée. 

D’autres difficultés sont liées à l’accès aux services de santé mentale et de dépendance, à l’insuffisance des programmes de formation et d’emploi, ainsi qu’au manque de logements permanents et de transition. La violence, notamment envers les femmes, demeure également une problématique cruciale qui nécessite une attention particulière en matière de sécurité et de protection. 

Succès notables et initiatives prometteuses 

Malgré les défis, PAQ a réussi à développer plusieurs initiatives prometteuses. Le programme de gestion d’alcool supervisé et les différents types d’hébergement et de logement représentent des avancées significatives dans la lutte contre l’itinérance. De plus, les relations établies avec les communautés permettent de travailler à la prévention de l’itinérance en amont. 

Cependant, ces initiatives sont encore à un stade embryonnaire et nécessitent davantage de documentation et de consolidation. Néanmoins, ces actions illustrent bien la capacité de l’organisation à proposer des réponses adaptées aux crises et aux besoins spécifiques des personnes autochtones. Il reste cependant un travail de fond à accomplir, car aucune organisation seule ne peut venir à bout d’un problème structurel aussi profond que celui du racisme et de la discrimination systémique. Il est essentiel que les efforts se poursuivent, en collaboration avec d’autres acteurs·trices du secteur, pour améliorer l’accès aux services et promouvoir des solutions durables. 

Crédit : JBL

Retombées de l’organisation communautaire 

Rétrospectivement, le soutien en organisation communautaire a eu plusieurs retombées significatives qui ont impacté de manière positive différentes dimensions.   

Dimension matérielle 

L’intervention en tant qu’organisateur communautaire a eu des retombées concrètes sur des aspects matériels.  Mon action a permis de soutenir le groupe dans la relocalisation de ses locaux et la création d’un refuge, ainsi que dans le développement de logements de transition pour les personnes en situation d’itinérance. Cette aide s’est également traduite par l’obtention de subventions essentielles pour le fonctionnement de PAQ.  Parallèlement, j’ai contribué à la définition d’un projet de développement à long terme pour PAQ, ce qui a permis de structurer cet organisme et de sécuriser les ressources nécessaires à sa pérennité, notamment grâce à un plan de levée de fonds et à l’identification de nouveaux partenaires. J’ai contribué à la mise en place d’un deuxième refuge d’urgence lors de la pandémie de COVID-19. 

Dimension relationnelle 

Mon rôle a aussi permis de renforcer les liens relationnels entre PAQ et ses différents partenaires. Un des axes importants de mon action a été d’accompagner l’organisme dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de communication adaptées à ses partenaires et bailleurs de fonds. Mon action auprès de la direction et du CA a pu contribuer à tisser des relations plus solides avec les acteurs·trices autochtones ou allochtones, en identifiant les partenaires clés dans la communauté et en favorisant leur engagement. Cette démarche a facilité l’établissement de liens stratégiques avec des soutiens financiers, renforçant ainsi le réseau de collaboration de PAQ. L’ensemble de ces efforts a permis à cet organisme de mieux s’intégrer dans un écosystème plus large et de diversifier ses sources de soutien, consolidant ses fondations pour l’avenir. 

Dimension décisionnelle 

Sur le plan décisionnel, mon soutien auprès du conseil d’administration (CA) et de la direction a permis de clarifier la prise de décisions stratégiques et de renforcer la gestion des ressources humaines. J’ai apporté un soutien direct à la gestion du personnel en contribuant à la définition des besoins spécifiques des employé·es, ce qui a amélioré la capacité décisionnelle de l’équipe dirigeante. De plus, en accompagnant le CA dans la réflexion sur l’évolution des processus démocratiques internes, nous avons amorcé un travail important de décolonisation de la structure organisationnelle et des règlements généraux. Cette approche a permis de mieux intégrer la perspective autochtone dans les prises de décision, en reconnaissant l’importance de la représentation et de la voix des communautés concernées dans le processus de gouvernance de l’organisation. 

Pour citer ce récit de pratique

Penafiel, M.  (2025). Renforcer la réponse à l’itinérance autochtone à Montréal. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web].  Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.