Par Élise Solomon et Alain Arsenault
Ce récit de pratique a été produit dans le cadre du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ».
L’organisme en question est une banque alimentaire qui s’engage à fournir une aide d’urgence et des paniers de provisions à très faible coût pour les personnes en situation d’insécurité alimentaire. Malgré des ressources limitées, il accomplit beaucoup. Porté par une coordonnatrice autrefois bénévole devenue membre du personnel, un intervenant, un livreur et des membres bénévoles dévoué·es au sein du conseil d’administration (CA), l’organisme parvient à répondre aux besoins croissants tout en élargissant sa gamme de services au fil du temps, notamment avec des livraisons pour les personnes à mobilité réduite, un programme de pair·es-aidant·es, des initiatives de réinsertion sociale et divers partenariats. J’ai été mandatée au printemps 2019 pour prendre le relais de l’accompagnement de cet organisme.
Dès le début, les défis auxquels l’organisme faisait face ont été mis en lumière. La coordonnatrice, débordée par les tâches quotidiennes, éprouvait des difficultés à déléguer, à faire confiance et à accepter le changement. Elle ne semblait pas saisir pleinement la valeur d’une vie associative démocratique ni l’importance du partage du pouvoir décisionnel avec le CA, composé en grande partie de bénévoles âgé·es. Ce dernier comptait fortement sur mon expertise pour son bon fonctionnement et son orientation. J’ai observé un sentiment général de dépassement et de surcharge lié à la complexité des responsabilités, dépassant largement le simple aspect logistique de la gestion de la ressource. Ces responsabilités incluaient la gestion des ressources humaines et des bénévoles, la gestion financière, l’animation de la vie associative, ainsi que des réflexions stratégiques autour d’un projet de relocalisation, entre autres. Certains commentaires ont révélé une certaine gêne et une crainte de mon jugement en tant que professionnelle du réseau. Ainsi, mon premier objectif a été de cultiver un climat de confiance en adoptant une approche égalitaire et non-jugeante.
Plutôt que de focaliser sur les obstacles à surmonter, j’ai choisi de mettre en avant les atouts, les acquis, l’expérience et l’expertise existants au sein de l’équipe et du CA. Les premières réunions du CA auxquelles j’ai participé étaient principalement axées sur des points d’information techniques, ce qui les rendait rapides et chargées. J’ai suggéré de diviser l’ordre du jour entre des « points d’information » et des « points de discussion/décisions », et j’ai pris le temps de solliciter l’opinion de chaque membre du conseil sur différents sujets. Progressivement, les membres du CA ont gagné en confiance et en assurance dans leur capacité à prendre des décisions éclairées pour l’organisme. De son côté, la coordonnatrice a ressenti un soutien croissant dans son travail en reconnaissant les avantages de la gouvernance démocratique.
L’assemblée générale annuelle, autrefois perçue comme une formalité lourde, s’est avérée être un moment crucial d’autonomisation pour l’équipe et les membres-usagers de la banque alimentaire. Lors de cette assemblée, j’ai encouragé un échange entre les membres-usagers présents et l’équipe, y compris les administrateur·rices. Cela a permis aux membres-usagers, peu habitués à prendre la parole, de poser des questions sur les paniers alimentaires, le fonctionnement de l’organisme et les projets à venir. Les membres de l’équipe ont répondu avec compétence, mettant en lumière leur connaissance fine de l’organisation. À la fin de cette assemblée, les membres-usagers se sont sentis plus impliqués et respectés, la coordonnatrice a ressenti un soutien renforcé, et les administrateur·rices ont exprimé leur motivation à s’engager davantage dans les projets de l’organisme et à prendre en charge la préparation et l’animation de leurs réunions.
Retombées
Soutenir la gouvernance et le fonctionnement d’une banque alimentaire revient à agir indirectement sur les inégalités matérielles en répondant aux besoins alimentaires des personnes en situation de pauvreté. Cependant, l’impact le plus significatif de mon intervention se joue au niveau relationnel et réside dans le renforcement de la confiance, de l’assurance et de l’estime de soi au sein d’un groupe de personnes issues des classes populaires, lesquelles ont démontré leur capacité à administrer avec succès un organisme communautaire. Dans un contexte où les organismes communautaires sont constamment sous pression pour performer, innover, se diversifier et se professionnaliser, j’espère que mon travail a également mis en valeur les avantages d’une gouvernance démocratique, du dialogue ouvert avec les membres-usagers et d’une gestion communautaire plus horizontale. Dans ce cadre, l’incidence de l’organisation communautaire sur la sphère décisionnelle revêt une importance cruciale.

Actualisation par Alain Arsenault
S’adapter à la pandémie…
En 2020, la pandémie a profondément bouleversé le fonctionnement de l’organisme dédié à la sécurité alimentaire. Face à une demande accrue et une réduction du nombre de bénévoles, l’organisme a dû adapter ses méthodes, tout en bénéficiant de financements significatifs permettant d’embaucher des employé·es temporaires et d’améliorer les paniers alimentaires. Le service de livraison à domicile pour les personnes à mobilité réduite s’est développé de manière importante, tandis que les activités de cuisine collective ont été suspendues. Ces changements ont posé de grands défis, notamment en matière de gestion des ressources financières et humaines, de relations de travail, de gouvernance et de reddition de comptes. Ces défis ont culminé en une crise à la fin de l’année 2020.
…et faire face à une crise interne
À ce moment-là, un incendie a détruit le camion réfrigéré utilisé pour transporter les denrées de Moisson Montréal, affectant la distribution à neuf organismes du quartier. Simultanément, plusieurs membres du conseil d’administration (C.A.) se sont sentis dépassés et ont démissionné en bloc. Les membres restants ont sollicité l’aide d’organisateur·ices communautaires (OC) pour gérer cette crise. Quatre OC ont alors pris en charge diverses tâches, telles que l’animation des réunions du C.A., la communication avec les bailleurs de fonds, le renouvellement d’ententes et la mobilisation des principaux acteurs locaux. Un plan d’action en six volets a été élaboré, couvrant la vie associative, les ressources humaines, la gestion financière, les ressources matérielles, les services, et la communication. Une direction intérimaire, soutenue par les OC, a également été mise en place.
En six mois, ce plan d’action a permis de stabiliser l’organisme, qui a adopté une nouvelle structure à la fin de l’été 2021. Cette structure comprenait une direction générale, une coordination des opérations, et un chauffeur de camion, remplaçant l’ancienne coordination générale. Cette réorganisation s’est avérée efficace et pertinente au fil des années.
Enjeux de financement et de direction : une nouvelle épreuve
Cependant, en 2022, l’organisme a perdu son financement principal, provenant du programme « Vers un chez soi », en raison d’un changement d’orientation. Cela a créé un déficit structurel de 80 000 $ sur un budget total d’environ 250 000 $. Malgré des efforts pour combler ce déficit, en particulier en collaboration avec d’autres groupes en sécurité alimentaire, aucune solution durable n’a été trouvée. En décembre 2023, le directeur général a quitté pour des raisons de santé pour ensuite démissionner, laissant l’organisme sans direction claire. À la suite de ce départ, l’organisme n’a pas été en mesure d’embaucher une nouvelle direction générale, en raison de sa situation financière.
Une nouvelle demande de soutien en organisation communautaire a été acceptée et l’intervention a débuté en janvier 2024. L’absence d’une direction générale a mis l’organisme dans une position très fragile, les membres du C.A. devant assumer des tâches incombant normalement à celle-ci, en plus de leurs responsabilités habituelles. Cette situation rend également le soutien des OC plus complexe et rend plus difficile le travail auprès des bailleurs de fonds et partenaires potentiels. De plus, cela a créé des tensions et affecté le climat de travail. Dès lors, le rôle de l’OC a principalement consisté à élaborer une stratégie de financement et à redistribuer les tâches parmi les membres du C.A., avec l’objectif de stabiliser l’organisme et d’identifier d’autres sources de financement permettant de combler le retrait du programme “Vers un chez soi”. Une demande de financement a été déposée auprès de la Direction régionale de santé publique (DRSP), dans le cadre d’un appel de projets visant l’adaptation aux changements climatiques.
Malheureusement, en septembre 2024, l’organisme a appris que le projet n’avait pas été retenu. Ce financement, ainsi que l’apport d’autres partenaires aurait permis d’assurer un revenu supplémentaire de 70 000 $ par an pendant trois ans. À partir de l’automne 2024, l’organisme, avec l’appui de ses partenaires, devra analyser plusieurs scénarios pour poursuivre sa mission et tenter de maintenir ses services, sauf si une augmentation significative de ses revenus est obtenue.
En somme, après une période de stabilité relative, de 2021 à 2023, l’organisme fait face à de nouveaux défis majeurs, menaçant sa viabilité et la continuité des services essentiels qu’il fournit à la communauté depuis plus de 45 ans.
Pour citer ce récit de pratique
Solomon, E. et Arsenault, A. (2025). Soutenir une banque alimentaire en difficulté. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web]. Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
Dossier thématique
Pratiques d'organisation communautaireAuteurs
- Élise Solomon
- Organisatrice communautaire
- Arsenault Alain
- Organisateur communautaire
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