Par Alain Arsenault
Ce récit de pratique a été produit dans le cadre du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ».
Fondée en 2006, Habiter Ville-Marie est une table de concertation en logement, placée sous la coordination du Comité logement de l’arrondissement central de Montréal, avec mon soutien en tant qu’organisateur communautaire depuis 2010. Cette plateforme regroupe divers acteurs·trices, notamment deux tables de quartier, à savoir la Table de concertation du Faubourg St-Laurent (TCFSL) et la Table Interaction Peter-McGill, ainsi que la Corporation de développement communautaire (CDC) Centre-Sud, qui représente plus de quarante organismes communautaires. Habiter Ville-Marie compte également parmi ses membres la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal (FOHM) et la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FECHIMM). En outre, elle accueille des entreprises d’économie sociale telles qu’Interloge, spécialisée dans le développement, la gestion et la location de logements sociaux et abordables, ainsi que deux groupes de ressources techniques (GRT) dédiés au développement de coopératives d’habitation. L’objectif principal d’Habiter Ville-Marie est de promouvoir le développement du logement social et communautaire dans un contexte marqué par la flambée des loyers, la réduction du nombre de logements disponibles, le déficit de politiques adéquates, voire de droits relatifs au logement.
Quand je suis arrivé en 2010, j’ai pris le relais d’une autre organisatrice communautaire qui avait réussi à rassembler tous ces gens autour de la table. Cependant, une communication continue entre ces différent·es acteurs·trices n’était pas toujours établie. Il devenait donc impératif de développer une vision commune. Ainsi, nous avons élaboré un plan de développement en habitation en 20111 pour l’arrondissement, interpelant différent·es acteurs·trices et paliers de gouvernement. Ce plan visait à brosser un portrait exhaustif des besoins en matière de logement, à identifier des mesures, des outils et des projets spécifiques, ainsi qu’à évaluer le potentiel de développement de logements sociaux et communautaires dans l’arrondissement. L’idée était également de cartographier différents sites de développement potentiels, tels que l’aménagement des terrains de l’ancienne maison de Radio-Canada ou la Place Gare Viger.
Avec Habiter Ville Marie, mon rôle principal est celui d’animateur. Plus concrètement, je prépare l’ordre du jour des rencontres avec le coordinateur du comité logement et j’anime les différents comités qui découlent d’Habiter Ville Marie, comme celui qui s’occupe du site web ou des comités chargés de rédiger des mémoires pour des projets spécifiques avec le soutien d’un cabinet d’architectes. En tant que tel, je ne peux pas prendre position au nom de mon établissement. Cependant, mon implication dépasse le simple aspect du processus, car je maîtrise le contenu. Par exemple, j’ai peaufiné l’écriture du plan de développement en m’appuyant sur les discussions issues de nos rencontres. J’ai ensuite soumis le plan aux différents membres, effectué des révisions et des corrections. De plus, je suis également chargé de réaliser les bilans de fin d’année et les compte-rendu de réunion, et je participe à la rédaction des différents mémoires.
L’un des défis rencontrés en tant qu’organisateur communautaire réside dans l’environnement constamment changeant dans lequel nous évoluons, que ce soit au niveau des organismes ou des politiques publiques en matière de logement, soumises à des mesures d’austérité. Certains programmes, tels qu’Accès logis, sont ainsi remis en question. Ce qui rend également le travail en organisation communautaire particulier, c’est notre engagement sur le long terme. Ainsi, l’un des défis majeurs est de maintenir l’intérêt dans un contexte où les acteurs évoluent au fil du temps.

La crise du logement à Ville-Marie : Un état des lieux et des enjeux
Depuis 2015, la crise du logement s’est intensifiée à Montréal, avec des conséquences particulièrement marquées dans l’arrondissement de Ville-Marie. Le Comité logement Ville-Marie (CLVM) et le collectif Habiter Ville-Marie (HVM) témoignent d’une augmentation notable de la détresse des locataires. La demande pour des logements sociaux ne cesse de croître, allongeant les listes d’attente et accentuant l’urgence de la situation.
Dans le cadre du Plan de quartier 2023-2028, les enjeux liés au logement ont pris une place centrale, reflétant l’ampleur des besoins. La transition des programmes de financement, avec le remplacement d’AccèsLogis (ACL) par le Programme habitation abordable Québec (PHAQ), a marqué un tournant significatif. Ce nouveau programme, orienté vers le secteur privé, a centralisé les décisions à Québec, créant un risque de déconnexion avec les instances locales telles que les tables de quartier et le CLVM. Le Règlement pour une métropole mixte, visant à produire 20 % de logements sociaux, abordables et familiaux, n’a pas rencontré le succès escompté dans l’arrondissement. En conséquence, Ville-Marie a vu moins de projets de logements sociaux aboutir par rapport à l’ensemble de l’île de Montréal. Ces projets sont principalement destinés à des personnes aux besoins spécifiques, comme les personnes en situation d’itinérance, les personnes atteintes de troubles de santé mentale ou les toxicomanes. Les logements pour les familles, les personnes seules et les aînés restent rares.
L’écosystème du logement a également été transformé par des initiatives comme PLANCHER et ACHAT, qui favorisent la mutualisation des ressources et des services. Parallèlement, de nouveaux acteurs, tels que les fonds fiscalisés et des entreprises privées comme le Groupe Maurice, investissent dans le secteur, notamment avec des projets de logements abordables pour aînés. Cette évolution vers une logique financière pose des défis pour les acteurs·rices traditionnel·les du logement social, qui doivent s’adapter à un environnement en constante mutation. HVM, en tant que principal collectif pour le logement social à Ville-Marie, se trouve face à la question cruciale de sa capacité à influencer le développement du logement social dans l’arrondissement. Alors que la table travaille sur une nouvelle Stratégie de développement pour 2024, ces enjeux seront au cœur des discussions et détermineront les actions à venir.
L’évolution d’Habiter Ville-Marie depuis 2015
La pandémie de COVID-19 a bouleversé les activités de la table, interrompant de nombreux chantiers de logements sociaux et mettant en pause le Plan d’action et la production du bilan annuel. Les réunions se sont adaptées au format virtuel, un compromis nécessaire mais imparfait pour une table composée de nombreux·ses acteurs·trices. Néanmoins, le nombre de membres actifs a augmenté, avec l’arrivée de nouvelles coopératives et organisations, ainsi que de représentant·es de l’arrondissement. Ces nouveaux·elles venu·es apportent des perspectives précieuses et assurent une meilleure communication avec les instances politiques et réglementaires. Toutefois, la table doit désormais limiter l’ajout de nouveaux·elles membres pour préserver l’efficacité de ses travaux.
Le rôle de l’organisation communautaire et les défis rencontrés
Le soutien apporté par l’organisation communautaire n’a pas fondamentalement changé : préparation et animation des réunions, appui aux comités de travail, rédaction de mémoires lors de consultations publiques, et suivi du plan d’action. Cependant, les changements de l’environnement et de l’écosystème du logement nécessitent une adaptation continue des actions et des stratégies. Maintenir la mobilisation des membres est un défi majeur, d’autant plus que les projets de logements sociaux se heurtent à de nombreuses difficultés à Ville-Marie. Malgré cela, la pertinence et l’engagement de HVM n’ont jamais été remis en question. Les membres restent motivé·es et déterminé·es à contribuer à résoudre la crise du logement.
Succès et initiatives prometteuses
Parmi les succès notables, la Stratégie de développement 2019 d’HVM se distingue par sa qualité et sa complétude, une référence rare au Québec. Financé en partie par l’arrondissement de Ville-Marie, ce document a été largement diffusé auprès des élu·es et des fonctionnaires, ainsi que sur le site web d’HVM. Ce succès pourrait se répéter avec la Stratégie 2024 en préparation.
Depuis 2015, plusieurs projets soutenus par HVM ont vu le jour, notamment des coopératives et des logements pour personnes aux besoins particuliers. D’autres projets sont en cours, tels que la Coopérative Testan et la Coopérative des gens de lettres, et pourraient aboutir dans les prochaines années. Ces initiatives illustrent la capacité de HVM à continuer de promouvoir le développement du logement social, malgré un contexte de plus en plus complexe et changeant.

Retombées de l’organisation communautaire
Rétrospectivement, le soutien en organisation communautaire auprès d’Habiter Ville-Marie (HVM) a eu plusieurs retombées positives.
Sur le plan matériel, le financement de la Stratégie de développement 2019 par l’arrondissement, d’un montant de 25 000 $, a permis de produire des documents de qualité, tels que le portrait populationnel et la cartographie des enjeux du territoire, réalisés par la firme d’architectes Rayside Labossière. L’implication des membres de HVM a également contribué à favoriser des projets de logements sociaux pour les résident·es à faible revenu du quartier, souvent inscrit·es sur la liste du Comité logement Ville-Marie.
Le Comité logement Ville-Marie, qui coordonne HVM, a longtemps souffert de précarité financière, menaçant parfois la coordination de la table. Mon intervention a permis d’obtenir divers financements pour maintenir cette coordination, notamment par le renouvellement du Fonds de lutte à la pauvreté, un financement de la DRSP pour quatre ans, et surtout, un financement récurrent de Centraide de 70 000 $ par an.
Sur le plan relationnel, l’animation des rencontres de HVM représente un défi constant en raison du renouvellement des membres et de la complexité des sujets abordés. Les participant·es, souvent des dirigeant·es d’organismes influents, apportent des expertises variées. La table réunit des acteurs·trices de réseaux sectoriels (logement social) et territoriaux (trois tables de quartier de Ville-Marie). Mon rôle consiste parfois à jouer les médiateurs, en veillant à l’accueil des nouveaux·elles membres, à la valorisation des contributions de chacun·e et à la résolution des conflits. Après quatorze ans à coordonner HVM et près de vingt ans à travailler dans le Centre-Sud, j’ai considérablement élargi mon réseau et approfondi ma connaissance du territoire et de ses acteurs·trices.
Enfin, sur le plan décisionnel, les membres de HVM, représentant divers groupes d’intérêt, prennent position de manière concertée après discussion lors des réunions ou consultation de leurs instances internes. Le lien avec les citoyen·nes est principalement assuré par les tables de quartier et le Comité logement Ville-Marie. Parmi les membres, on trouve des groupes tels que FOHM, FHCQ, GRT (AHM, CDH), des bureaux d’architectes, ainsi que des développeurs comme InterLoge, Ma chambre et la Coopérative du Faubourg à m’lasse.
Notes
1 Plan de développement 2011 – Habiter Ville-Marie
Pour citer ce récit de pratique
Arsenault, A. (2025). Habiter Ville-Marie : La quête du logement social. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web]. Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
Dossier thématique
Pratiques d'organisation communautaireAuteurs
- Arsenault Alain
- Organisateur communautaire