Le taux de mortalité lié au cancer est plus élevé chez les personnes au statut socio-économique défavorisé (Partenariat canadien contre le cancer, 2016), et cela pour plusieurs types et stades de cancer. Cette mise en évidence peut s’expliquer par des diagnostics plus tardifs avec des stades plus avancés, des freins à l’accès aux soins, la présence de comorbidités ou encore une différence dans les traitements en fonction du statut socio-économique des personnes. On observe que des inégalités sociales de santé persistent tout au long du parcours de soins des personnes atteintes d’un cancer (Afshar et al., 2021; Loretti, 2021; Merletti et al., 2011). Être patient-e, cheminer dans le système de santé et appréhender la vie avec la maladie mobilise des ressources et des compétences, comme avoir accès et se saisir de sources d’informations fiables sur la maladie, pouvoir bénéficier d’un soutien social ou encore oser poser des questions aux professionnel-les de santé. Ces situations peuvent agir sur la qualité des soins et la qualité de vie des personnes concernées. Or, la capacité de mobiliser ces ressources est influencée par l’environnement social, économique et culturel et n’est pas équivalente pour toutes et tous.
Pour favoriser un meilleur accompagnement lors d’un épisode de cancer, le programme PAROLE-Onco1 (acronyme pour « Patient Accompagnateur, une Ressource Organisationnelle comme Levier pour une Expérience patient améliorée en Oncologie ») propose d’introduire des patientes accompagnatrices2 au sein des équipes de soins en sénologie3 au Québec. Ces patientes accompagnatrices sont des femmes qui sont déjà passées par la trajectoire de soin du cancer du sein et qui, par leurs expériences, ont la possibilité d’accompagner d’autres patientes du même établissement. Les patientes accompagnatrices sont identifiées par l’équipe soignante ou d’autres patientes accompagnatrices. Elles ont un état de santé stable, pris du recul sur leur épisode de soins et sont prêtes à partager leurs savoirs auprès d’autres patientes. Elles interviennent à titre de bénévoles, mais peuvent percevoir des compensations financières, pour les déplacements ou les repas par exemple. Elles suivent au préalable une formation offerte par les établissements dans lesquels elles interviennent. Les patientes accompagnatrices peuvent être mises en contact avec les patientes tout le long de la trajectoire de soin, mais préférentiellement lors de l’annonce du diagnostic. Un-e médecin ou un-e infirmier-e pivot propose la rencontre, c’est ensuite une coordinatrice des accompagnatrices qui s’assure de mettre en relation des accompagnatrices et des patientes dont les histoires personnelles ont des points communs, comme le fait d’avoir des enfants ou une même situation professionnelle. Les accompagnatrices ont un rôle qui permet d’apporter un soutien émotionnel, informatif et éducatif. Grâce à leurs connaissances expérientielles, elles ont une facilité à orienter vers les bonnes ressources en interne comme en externe de l’établissement selon les besoins et les demandes afin de permettre aux patientes de comprendre leur maladie, de vivre au mieux leur traitement et d’avoir une idée concrète de la trajectoire de soin.
Quatre établissements au Québec ont décidé d’implanter ce programme. Entre décembre 2019 et décembre 2021, 601 patientes avec un cancer du sein ont pu bénéficier d’un accompagnement dans trois établissements grâce à 25 patientes accompagnatrices. Environ 950 séances d’accompagnement ont été effectuées avec plus de 600 heures d’appels entre patientes accompagnatrices et patientes accompagnées. Selon son expérience, une patiente accompagnatrice peut accompagner ponctuellement 80 patientes par année et approximativement 20 patientes par année pour un accompagnement plus serré et à plus long terme. Lorsqu’un accompagnement se déroule tout au long de la trajectoire de soin, une rencontre est réalisée en moyenne toutes les 3 à 4 semaines.
Notre projet de recherche évalue l’implantation de cette innovation en étudiant les différentes activités des patientes accompagnatrices et leurs potentiels effets sur la qualité de vie et la qualité des soins des patientes accompagnées. Douze entretiens semi-directifs ont été réalisés, dont neuf avec des patientes accompagnées, deux avec des patientes accompagnatrices et un avec une coordinatrice du programme entre juin et septembre 2021. Les personnes interrogées sont toutes rattachées au Centre Hospitalier Universitaire de Montréal (CHUM). L’analyse des verbatims des patientes a permis de mettre en lumière l’opportunité que représente un tel programme pour agir sur les inégalités sociales de santé dans les parcours de soins des personnes atteintes d’un cancer du sein, en faisant le lien entre les témoignages et les données de la littérature identifiées comme vecteurs d’inégalités dans les parcours de soins. Il a été observé que les patientes accompagnatrices venaient combler un manque de soutien émotionnel et informationnel. Selon le modèle de Dahlgren et Whitehead, les réseaux sociaux sont plus faibles chez les personnes socialement défavorisées et cela conduit à des taux de participation plus faibles aux décisions qui affectent leur vie notamment concernant leur santé. C’est sur cet aspect qu’agit l’accompagnement proposé dans PAROLE-Onco (Dahlgren et Whitehead, 2021).
Aller-vers
Si l’apport de l’entraide par les pairs grâce au partage de savoirs expérientiels et au soutien émotionnel n’est plus à démontrer (Doull et al., 2017), la littérature met en évidence que les personnes de catégories sociales plus défavorisées sont plus sujettes à l’isolement social (Stewart et al., 2009). Les femmes de milieux plus défavorisés ont moins d’occasions d’échanger au sein de leurs cercles sociaux avec des personnes ayant eu la même problématique de santé (Bouchard, 2018). Or, le soutien social est reconnu comme un facteur agissant sur la santé mentale et l’état de santé (Leung et al., 2016). Un soutien par les pairs est d’autant plus important que la personne touchée par un problème de santé peut rencontrer plus de difficultés à partager ses émotions avec son entourage qui ne vit pas ou n’a pas vécu la même situation. De plus, les ressources de l’entourage en matière d’information, d’écoute et de soutien émotionnel peuvent être très variables (Meunier-Beillard et al., 2018), ce que les témoignages des patientes confirment.
C’est par exemple ce qu’exprime Arielle4, qui est elle-même en situation d’isolement social : « La famille, j’en ai pas. La seule personne à qui je peux parler de temps en temps, c’est Margot [la patiente accompagnatrice] ». Les témoignages des accompagnatrices vont dans ce sens également. Ainsi, selon Margot, une des accompagnatrices interrogées, le bénéfice de l’accompagnement est primordial pour les patientes sans entourage ou avec un environnement social fragile : « C’est essentiel quand, par exemple, ça arrive souvent que le conjoint soit parti à ce moment-là, ou bien il ne peut pas vivre ça comme il faut. Alors, il y a des problèmes au niveau de la famille, au niveau des enfants. Ça, je trouve que c’est le plus grave ». Par ailleurs, les patientes accompagnatrices témoignent de leur disponibilité, elles ne comptent pas leur temps comme le rapporte Éléonore : « Je passe plus de temps avec [la patiente accompagnatrice] parce qu’elle, elle est à l’extérieur du minutage, elle n’est pas pressée, elle n’est pas entre deux rendez-vous ».
La démarche d’aller-vers est au cœur du programme PAROLE-Onco. Elle le différencie d’autres initiatives existantes de soutien par les pairs. En effet, si certaines associations offrent du soutien par les pairs, c’est aux patientes de faire la démarche pour prendre contact avec ces associations, ce qui demande un engagement personnel et certaines capacités physiques, matérielles, financières et éducatives. La fréquentation de ces associations est donc davantage le fait de personnes de classes sociales aisées (Knobé, 2009). Dans le cadre de PAROLE-Onco ce sont les patientes accompagnatrices qui viennent vers les patientes, cela « rompt avec l’idée que l’intervention sociale ferait systématiquement suite à une demande exprimée. Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non-demande de certains publics (pas seulement des personnes vulnérables) et engage les acteurs à se situer dans une pratique proactive, pour entrer en relation avec ces publics » (Ministère des Solidarités et de la Santé, 2020). Cela permet aux patientes de ne pas avoir besoin de ressources particulières pour en bénéficier, puisque cet accompagnement leur est proposé directement sur le lieu de soins. Cette approche rend ainsi la prise de contact plus facile, plus rapide, et favorise un accès plus équitable à ce service.
Soutenir, informer et faire le lien
L’intégration de patientes accompagnatrices dans les équipes de soin offre la possibilité pour les patientes d’échanger avec une personne qui a vécu une trajectoire similaire. Le soutien apporté permet de partager les émotions vécues et de les faire valider par des pairs qui « sont préalablement passées par là », ce qui contribue pour les patientes à mieux gérer leurs états intérieurs, comme l’exprime Madeleine : « ça me permettait de me libérer, si on veut, de dire des choses […] des émotions que j’osais peut-être moins transmettre à ceux qui étaient proches de moi ».
La création de cet espace privilégié pour se confier aide à diminuer l’anxiété et le stress chez les patientes. C’est un moment d’échange où elles se sentent en confiance et au sein duquel elles peuvent parler de leurs émotions, parfois envahissantes. Cela leur apporte aussi de l’espoir et de l’optimisme face à la maladie. Patricia mentionne ainsi avoir été rassurée par sa patiente accompagnatrice au sujet de son parcours de soins : « Elle me faisait part du fait que j’étais entre de bonnes mains, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète ».
Par ce partage d’expériences, les patientes sont également amenées à mieux appréhender les différentes étapes de leur trajectoire de soins. Les patientes accompagnatrices peuvent puiser dans leurs expériences pour aider les patientes à mieux identifier leurs besoins, maîtriser les termes médicaux, et rendre plus accessibles les explications apportées par les professionnel-les de santé : « Quand on est en état de choc, on entend, on ne comprend pas tout ce que les professionnels nous disent, on ne retient pas tout, alors oui, ça m’a aidée à parler de façon plus aisée, avec des mots plus faciles », nous raconte Agathe. Au-delà du fait de simplifier le langage médical, les patientes accompagnatrices peuvent aussi venir en aide aux patientes qui ne parlent pas ou ont des difficultés avec la langue employée par le personnel médical.
Les patientes soulignent l’importance d’avoir une personne qui les encourage à mieux communiquer avec les professionnel-les de santé, à leur poser davantage de questions, à oser leur demander de reformuler et à s’exprimer lorsqu’elles n’ont pas compris. Cela leur permet de mieux connaître leur état de santé, de mieux communiquer à ce propos et de mieux comprendre le suivi de leurs traitements. Éléonore et Patricia en témoignent : « [La patiente accompagnatrice] me rappelait de toujours de prendre des notes sur comment je me sens, qu’est-ce que je ressens jour par jour, pour ne pas oublier, et qu’au prochain rendez-vous, je me rappelle mes questions », « Ça m’a confortée dans la possibilité de dire : “Je n’ai pas compris, pouvez-vous répéter?” ».
Les patientes accompagnatrices étant intégrées dans l’équipe clinique, elles sont en contact avec les autres professionnel-les et viennent compléter l’offre de service. Elles font ainsi le lien avec les autres personnes de l’établissement ou de la communauté. Elles orientent les patientes vers des ressources externes comme des associations ou des organismes capables de répondre à leurs besoins, comme le précise Nathalie, une des patientes accompagnatrices interrogées : « Si on voit vraiment qu’une femme est très démunie, on n’hésitera pas à suggérer un accompagnement plus spécialisé justement avec une travailleuse sociale, avec une psychologue, ou la diriger vers des ressources communautaires qui pourraient davantage l’épauler dans son quotidien ».
Les personnes défavorisées ont plus de difficultés à communiquer avec les professionnel-les de santé, à se retrouver et s’orienter dans leur parcours de soins, mais aussi à avoir accès à de l’information intelligible concernant leur problème de santé (Sørensen et al., 2015). Les patientes accompagnatrices, par leur accès privilégié aux autres membres de l’équipe de soins, mais également par leur connaissance de l’organisation du parcours, deviennent ainsi des facilitatrices qui établissent un pont entre le monde médical et les patientes. Elles sont ainsi capables, comme mis en évidence par les patientes interrogées, de préparer les patientes à leur rendez-vous et de favoriser un meilleur niveau de communication avec les professionnel-les. Cela contribue à soutenir les personnes touchées par le cancer à s’engager dans leurs soins, ce qui fait souvent défaut chez les personnes avec un statut socio-économique défavorisé (Loretti, 2021).
Tous ces éléments permettent aux patientes d’être plus autonomes et en confiance pour s’engager dans leurs soins, et favorisent l’accès à une meilleure qualité de soins (Coulter et Ellins, 2007).
Déstigmatiser
Le cancer du sein a une prévalence plus élevée chez les femmes de statut socio-économique favorisé (Société canadienne du cancer, 2022). Cela peut s’expliquer par l’accès au dépistage qui est plus élevé parmi cette population ou encore par des facteurs comme l’âge du premier enfant ou l’allaitement (National Cancer Institute, 2022).
Des patient-es atteint-es d’autres cancers que celui du sein, notamment ceux touchant davantage les catégories socio-économiques défavorisées, pourraient également bénéficier de l’accompagnement par les pairs. Par exemple, les cancers colorectaux et du poumon sont plus fréquents chez les personnes, femmes et hommes confondus, de catégories sociales défavorisées (Société canadienne du cancer, 2022), et soulèvent des enjeux différents. Les patient-es atteint-es d’un cancer du poumon ou des voies aérodigestives supérieures, par exemple, sont plus à risque d’être stigmatisé-es ou de subir des discriminations de la part du personnel médical et de leur entourage social (Loretti, 2021). Ce notamment parce que ces cancers sont fortement liés dans l’imaginaire collectif à des comportements à risque pour la santé, comme les addictions, la consommation excessive d’alcool ou le tabagisme. Ainsi, bénéficier d’un-e patient-e accompagnateur-trice peut apporter un soutien social important, y compris pour les personnes aux prises avec des addictions (Moisan et al., 2020).
Outre les inégalités socio-économiques dans le parcours de soins, on retrouve aussi des inégalités de genre. Comparativement aux femmes, les hommes ont tendance à moins utiliser les services de santé et ceux offerts par le milieu communautaire. Cela peut s’expliquer par la difficulté pour les hommes de demander de l’aide (Dupéré et al., 2016). Ainsi, la déclinaison d’un tel programme d’aller-vers auprès d’une population masculine permettrait de mieux percevoir son apport en matière de réduction de ces inégalités.
Favoriser l’accessibilité des ressources
Notre étude montre finalement que les patientes accompagnatrices sont souvent la principale source d’informations pour les patientes atteintes d’un cancer du sein. Elles offrent un soutien adapté et sont à même d’identifier les besoins qui peuvent exister chez les patientes au travers de leur récit quand elles se confient. Elles peuvent au besoin orienter vers d’autres professionnel-les de l’établissement, comme un-e psychologue ou un-e travailleur-euse social-e. C’est pourquoi, les patientes accompagnatrices sont formées aux iniquités sociales entre patientes provenant de différents horizons sociaux, à identifier des besoins psychologiques et sociaux et aux ressources qui peuvent être mobilisées pour les réduire.
Une des limites de cette recherche est que les patientes accompagnées qui ont accepté d’être rencontrées proviennent en majorité de milieux sociaux favorisés. C’est à partir des résultats d’analyses réalisées sur cette population et des déterminants connus des inégalités sociales de santé (comme l’isolement social) que nous projetons l’effet de cet accompagnement sur la réduction des inégalités. Cela ne permet pas d’avoir une appréciation directe de l’impact de ce programme auprès d’une variété de personnes provenant de milieux socio-économiques différents.
Aussi est-il pertinent de se demander si les personnes qui bénéficient le plus souvent de ce programme sont celles qui en auraient le plus besoin et quelles seraient les barrières à l’acceptation de l’accompagnement? Malgré la mise en œuvre de « l’aller vers », l’accompagnement reste dépendant du volontariat des patientes. Le suivi du statut socio-économique des patientes accompagnées permettrait de mieux documenter la situation. De plus, une des autres pistes de recherche à poursuivre serait d’étudier l’influence du statut socio-économique des patientes accompagnatrices sur l’adhésion au programme des patientes de faible statut socio-économique. Si les résultats confirment l’hypothèse de l’influence du statut socio-économique, il s’agirait par la suite d’identifier les leviers à la participation des patientes accompagnatrices issues de différents milieux socio-économiques.
De plus, il pourrait être encouragé que les patientes accompagnatrices soient proposées de manière systématique à tous-tes les patient-es afin que celles et ceux-ci et puissent, de manière éclairée, décider ou pas de s’en prévaloir. Il en va ainsi d’une responsabilité de santé publique et collective de mettre en place un environnement favorable à ce que chacun-e dispose des mêmes ressources pour pouvoir prendre soin de soi. Des recherches restent donc à mener, pour continuer à démontrer l’apport des patientes accompagnatrices sur les inégalités sociales en santé.