Pour les populations confrontées à des difficultés socio-économiques, les possibilités d’accès à une alimentation diversifiée et de qualité sont particulièrement limitées. Nombre d’entre elles n’ont d’autre choix que de recourir à l’aide alimentaire pour pallier l’insuffisance ou l’absence de revenus. Or, les organismes d’aide alimentaire (une bonne centaine à Bruxelles) sont largement tributaires de la faiblesse des moyens dont ils disposent pour répondre aux demandes.
Pour la Fédération des services sociaux (FdSS) et les organismes qu’elle coordonne au sein de la Concertation aide alimentaire1, la question fondamentale de la qualité de l’aide distribuée se greffe sur une interrogation plus politique qui, tout au bout, frise la contradiction. Maintenir l’aide alimentaire, voire même en améliorer les pratiques, ne revient-il pas paradoxalement à cautionner, voire entretenir, une réalité inacceptable caractérisée par l’injustice sociale et la persistance de la pauvreté ? L’aide alimentaire est une pratique d’action sociale qui ne devrait plus exister. C’est là qu’éclate toute son aporie2 : c’est en poursuivant l’objectif ultime de sa disparition qu’il convient malgré tout d’œuvrer à son amélioration, afin d’offrir à ceux qui en ont besoin, une aide qui concilie au mieux efficacité et dignité. Dans le même temps, une réflexion sur l’élaboration de propositions alternatives permettant de répondre autrement aux problématiques de ces publics mérite d’être menée.
La recherche-action participative « Solidarité en primeur(s) », dite « Solenprim », débutée en janvier 2016 pour une durée de trois ans, se situe dans cette seconde perspective. Ce projet, en se fixant pour objectif de formaliser de nouveaux rapprochements entre aide alimentaire et alimentation durable, soulève des enjeux de natures très différentes. Tout d’abord, il nécessite de tisser des liens pertinents entre les préoccupations du secteur de l’aide alimentaire et un objectif sociétal plus général de transition vers des systèmes d’alimentation durable. Ce qui, au regard des réalités et des activités actuelles de ce secteur, n’est pas une évidence. Ensuite, il rassemble des acteurs très différents autour d’une démarche de recherche participative et collaborative. Or, reconnaître que la complémentarité des expertises distribuées est essentielle au processus de co-création est une chose, réunir les conditions nécessaires à leur réelle expression en est une autre.
Une évolution inquiétante
L’histoire récente de l’aide alimentaire en Belgique remonte à la moitié des années 1980. C’est à cette époque, marquée par les effets de la crise économique des années 1970 et la montée du chômage, qu’ont été construits les piliers de son système actuel. C’est le cas des Restos du cœur, qui, en Belgique comme en France, contribuent à médiatiser et populariser le concept d’aide alimentaire. C’est le cas aussi des banques alimentaires, l’un des socles du secteur sur le plan logistique, et du Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD) créé au même moment pour orienter les surplus de l’agriculture européenne vers les personnes en situation de précarité3.
À côté de ces grandes institutions et s’appuyant sur certaines d’entre elles, des centaines d’organisations de première ligne déploient leurs activités, en délivrant chaque jour colis alimentaires, repas, sandwichs ou soupes à des personnes sans revenus, sans papiers ou sans domicile fixe, mais aussi, et de plus en plus souvent, à des chômeurs, des bénéficiaires du Revenu d’intégration sociale (RIS), des « petits pensionnés », des « travailleurs pauvres » (pour une description des publics concernés, voir : Hubert et Nieuwenhuys, 2009, p. 119-147). S’il n’existe pas de données précises et fiables concernant les bénéficiaires de l’aide alimentaire, nous estimons que leur nombre est, à ce jour, de l’ordre de 55 000 personnes à Bruxelles et de 450 000 en Belgique (Hubert et Vleminckx, 2016).
Toujours dite « d’urgence », l’aide alimentaire concerne en pratique de plus en plus de monde et non plus seulement une minorité. La crise de 2008 n’a fait que renforcer cette tendance. Dans ce contexte, on a pu observer depuis quelques années une réelle mobilisation en faveur de ce secteur. Celle-ci inclut un grand nombre de mesures visant à faciliter l’approvisionnement des organismes, jumelées à des politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais cette mobilisation s’accompagne d’une évolution inquiétante repérable dans les discours et les pratiques politiques : si hier encore l’aide alimentaire était jugée « scandaleuse », elle semble aujourd’hui de plus en plus souvent perçue comme une modalité d’aide sociale acceptable.
Élargir le champ
Une étude récente (Hubert et Vleminckx, 2016) s’est consacrée au recueil et à l’analyse d’une trentaine de témoignages de bénéficiaires de services d’aide alimentaire. Enrichis des points de vue d’intervenants réunis en groupes de travail, ces récits d’expériences vécues permettent de dresser plusieurs constats qui tiennent en quelques lignes : l’insuffisance et l’instabilité des ressources dont disposent les organisations d’aide alimentaire limitent grandement leur capacité à garantir aux personnes un service adéquat, que ce soit en matière de qualité de l’accueil, d’offre d’un accompagnement social ou encore de qualité et de diversité des vivres.
Les produits fournis ne permettent pas toujours de répondre aux besoins ou préférences des personnes. Bien souvent ils ne sont pas disponibles en quantité suffisante. Les usagers et les travailleurs déplorent fréquemment la médiocre qualité des denrées, qu’il s’agisse de produits achetés au prix le plus bas dans le cadre de grands marchés publics européens en ce qui concerne le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD, qui a remplacé le PEAD) ou de produits invendus de la chaîne agroalimentaire. Les modalités et les conditions d’accès à cette aide sont quant à elles trop souvent précaires et dans certains cas trop peu stables et durables dans le temps pour en faire une solution réelle, respectueuse des droits et de la dignité des bénéficiaires.
C’est dans ce contexte que la mise en place de politiques visant à assurer une transition vers une alimentation durable à Bruxelles a été perçue par les acteurs du secteur comme une opportunité pour élargir le champ des possibles en matière d’accès autonome à une alimentation de qualité pour les personnes en situation de précarité.
Alimentation durable
Depuis 2009, la Région de Bruxelles-Capitale a adopté un objectif politique de transition vers une alimentation durable. Si le concept ne fait pas l’objet d’une définition consensuelle, il est admis que sa mise en œuvre répond à des objectifs à la fois environnementaux, économiques et sociaux. À côté de la promotion d’un système alimentaire respectueux de l’environnement et des acteurs économiques (des producteurs aux distributeurs), l’intention politique est aussi de développer un système capable de garantir l’accès durable à une alimentation saine et de qualité pour tous, y compris pour les populations pauvres et précaires (Alliance emploi-environnement, 2014). En ce sens, le secteur de l’aide alimentaire, capable d’atteindre ces populations, a été identifié comme un acteur clé.
Ce choix stratégique soulève, pour le secteur, les questions opérationnelles suivantes : Comment associer de façon structurée le secteur de l’aide alimentaire à cette transition ? Comment connecter durablement les publics précaires à ces systèmes ? Quels moyens déployer pour faciliter l’accès de ces publics à une alimentation saine et de qualité ? Comment, enfin et surtout, mener à bien ces objectifs dans le souci permanent de favoriser l’émergence d’alternatives à l’aide alimentaire telle qu’elle se pratique actuellement en Belgique ?
Au quotidien, à la mesure de leurs moyens, des organismes d’aide alimentaire s’attèlent à construire, sur le terrain, les réponses à certaines de ces questions : ils bricolent, font preuve de créativité et de débrouille pour améliorer la qualité nutritionnelle de l’aide alimentaire et tenter d’élargir les possibilités des bénéficiaires en matière de choix de denrées. Ainsi, on a notamment vu germer un Groupe d’achat en commun (GAC) au sein d’un service social généraliste proposant, entre autres, un restaurant social et des colis alimentaires. Ce GAC vise le double objectif de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement, notamment des produits frais, tout en impliquant les bénéficiaires et en leur offrant des alternatives aux modes de consommation classiques, hors de l’aide alimentaire. Par ce dispositif, l’accès aux légumes et fruits frais leur est facilité et ils gagnent en pouvoir d’achat. Ils en retirent par ailleurs, en tant qu’acteurs du projet, la satisfaction de s’inscrire dans une démarche et dans des réflexions collectives sur les produits et leur provenance ainsi que sur la construction d’alternatives aux systèmes commerciaux classiques.
Cet exemple démontre que les tentatives pour rapprocher l’aide alimentaire de l’alimentation durable ne sont pas inexistantes. Émergentes, elles restent encore marginales. Un terrain toujours en friche mais au sol fécond, que la Fédération des services sociaux, avec d’autres acteurs de l’aide alimentaire, s’est fixé pour but de cultiver.
Régénérer le social
Fin 2014, Innoviris, l’Institut bruxellois pour la recherche et l’innovation, lançait un appel à projets visant le développement de dispositifs innovants en matière d’alimentation durable en Région de Bruxelles-Capitale. Les conditions d’éligibilité des projets imposaient aux candidats le respect d’un cadre strict : ceux-ci devaient à la fois « favoriser le déploiement du potentiel économique, social et environnemental lié au développement d’un système d’alimentation durable », argumenter soigneusement le « caractère innovant » du projet et surtout, intégrer une dynamique de co-création incluant les « utilisateurs finaux » comme partenaires du projet. La réponse à cet appel représente, pour la FdSS et ses partenaires (la plate-forme d’achats solidaires Solifood4 et quatre organismes d’aide alimentaire), une occasion de réaffirmer la nécessité de considérer comme prioritaire la question de l’effectivité du droit à une alimentation saine et de qualité, accessible durablement, pour tous. Parmi l’ensemble des projets soutenus par Innoviris en matière d’alimentation durable5, Solenprim est celui qui revendique le plus fortement et le plus ouvertement un objectif de lutte contre les inégalités économiques et sociales. Quand d’autres projets aspirent d’abord à développer le potentiel environnemental des systèmes alternatifs de production, de transformation ou de distribution des aliments, Solenprim insiste en premier lieu sur leur potentiel de régénération du social. En effet, ces systèmes alternatifs se développent pour la plupart dans un esprit de collaboration, d’échange et de partage ; ce que Jeremy Rifkin appelle l’esprit des communaux collaboratifs (Rifkin, 2014). Or, y associer les publics défavorisés peut non seulement faciliter l’accès de ces derniers à une alimentation de qualité, mais également contribuer – c’est l’une de nos hypothèses – à lutter contre les processus d’exclusion et d’isolement souvent inhérents à leurs conditions de dénuement.
Le projet Solenprim s’est ainsi élaboré autour des objectifs opérationnels suivants : créer, développer et évaluer des dispositifs ou initiatives pilotes permettant aux publics les plus précaires d’accéder durablement à une alimentation de qualité, saine, diversifiée, et d’être connectés à des systèmes alimentaires alternatifs qui promeuvent de nouvelles formes de solidarités, de coopérations et d’échanges. Il s’agit aussi d’élaborer des dispositifs qui permettent aux organismes d’aide alimentaire d’accroître leurs capacités d’approvisionnement en produits de qualité, en particulier en produits frais (légumes et fruits), et de s’associer davantage à cette transition vers des systèmes d’alimentation durable.
La co-création
La phase de montage de projet a été guidée par notre souci permanent d’identifier, au sein des enjeux qui animent le secteur de l’aide alimentaire, ceux qui entraient en adéquation avec les objectifs et les exigences de l’organisme financeur. Bien que l’ensemble des partenaires aient été invités à contribuer à ces réflexions, les travailleurs des cellules « recherch’action » et « aide alimentaire » de la FdSS ont, en tant que porteurs de projet, occupé une place prépondérante dans toutes les étapes de ce travail. Le constat est celui d’un décalage entre, d’un côté, une volonté de fonctionner selon le principe de la co-création et, de l’autre, les possibilités d’implication effective de chacun. Un questionnement que les premiers mois de réalisation du projet nous ont amenés à approfondir.
Tel que les partenaires impliqués l’ont conçu, Solenprim repose sur un postulat fort : lorsque différents acteurs collaborent dans le but de concevoir et de mettre en œuvre de nouveaux dispositifs, chacun d’eux injecte dans le projet un ensemble de savoirs qui lui est propre. Dans cette perspective, atteindre les objectifs fixés nécessite à la fois la mutualisation de ces « savoirs distribués », et un engagement fort de la part des acteurs concernés. L’approche théorique proposée par la « sociologie de l’expertise » (Trépos, 1996) nourrit ce positionnement. Selon elle, l’expertise n’est pas réservée à ceux qui possèdent un titre d’« expert », mais caractérise tous ceux qui se retrouvent en situation de mobiliser leurs savoirs (théoriques, techniques, ou fondés sur l’expérience) dans le but de produire un jugement et que sur cette base, des décisions soient prises.
C’est dans cette logique que depuis janvier 2016, les partenaires se consacrent à la « phase de diagnostic » du projet6. L’objectif ici est d’identifier, à partir des savoirs expérientiels des personnes concernées, les freins qui réduisent l’accès à des aliments variés et de qualité, tant du côté des publics précarisés que du côté des organismes distributeurs d’aide alimentaire. Parmi les enjeux repérés pour mener à bien cette étape, l’implication des différents partenaires, mais aussi de leurs personnels et bénéficiaires, est considérée comme tout aussi délicate qu’essentielle. Or, un certain nombre d’éléments, qui ne pourront pas tous être développés ici, révèlent une asymétrie de positions au sein du collectif de partenaires.
Avant Solenprim, chercheurs et chargés de projet de la FdSS n’avaient jamais été amenés à travailler en collaboration si étroite et concertée (si les résultats des recherches menées par les uns alimentaient les réflexions de terrain des autres – et réciproquement –, il ne s’agissait pas, sinon très ponctuellement, d’œuvrer de concert). L’étape consacrée au montage du projet leur a permis de co-construire une problématisation commune, de baliser un ensemble d’objectifs partagés, et d’anticiper les modalités de leur future coopération. Pour les autres partenaires, c’est plus tard, au moment du réel démarrage du projet, que s’est posée la question des places et rôles à investir par chacun. Or, pour eux, se positionner comme co-décideurs des orientations du projet n’est pas évident. Un partenaire, salarié d’un organisme de terrain, confiait, par exemple, lors de la première réunion du « comité Solenprim » (dispositif de pilotage du projet incluant l’ensemble des partenaires), que le programme de recherche, rédigé dans un style très universitaire, était particulièrement difficile à s’approprier.
Après avoir fait cette remarque, il insistait également sur l’effort de vulgarisation à prévoir en vue d’approcher les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Il expliquait, enfin, craindre le caractère chronophage du projet, au regard de son contexte de travail par ailleurs déjà lourdement chargé. Dans la même perspective, lors d’une seconde réunion, un autre partenaire, acteur de terrain de seconde ligne quant à lui, signalait : « J’ai senti aujourd’hui, même si j’ai réussi à vous comprendre, que les échanges volaient à un niveau disons, au-dessus du mien. » Le procès-verbal de cette réunion en garde trace et souligne, dans une démarche réflexive, l’écart de langage susceptible de renforcer une posture de retrait chez certains acteurs, voire, pour la suite du projet, de compromettre l’intéressement des bénéficiaires.
Ce dernier point d’attention est d’autant plus important que Solenprim s’est engagé à cibler tous les bénéficiaires de l’aide alimentaire, y compris les plus précaires d’entre eux. Bon nombre de dispositifs innovants en matière d’action sociale s’accompagnent du risque de s’adresser préférentiellement à une « élite des exclus », reproduisant ainsi de nouvelles distinctions et de nouvelles exclusions au sein même des populations défavorisées. « L’effet Matthieu7 » (Damon, 2002) caractérise ce type de situation où les résultats d’un dispositif ou d’une prestation n’affectent positivement que les moins défavorisées des personnes qui composent un public cible, alors que celles qui sont le plus en difficulté n’en tirent, quant à elles, aucun bénéfice. À ce stade du projet, la crainte de ne pas parvenir à inclure ces dernières dans la démarche de co-création est venue redoubler celle d’échouer dans l’objectif de concevoir, à terme, des dispositifs permettant concrètement de garantir l’accessibilité la plus large aux publics défavorisés. Pour se réaliser pleinement, la démarche de co-création doit être particulièrement attentive à rendre le propos accessible à tous, y compris aux personnes les moins outillées.
Diagnostic transversal
Pour lever ces difficultés et réunir les conditions nécessaires à la valorisation de toutes les expertises attendues dans ce projet, il importait de commencer par travailler à rétablir une égale légitimité d’expression et d’implication entre les différents partenaires. Une tentative de repositionnement a dans ce sens été engagée du côté des chercheurs et des chargés de projet de la FdSS.
Tout d’abord, en proposant à tous les partenaires, chercheurs compris, d’acquérir de nouvelles compétences en méthodes d’intelligence collective, dans le cadre d’une première journée de formation animée par deux intervenants indépendants. Conformément aux objectifs visés, ce moment a permis aux personnes présentes d’expérimenter, via divers exercices pratiques, la philosophie de « non-hiérarchisation des savoirs » revendiquée par le projet ; d’outiller le collectif en vue de faciliter ses collaborations à venir, au-delà des effets d’asymétrie de compétences ou de statuts ; et d’examiner collectivement la pertinence de ces mêmes méthodes pour animer les diagnostics locaux d’ores et déjà programmés avec des groupes de bénéficiaires puis d’intervenants de l’aide alimentaire.
Ensuite, en prenant le temps de dépouiller la problématique de son habillage académique. Pour ce faire, les chercheurs ont sollicité la contribution de l’une des chargées de projet de la FdSS, animatrice de la Concertation aide alimentaire, dans le but de rendre l’objet de la recherche accessible aux bénéficiaires finaux et de pouvoir ouvrir la réflexion avec eux dans le cadre des séances de diagnostic. Ici, en l’occurrence, la question a été posée en deux temps, de la manière suivante : « Pour moi, bien se nourrir, c’est… ? », puis « Quelles sont les difficultés qui, dans ma vie quotidienne, réduisent mes possibilités d’y parvenir ? » Dépassant l’enjeu de la juste formulation, c’est l’entièreté du protocole de recueil de données qui fut au final élaboré en co-création. Au point de bousculer encore un peu plus les frontières professionnelles entre les différents partenaires. Conscients de la portée symbolique de ce type de déplacements, les chercheurs ont alors commencé à nommer, au détour de conversations informelles, l’ensemble des partenaires (eux compris) sous le vocable de « co-chercheurs », tous légitimes, parce que détenteurs de compétences analytiques spécifiques indispensables pour mener cette recherche à bien.
Les premières séances de diagnostic sont actuellement en cours de réalisation, dans les locaux des quatre organismes partenaires, auprès de quatre groupes de bénéficiaires d’une part, et de quatre groupes d’intervenants (professionnels ou bénévoles) d’autre part. La méthodologie mise en œuvre prévoit que dans un second temps, tous les bénéficiaires ayant participé à l’étape précédente se rassembleront afin de mutualiser leurs analyses. Les intervenants feront de même. Et parce que rien ne justifie que les chercheurs et chargés de projet de la FdSS se soustraient à cet exercice, une séance, fondée sur un protocole méthodologique identique, leur sera consacrée. L’étape suivante consistera à mettre l’ensemble de ces groupes d’acteurs autour de la table, afin de formaliser leur « diagnostic transversal commun ».
Le temps de la co-création
Si la co-création représente un véritable défi pour les chercheurs, les chargés de projets et les acteurs de terrain, elle offre également un potentiel inestimable de renouvellement des pratiques (de recherche, comme de terrain) et des modalités d’action d’un secteur. Renouvellement particulièrement utile aux acteurs de l’aide alimentaire et, plus encore, à leurs bénéficiaires. Dans le cadre de ce projet précis, elle fait aussi figure de levier permettant d’éviter plusieurs écueils potentiels lorsqu’il s’agit d’identifier des alternatives aux formes actuelles d’aide alimentaire. La co-création a en effet permis de se prémunir contre le risque « d’innover pour innover », en déconnexion vis-à-vis des besoins réels du terrain ; elle a aussi permis d’écarter, par les débats qu’elle a suscités, certaines hypothèses paternalistes qui tendraient à vouloir « traiter » les habitudes alimentaires des personnes pauvres dans une logique orthopédagogique, comme le ferait par exemple la mise en place de sortes de « guidances sociales nutritionnelles ».
Complexe, parce qu’elle nécessite d’accorder du temps et des moyens à la définition d’un langage commun ; exigeante, parce qu’elle implique une réflexivité permanente attentive aux dynamiques de pouvoir et aux enjeux de problématisation, de traduction, d’intéressement qui lui sont inhérents ; perturbante, aussi, parce qu’elle demande de sortir d’un fonctionnement plus confortable basé sur une stricte répartition des rôles et des compétences, la démarche de co-création mise en œuvre dans le projet Solenprim positionne ouvertement l’activité de recherche comme partie prenante légitime des processus de changement à l’œuvre dans l’organisation de la vie collective de la cité.
Notes
1. La Concertation Aide Alimentaire est un lieu d’échange d’informations et de pratiques, de formation, de développement de projets qui rassemble les organisations actives dans l’aide alimentaire en région bruxelloise et en Wallonie.
2. L’aporie qualifie, en philosophie et en logique, une contradiction insurmontable dans un raisonnement.
3. Le PEAD est aujourd’hui devenu Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) et dépend du Fonds social européen. Il soutient les actions menées par les pays de l’UE pour apporter une assistance matérielle aux plus démunis.
4. Voir : www.solifood.be
5. Pour une présentation synthétique des projets retenus dans le cadre de l’appel co-create 2015, voir : http://www.innoviris.be/fr/documents/synthese-projets-co-create-2015.pdf
6. Le projet prévoit un calendrier de réalisation en trois phases : tout d’abord, une phase « diagnostic » (6 mois), puis une phase prospective (6 mois également) durant laquelle seront élaborées des propositions de scénarios visant l’amélioration de l’accès à une alimentation de qualité, et enfin, une phase d’implémentation (deux années) durant laquelle les dispositifs choisis seront testés et évalués.
7. En référence à une parabole biblique : Matthieu 25-29.
Références
Alliance emploi-environnement (2014), Rapport thématique Alimentation durable 2014, Bruxelles, IBGE – Bruxelles environnement, 29p.
Damon, Julien (2012 [2002)), La question SDF, Paris, PUF, « Le lien social », 420p.
Hubert, Hugues-Olivier et Vleminckx, Justine (2016), « L’aide alimentaire aujourd’hui, le droit à l’alimentation demain », Rapport de Recherche Action, Bruxelles, FdSS, 209p.
Hubert, Hugues-Olivier et Nieuwenhuys, Céline (2009), L’aide alimentaire au cœur des inégalités, Paris, L’Harmattan, « Logiques sociales », 178p.
Rifkin, Jeremy (2014), La nouvelle société du coût marginal zéro. L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris, Les liens qui libèrent, 512p.
Trépos, Jean-Yves (1996), La sociologie de l’expertise, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 128p.
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- Alexia Serré
- Cellule recherch’action de la Fédération des services sociaux, Bruxelles
- Hugues-Olivier Hubert
- Cellule recherch’action de la Fédération des services sociaux, Bruxelles
- Justine Vleminckx
- Cellule recherch’action de la Fédération des services sociaux, Bruxelles