Introduction
S’inscrivant dans un travail d’identification des meilleures pratiques, les savoirs d’intervention en itinérance qui sont présentés ici sont tirés d’une collaboration de recherche avec quatre Équipes itinérance du Québec (1) et trois équipes mises sur pied dans le cadre du projet de recherche et d’intervention Chez soi (2). Il s’est agi d’identifier ce qui émerge de la pratique de ces équipes cliniques: Comment sont relevés les divers défis de l’intervention auprès de personnes conjuguant problèmes de santé et parcours d’itinérance? Quelles sont les pratiques développées au sein de ces espaces d’innovation? Quelles traces les équipes souhaitent-elles laisser?
Les pratiques d’intervention les plus significatives de ces équipes ont été décrites et documentées dans le cadre de deux recherches, réalisées entre 2008 et 2013 sous la direction de Roch Hurtubise professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, afin de rendre disponibles ces expertises cliniques dans divers milieux de pratique et de formation. Ces projets se sont inscrits dans le cadre de l’appel du développement des connaissances en itinérance du Secrétariat des partenariats de lutte à l’itinérance (SPLI), portant sur les pratiques exemplaires dans le domaine de l’itinérance.
- Pourquoi avoir décrit les pratiques d’intervention en itinérance?
- Quels sont les usages possibles de ces recherches?
- Qu’ont fait les chercheurs? La méthode
Pourquoi avoir décrit les pratiques d’intervention en itinérance?
Les personnes en situation d’itinérance font face à des situations complexes qui demandent une intervention nuancée, s’accommodant mal de pratiques uniformisées et de règles univoques.
Constamment confrontées aux transformations des problématiques et à la diversification des contextes, les pratiques d’intervention en itinérance ne sont jamais figées dans un modèle ou une approche. Autour d’une démarche collaborative, deux recherches (Hurtubise et Babin, 2010; Hurtubise et Rose, 2013) ont cherché à repérer les solutions pertinentes, significatives et viables à l’itinérance et à améliorer les services aux personnes en situation d’itinérance. Ces recherches ont mis en évidence le caractère spécifique des réponses qui sont adaptées à des personnes aux trajectoires et aux problèmes hétéroclites.
Les personnes intéressées par l’itinérance peuvent se familiariser avec une variété de pratiques développées pour répondre aux défis cliniques et éthiques rencontrés dans le travail d’intervention en itinérance. Se trouvent rassemblés dans cette rubrique 51 récits de pratiques (au format PDF) qui racontent en temps réel une variété de suivis, d’histoires de cas, de défis d’intervention et les pratiques identifiées pour y répondre. Ces pratiques, plutôt que règles, témoignent de la créativité, de la sensibilité et de la capacité d’adaptation des intervenant·e·s pour accompagner des personnes dans leur cheminement vers leur rétablissement. La description fine des pratiques permet d’aller au-delà de la recette pour saisir des processus qui témoignent du travail d’analyse, de doute et de remise en question qui est à l’œuvre dans ces équipes. Sur la base de cette banque de récits, des principes d’intervention qui font consensus parmi les intervenant.e.s de ces équipes ont été dégagés (la meilleure orientation à prendre dans une situation donnée) : ils constituent autant de guides dans le travail d’intervention en itinérance.
La finalité première des savoirs documentés est de rendre visibles et de contribuer à la reconnaissance des pratiques d’interventions considérées les plus adéquates selon des expert.e.s en intervention. Bien qu’il ne soit pas question ici de vouloir uniformiser ou standardiser des pratiques qui se rapportent à des contextes complexes, et sachant que les différentes équipes ont accès à des ressources différenciées, il devient toutefois essentiel pour progresser dans la lutte à l’itinérance, de saisir la manière dont certaines actions sont plus appropriées. C’est le pari de la mobilisation de la recherche pour une amélioration de l’action auprès de personnes en situation d’itinérance.
Quels sont les usages possibles de ces recherches?
Les récits de pratiques et les principes d’intervention peuvent être utilisés dans une grande variété de contextes pour alimenter la réflexion et les discussions dans divers milieux de pratique et de formation :
- rendre visible, valoriser, argumenter et défendre l’originalité et la pertinence du travail des équipes spécialisées en itinérance;
- constituer des vignettes destinées à la formation;
- accueillir des stagiaires et du nouveau personnel;
- participer à la réflexion de la mise en œuvre de nouveaux services;
- faire un bilan destiné à des instances internes ou externes;
- réfléchir sur des enjeux spécifiques et à la cohérence des pratiques;
- en formation initiale, permettre à l’étudiant.e de saisir ce que peut être la pratique en itinérance;
- offrir aux intervenant·e·s un matériel susceptible d’être utilisé pour illustrer la grande complexité de la réalité et des pratiques auprès des personnes à la rue.
S’il n’y a jamais une similarité complète entre un milieu d’intervention et un autre, ce qui est proposé ici vise à alimenter la réflexion des intervenant·e·s et des gestionnaires qui adapteront les contenus et les principes à leur propre pratique. Cette rubrique vise à favoriser un dialogue au sein de la communauté des intervenant·e·s de milieux de pratiques pluriels.
Qu’ont fait les chercheurs? La méthode
Cette rubrique réunit les résultats de deux recherches, sous la direction de Roch Hurtubise, qui ont documenté des pratiques d’intervention en itinérance selon une méthodologie similaire.
Une banque de 51 récits de pratiques
Les interventions des équipes spécialisées en itinérance ont d’abord été documentées sous la forme de récits de pratiques de quelques pages. Chaque récit documente un enjeu clinique et les réponses qui y sont apportées dans le cadre d’un ou de plusieurs suivis. Par exemple : travailler simultanément autour de la toxicomanie et de la santé mentale; aborder le décès de personnes desservies par une équipe; rester en lien avec des personnes aux comportements agressifs; établir une collaboration avec l’urgence psychiatrique d’un hôpital; créer le lien avec des personnes qui souffrent d’un trouble délirant; soutenir la défense de droits à l’aide sociale; collaborer avec les policiers; etc. Pour chaque récit, nous avons documenté le contexte de l’intervention, afin de rendre compte des jugements cliniques qui vont prévaloir dans telle ou telle situation. Ils pointent des aspects qui méritent, selon les intervenant.e.s d’une équipe, d’être considérés pour leur valeur exemplaire.
En collaboration avec les intervenant·e·s des équipes, il s’agissait d’identifier les « meilleures pratiques » parmi celles qui ont été développées au sein de l’équipe. Les récits ont par la suite été bâtis à partir d’observations et d’entretiens avec les principaux intervenant·e·s des suivis décrits. Le texte a ensuite été bonifié, modifié et validé par l’équipe clinique, dans un travail de rétroaction et de coécriture. La banque de 51 récits de pratiques ainsi constituée (21 récits des Équipes itinérance, 30 récits des Équipes Chez soi) permet d’illustrer la pratique quotidienne et la mise en œuvre sur le terrain des principes d’interventions qui guident la pratique de ces sept équipes spécialisées en itinérance.
Identification de consensus d’expert·e·s
La recherche sur les pratiques exemplaires s’est développée autour de deux grands modèles : la perspective des données probantes et celle des consensus d’expert.e.s. La nature même de la problématique de l’itinérance et la dimension adaptative des pratiques des équipes a nécessité un dispositif de recherche qui, pour saisir le contenu et le sens de ces pratiques, fait une large place à l’expertise développée par les praticien·ne·s. Les recherches ici réunies s’apparentent donc davantage à la perspective des consensus d’expert·e·s puisque c’est le collectif des intervenant·e·s, ceux que nous considérons comme des « expert·e·s de l’intervention », qui valident et jugent de la pertinence de telles pratiques.
Plusieurs postulats ont orienté les démarches de recherche. Tout d’abord, la diversité des manières de faire des équipes cliniques constitue une richesse qu’il faut promouvoir et qui n’appelle pas une normalisation ou une standardisation des pratiques. Ensuite, ces pratiques s’appuient sur des référents implicites et des savoirs spécifiques que nous avons voulu valoriser. De plus, les pratiques des équipes spécialisées dans le champ de l’itinérance se caractérisent par une volonté de dire et de rendre visibles les actions posées, et nous supposons que cette volonté est liée à des besoins de formation, à la quête de légitimité de cette pratique et à son potentiel de transfert dans d’autres milieux.
La démarche de ces recherches présente deux caractéristiques importantes qui la distinguent des approches plus normatives : d’une part, elle est contextualisée (aux milieux, aux contextes régionaux, aux services) et, d’autre part, elle articule la réflexion individuelle et la réflexion collective. Nous favorisons donc le cumul des savoirs aux divers niveaux des individus, des équipes et de l’inter-équipe.
Une démarche d’animation réunissant les intervenant·e·s des différentes équipes (les 4 Équipes itinérance ont rassemblé une vingtaine de professionnel·le·s en 2009; les trois équipes du projet Chez soi ont rassemblé une trentaine de professionnel·le·s en 2011 et 2013) a permis d’identifier des principes d’interventions qui font consensus entre les professionnel·le·s, en ce qu’ils guident leur pratique. Il s’est agi de décrire et d’énumérer les différentes considérations qui permettent d’orienter un bon jugement clinique. Lors de ces animations, les intervenant·e·s ont été appelé·e·s à identifier des consensus et à en valider la formulation : a) préciser et compléter les énoncés proposés du point de vue de leur validité interne; b) juger du caractère innovant du principe d’intervention écrit et des possibilités de transfert dans un autre contexte.
Les deux séries de consensus sont ici rassemblées : ceux identifiés en 2009 avec les Équipes itinérance du Québec, et ceux identifiés en 2011 et en 2013 avec les équipes du projet Chez soi. Notons qu’il n’y a pas de contradiction entre les consensus identifiés par les deux collectifs d’intervenant·e·s. Nous avons au contraire constaté que les recommandations formulées par les Équipes itinérance en 2009 et les équipes Chez soi en 2011 et 2013 se superposent, se bonifient et se complexifient au fil des ans et du cumul des connaissances en itinérance.
Dans le cadre des deux démarches de recherche, les rencontres inter-équipe qui visaient à identifier avec l’ensemble des intervenant·e·s les grands principes guidant leur intervention, ont réintroduit avec force l’importance de la diversité des contextes et des nuances à mettre en œuvre pour appliquer des principes et des orientations. Le vocabulaire a d’ailleurs changé entre la première et la deuxième recherche, passant de la recherche de « consensus d’expert·e·s » à l’identification de « principes d’interventions ». Il y a là un changement de perspective induit par l’insistance des intervenant·e·s à nuancer, contextualiser les interventions décrites et les principes qui les sous-tendent. En ce sens, il apparaît au terme de ces démarches que l’élaboration des consensus de pratique est un exercice qui prend pleinement son sens seulement lorsqu’on ose aussi discuter de la diversité et des variations dans la réponse à certaines manières d’agir.
Notes
- Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, Montréal; Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Gatineau; Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Laval; et l’Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Sherbrooke.
- Équipe de suivi d’intensité variable (SIV) coordonnée par l’organisme communautaire Diogène, équipe de suivi d’intensité variable (SIV) et équipe de suivi intensif (SIM) au CSSS Jeanne-Mance