Organisation communautaire en sécurité alimentaire : analyse transversale des récits de pratique 

Cette page fait partie d’un dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ». Elle présente les récits de pratique d’organisateurs et organisatrices communautaires (OC) dans le champ de la sécurité alimentaire et en propose une analyse transversale.

Crédit : Nathalia Guevara Jaramillo

Cette section présente des récits de pratique co-rédigés avec des organisateurs et organisatrices communautaires intervenant en sécurité alimentaire dans divers quartiers du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île de Montréal. La première version de ces récits a été élaborée en 2019, juste avant la pandémie de COVID-19. Nous nous sommes inspirés des récits annexés aux ouvrages sur les cadres de référence de l’organisation communautaire dans les Centres locaux de services communautaires (CLSC), puis dans les Centres de santé et services sociaux (CSSS), publiés par le Regroupement québécois des intervenantes et intervenants en action communautaire en CISSS et CIUSSS (RQIIAC). 

Ces récits ont servi de base à des groupes d’analyse réunissant les OC ayant contribué à leur rédaction. Cette démarche réflexive a approfondi la compréhension de leur rôle en matière de sécurité alimentaire et des défis auxquels elles et ils font face, tout en mettant en lumière leur capacité à agir sur les inégalités sociales. Un cadre d’analyse accompagne cette réflexion, permettant d’apprécier les retombées de leurs pratiques sur trois dimensions liées aux inégalités sociales : matérielle, relationnelle et décisionnelle. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Anthropolgy of food, avec les OC impliqué·es comme co-auteur·rices. 

Les récits des OC et l’analyse en groupe ont permis d’identifier six rôles essentiels liés aux enjeux d’insécurité alimentaire dans les quartiers urbains et qui s’inscrivent davantage dans l’axe Développement des communautés locales et/ou Actions sur les déterminants sociaux de la santé1. Premièrement, elles et ils facilitent l’action collective en rassemblant divers acteurs·trices autour de tables de concertation sur la sécurité alimentaire. Deuxièmement, les OC accompagnent la planification et la structuration des actions entreprises par les instances ou organismes soutenus. Elles et ils clarifient également les problématiques et les besoins en documentant les démarches et en évaluant les projets. En outre, les OC partagent des connaissances théoriques et pratiques, contribuant ainsi à la compréhension des enjeux et à la mise en œuvre de solutions adaptées. Elles et ils défendent aussi les intérêts des groupes minoritaires ou désavantagés lors des réunions ou assemblées. Enfin, leur stabilité relative les rend souvent gardien·nes de l’historique des milieux. D’autres récits se situent plus concrètement dans l’axe Soutien aux organismes du milieu.  

Les OC identifient quatre défis majeurs dans leur travail. D’abord, la précarité croissante des organismes, exacerbée par le sous-financement, limite leur capacité à mobiliser les acteurs·trices et valoriser leurs savoirs. Ensuite, ils constatent un déséquilibre dans la reconnaissance des contributions entre bénévoles et professionnel·les. Par ailleurs, la dualité des modes de financement du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) complique leur mission, les obligeant à jongler entre financements « à la mission » et « par projet ». De plus, la diversité des acteurs·trices peut engendrer des tensions, avec une attention parfois excessive portée sur la dimension « santé » au détriment de la dimension « sociale ». Enfin, les OC soulignent la difficulté de trouver des solutions consensuelles à l’échelle locale, alors que des approches basées sur le revenu ou le logement, via des politiques fédérales ou provinciales, sont plus structurantes pour prévenir et supprimer l’insécurité alimentaire. 

En 2024, dans le cadre de la production de ce dossier web, nous avons demandé aux OC impliqué·es dans cette démarche d’actualiser leurs récits afin de mieux refléter le contexte postpandémique. Ces récits ont d’abord été validés par les OC, puis actualisés, souvent par d’autres OC ayant pris le relais des dossiers concernés. C’est cette version que nous vous présentons ici. Par ailleurs, nous abordons dans un article du Cahier du RQIIAC 2024 les principaux constats concernant l’organisation communautaire en sécurité alimentaire dans le contexte postpandémique.  

Défis 

Les récits actualisés mettent en lumière plusieurs défis importants, notamment la précarité croissante des organismes communautaires, la dualité des modes de financement — « à la mission » et « par projet » — et les tensions qui en découlent. Ces tensions entraînent parfois une focalisation excessive sur la dimension « santé » au détriment de la dimension « sociale ». De plus, une préférence pour des approches innovantes ne répond pas toujours aux besoins réels en matière de sécurité alimentaire. 

Augmentation de la demande et logiques subventionnaires 

En 2024, le Bilan Faim de Moisson Montréal a constaté une hausse de 55 % du nombre de demandes d’aide alimentaire (dépannage, repas et collations) au cours des trois dernières années. Dans un contexte où les besoins alimentaires augmentent à travers le Québec, les organismes communautaires subissent des pressions croissantes, tandis que les financements nécessaires pour y faire face ne connaissent pas une hausse équivalente. Les fonds dédiés à leur mission sont souvent insuffisants par rapport à l’ampleur des besoins. De plus, les demandes de subventions par projet exigent un investissement considérable en temps et en énergie, impliquant un processus continu de création et de concertation avec d’autres acteurs du milieu. 

Interdépendances entre acteurs·trices 

Cette dynamique met en lumière un parallèle frappant entre la précarité des organismes, y compris celle des professionnel·les et bénévoles qui les font fonctionner, et celle des personnes vivant l’insécurité alimentaire. Elle souligne les interdépendances entre les différents acteurs·trices du secteur. 

Impact de la logique philanthropique 

La logique philanthropique qui s’installe dans le milieu communautaire contribue également à sa dépolitisation. Le secteur privé et les fondations philanthropiques exercent une influence croissante sur les politiques publiques, y compris dans le domaine de la sécurité alimentaire. Cette tendance modifie les priorités et les approches de financement, plaçant une pression importante sur les organismes pour répondre à ces nouvelles attentes. Cela remet en question la place des acteurs·trices traditionnel·les et soulève des interrogations sur l’équité et l’efficacité des interventions. De plus, le travail des organismes et le soutien en organisation communautaire se font souvent en mode de résolution de crise, laissant peu de place à la mobilisation politique. 

Adaptation aux contextes d’urgence 

Les OC doivent s’adapter à des contextes d’urgence, exacerbés par les crises liées au logement, à la santé mentale et aux opioïdes, ainsi que par la hausse du coût de la vie. Ces crises interconnectées exercent une pression considérable sur les populations vulnérables, entraînant une augmentation de la demande pour les services alimentaires. Par conséquent, les organismes œuvrant en sécurité alimentaire doivent se réinventer pour mieux soutenir les communautés en détresse, tout en faisant face à des contraintes financières et logistiques de plus en plus pesantes.  

Dans ce contexte, le rôle des OC demeure essentiel face à l’urgence alimentaire : elles et ils soutiennent la vie démocratique des organismes, les aident à rechercher des financements et rappellent l’historique du milieu, surtout en période de fort roulement du personnel. De plus, les OC favorisent les liens entre les différents acteurs·trices communautaires et relaient les problématiques observées sur le terrain. 

Évolution rapide  

Les réalités décrites dans les récits évoluent rapidement, et même les projets bien établis sont compromis par la précarisation du secteur communautaire. Cela rend difficile la définition d’un portrait précis des initiatives en sécurité alimentaire, des organismes qui les portent et du soutien en organisation communautaire. 

Pratiques de résistance et de créativité 

Ces défis s’accompagnent de pratiques de résistance et de créativité, telles que la mutualisation des ressources, l’agriculture urbaine avec une perspective nourricière, ainsi que la mise en place de projets comme des épiceries, des cafés citoyens, des cuisines collectives et des groupes d’achat, sans oublier la récupération d’invendus. Ces initiatives offrent des alternatives au modèle individuel et assistanciel traditionnel, se caractérisant par leur ancrage local et leur petite échelle, afin de proposer des solutions adaptées aux besoins spécifiques des communautés. 

Vers un État social redéfini 

Parallèlement, ces évolutions témoignent d’une volonté manifeste d’impliquer davantage les citoyen·nes dans la définition et la mise en œuvre des solutions à leurs problèmes. Elles s’inscrivent dans une tendance générale au développement de dispositifs participatifs dans le déploiement des politiques publiques. Cependant, elles soulignent également des contradictions inhérentes à un modèle qui tente de concilier solidarité et actions collectives en matière alimentaire avec l’individualisation de l’aide et la responsabilisation des individus.  

Le champ de la sécurité alimentaire offre un éclairage précieux sur les transformations en cours au sein de l’État social. Il devient évident que l’État social ne se limite pas à l’action des pouvoirs publics, mais se redéfinit à travers des processus contemporains de décentralisation et d’externalisation, comme observé au Québec et dans d’autres sociétés libérales. Ces dynamiques déplacent les frontières de l’État social, en intégrant une multitude d’acteurs·trices, notamment le secteur communautaire ainsi que des fondations philanthropiques.  Ainsi, l’État social apparaît comme un réseau complexe d’interdépendances entre entités, groupes et individus, marqué par des dynamiques de pouvoir en constante évolution. 

Liste des récits de pratique OC en sécurité alimentaire 

Récit de pratique 1 – Soutenir une banque alimentaire en difficulté – Élise Solomon et Alain Arsenault

Récit de pratique 2 – Un Café-marché dans un quartier en transformation – MartineThériault et Miriam Rouleau-Perez 

Récit de pratique 3 – Un quartier mobilisé pour favoriser l’accès à l’alimentation des aînés en HLM – Catherine St-Germain et Nathalia Guevara-Jaramillo

Récit de pratique 4 – Magasin solidaire du Plateau – Renée-Ève Dionne

Récit de pratique 5 – Concertation en sécurité alimentaire dans le quartier centre-sud – François Soucisse et Marcela Cid

Pour citer cette page

J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo (2025). Organisation communautaire en sécurité alimentaire : analyse transversale des récits de pratique. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web].  Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.  

Notes

1 Pour en savoir plus sur les axes de services, consulter le document « Organisation communautaire : définitions et axes de service »