Arc-en-ciel d’Afrique a vu le jour en novembre 2004. À ce moment, je revenais d’Afrique où j’avais fait de la coopération internationale. J’avais été dans plusieurs pays et rencontré des personnes qui m’avaient rappelé combien j’étais chanceux d’être au Québec, à Montréal, où les gens peuvent vivre assez facilement leur homosexualité et se marier. Les personnes rencontrées là-bas enviaient cette situation, mais j’avais le sentiment que cet avantage n’était pas ressenti dans le milieu africain québécois. Je rencontrais beaucoup de personnes d’origine africaine, haïtienne ou caribéenne qui étaient gaies mais n’étaient pas à l’aise de le dire. Elles menaient une double vie et continuaient de mal se percevoir à cause de leur orientation sexuelle. Je me disais que ce serait bien que les gens puissent se rassembler et dialoguer sur des choses qui les préoccupent. Avec deux autres personnes, nous avons alors fondé Arc-en-ciel d’Afrique.
Liberté
Le processus de coming out est particulier pour les Africains ou les Caribéens. La communauté n’a pas de références ou de modèles positifs d’homosexuels noirs. Les parents sont souvent croyants et lorsqu’ils sont restés sur le continent africain, leur compréhension de l’homosexualité n’est pas la même. Certaines personnes décident de ne pas mettre leurs parents au courant, alors que d’autres décident d’aller sur le continent pour leur en parler. Lorsque des jeunes de dix-huit ans font leur coming out devant leur famille, il arrive qu’on leur réponde « tu vas aller en enfer, tu es un démon ». Les jeunes risquent alors de se retrouver dehors, sans personne pour les appuyer. Ils peuvent devenir isolés et vulnérables. Des immigrants gais d’origine africaine ou caribéenne arrivent également à Montréal après avoir tout fait pour quitter leur pays d’origine. Ils espèrent trouver une certaine liberté, mais se retrouvent parfois seuls, sans aucune connaissance.
Dans la communauté gaie québécoise, les Africains et les Caribéens peuvent subir du racisme. Je me suis rendu compte qu’il est important d’en discuter. Avant Arc-en-ciel d’Afrique, les gens disaient souvent qu’il n’y avait pas de Noirs homosexuels, que c’était une affaire de Blancs. Depuis sa fondation, je remarque certains changements. Actuellement, les Africains de Montréal ne peuvent plus dire que l’homosexualité n’existe pas en Afrique.
Aussi, on ne peut parler de la communauté gaie noire sans parler du VIH. En tant que gais, nous sommes beaucoup plus touchés par cette maladie que les hétérosexuels. En tant que Noirs, venant de pays endémiques du VIH, nous sommes une communauté dite « à risque ». La communauté gaie noire se trouve donc à l’intersection de ces deux groupes parmi les plus touchés par le VIH.
Alors que la communauté gaie organisée existe depuis environ trente-cinq ans à Montréal, les communautés gaies arabe, asiatique et africaine sont relativement récentes et elles ont de la difficulté à trouver du financement et des bureaux pour les organisations qui les représentent. Les autres organismes gais existent depuis déjà plusieurs années et ont une stabilité. Comment ces communautés peuvent-elles s’intégrer dans l’ensemble des gais et des lesbiennes ?
Exister
Les activités d’Arc-en-ciel d’Afrique sont rattachées aux problématiques de l’isolement ainsi que de la lutte contre l’homophobie, le racisme et le VIH. Par rapport à la lutte contre l’isolement des gais et lesbiennes d’origine africaine et caribéenne, nous avons mis sur pied des discussions-causeries une fois par mois, sur différents thèmes tels l’homophobie intériorisée et la discrimination des gais entre eux. Nous parlons de nos familles, de nos amis, de notre environnement, de notre travail, de la vie de couple. Une fois par mois, nous faisons une soirée de danse et de levée de fonds qui s’appelle Black and White. L’été, nous faisons beaucoup de plein air. Cela fait partie de notre mission d’aider les gens dans leur intégration sociale, de leur expliquer où trouver des préservatifs gratuits et de veiller à leur santé mentale.
En ce qui a trait à la lutte contre l’homophobie dans la communauté noire et caribéenne, nous faisons des conférences, notamment dans les écoles ou les organismes communautaires pour parler de nos débuts et de notre mission. Nous sommes de plus en plus présents lors du Mois de l’histoire des Noirs et avons même créé Massimadi, un festival de films gais et lesbiens africains et caribéens, qui en sera déjà à sa troisième édition l’année prochaine. La réalisation de films gais et lesbiens noirs africains et caribéens va à l’encontre des préjugés selon lesquels l’homosexualité n’existerait pas dans ces communautés. Nous aimerions que ce festival prenne de l’ampleur.
Nous faisons aussi beaucoup de conférences pour lutter contre le racisme dans la communauté gaie. Lorsqu’on le peut, nous essayons de participer aux conseils d’administration d’autres organismes pour faire entendre notre voix. L’établissement de bons partenariats avec des organismes existants, sans y aller par l’affrontement, permet de réfléchir sur ce que nous pouvons construire ensemble. Enfin, récemment, j’étais à Vienne lors d’une conférence mondiale sur le SIDA pour parler de la diaspora africaine et de l’homophobie dans la communauté africaine. Nous aimerions aussi pouvoir mener une étude sur le VIH et souhaitons que les acteurs engagés sur cette question, par exemple, les bailleurs de fonds, nous reconnaissent comme acteurs dans leurs politiques et programmes.
Discuter
J’ai commencé à donner des conférences en 2006 avec le Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal (GRIS) qui travaille pour la démystification de l’homosexualité dans les écoles. À l’origine, les conférenciers étaient tous blancs, francophones et catholiques. Ils se sont toutefois retrouvés dans les écoles face à des jeunes qui venaient de partout et pratiquaient différentes religions. Ce groupe homogène venait ainsi confirmer l’idée de certains jeunes selon laquelle l’homosexualité était une affaire de québécois blancs. Pour pouvoir être plus représentatifs, ils ont donc commencé à nouer des partenariats avec des organismes gais et lesbiens noirs, asiatiques et arabes. Je fais partie des premiers Noirs qui ont commencé à présenter en 2006.
Quand je fais une conférence dans une école, je commence par expliquer ce qu’est le GRIS, puis je me présente : « Je suis Alexis, je travaille comme informaticien, je suis activiste à Arc-en-ciel d’Afrique et au GRIS. Je suis gai et j’ai fait mon coming out à tel moment ». La présentation est rapide et vise à susciter des questions. La plupart du temps, on répond à des jeunes qui n’ont jamais eu la possibilité de poser des questions à un gai ou une lesbienne. Même s’ils ont un oncle ou une tante homosexuel, ils n’ont pas nécessairement le temps ou l’envie d’en discuter avec eux. Je leur dis « c’est le moment, posez toutes les questions que vous voulez ». Souvent, le fait de ne pas avoir de réponse à ses questionnements crée un malaise qui peut conduire à l’homophobie. Les questions sont habituellement posées dans le respect.
Les questions les plus courantes concernent le coming out, la façon dont je l’ai annoncé à ma famille et sa réaction. Ils me demandent si je veux des enfants et si les gais et lesbiennes peuvent se marier. Dans les classes où il y a plusieurs jeunes de minorités ethniques, on me demande souvent : « Pensez-vous que vous irez en enfer ? » Les questions les moins souvent posées sont celles sur la sexualité, mais je suis outillé pour y répondre. Je suis là pour parler de mon vécu et je tente de ne pas trop entrer dans la théorie. Chacun est expert de son propre vécu. Je ne suis pas un spécialiste de l’homosexualité mais je sais ce que j’ai ressenti à certains moments. C’est de cela que je parle. Nous ne sommes pas formés pour effectuer des suivis individuels. Si des jeunes veulent en savoir plus, je les encourage à consulter d’autres références et à aller dans des ressources pour trouver un accompagnement.
Visibilité
Nous voulons présenter des modèles positifs pour les jeunes qui sont en questionnement quant à leur orientation sexuelle. Il faut se mettre dans la peau d’un jeune de seize ans, entouré de parents croyants et pratiquants et qui n’a pas de référence. Alors que les jeunes blancs ont des modèles comme André Boisclair ou Dany Turcotte, il y a très peu de gais noirs connus à Montréal. Nous aimerions trouver des fonds pour tourner un documentaire sur l’homosexualité dans la communauté noire à Montréal, afin de la montrer sous un angle positif. Il s’agirait de tourner avec des personnes noires qui ont fait leur coming out, qui vivent bien leur homosexualité, ont fait des études et travaillent dans différents domaines; des hommes et des femmes de différents âges, africains ou haïtiens, nés ici ou ailleurs, en couple ou célibataires. Des artistes et des sportifs gais pourraient être présents dans ce documentaire.
Cela pourrait également être utile pour des jeunes blancs. En voyant une personne noire gaie et à l’aise dans son orientation sexuelle, ils pourraient se dire : « Tiens, si elle réussit, pourquoi pas moi ? » Ils auraient une raison supplémentaire de bien vivre leur orientation sexuelle. Un large réseau de distribution, notamment dans les écoles, pourrait contribuer à sa diffusion. Nous souhaitons montrer que c’est possible d’être gai, noir, out et bien.
Dans les prochaines années, j’aimerais qu’Arc-en-Ciel d’Afrique ait un bureau. Actuellement, nous rencontrons les gens dans des cafés, ce qui donne l’impression que nous sommes un organisme de salon et enlève de la crédibilité. Un bureau non loin d’un métro et à proximité du Village nous permettrait de consolider notre mission et d’avoir, par exemple, une ou deux permanences au bureau pour faire plus de suivis individualisés ou de formations. Parmi les membres d’Arc-en-ciel d’Afrique, 70% ont moins de trente ans. Tout ce qui s’adresse aux jeunes nous intéresse et nous voulons assurer la relève d’Arc-en-ciel d’Afrique. De plus, la participation des femmes nous préoccupe, puisqu’il y a une invisibilité ou, du moins, un manque de représentativité des femmes dans la communauté gaie et lesbienne noire.
Récemment, j’ai été mis en nomination par le regroupement des entrepreneurs et professionnels africains dans la catégorie des personnes les plus engagées de la communauté. Nous sommes deux membres d’Arc-en-ciel d’Afrique à siéger sur le conseil d’administration du Mois de l’histoire des Noirs de Montréal. Nous avons de plus en plus de partenariats avec la communauté noire. Ce sont des indices que la communauté reconnaît notre travail contre l’homophobie africaine ou caribéenne et notre courage. Le fait qu’elle veuille nous donner une plus grande visibilité démontre qu’elle est de plus en plus disposée à nous accueillir, à nous avoir autour d’elle et à nous consulter.
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- Alexis Musanganya
- Directeur général, Arc-en-ciel d'Afrique
- Valérie Besner
- Agente de recherche au CREMIS de 2007-2010