Au cours des dernières années au Québec, au sein même des institutions de santé et de services sociaux, des équipes cliniques ont développé de nouveaux outils et approches pour intervenir auprès des personnes itinérantes. Différentes pratiques se sont avérées propices à l’accès au logement et à une inclusion sociale durable des personnes.
Les approches et les équipes
Ce dossier réunit les savoirs d’intervention de sept équipes spécialisées en itinérance : quatre Équipes itinérance du Québec mises sur pied par des Centres de santé et de services sociaux (CSSS) et trois équipes formées dans le cadre du Projet chez soi à Montréal. Ces équipes multidisciplinaires ont réuni un grand nombre de professionnel·le·s : infirmier·ère·s , travailleur·euse·s sociaux·ales, psychiatres, organisateur·rice·s communautaires, médecins, éducateur·rice·s spécialisé·e·s, pair·e·s aidant·e·s, criminologues, spécialistes en dépendance et conseiller·ère·s en adaptation au travail. Près de quarante-cinq intervenant·e·s issu·e·s de diverses professions présentent ici les pratiques qu’ils.elles considèrent comme les plus prometteuses pour intervenir auprès des personnes à la rue. Ces interventions se réalisent dans divers contextes : dans le cadre d’équipes de suivi d’intensité modérée ou élevée, avec ou sans les opportunités d’une approche axée sur le logement, et toujours auprès de personnes ayant des problèmes de santé, notamment de santé mentale.
Approches d’intervention en itinérance
Les personnes en situation d’itinérance aux prises avec un problème de santé (physique ou mental) sont dans un double contexte d’incertitude lié à la vie dans la rue et à la maladie. C’est pour tenir compte de ces difficultés spécifiques à la vie itinérante que des professionnel·le·s ont développé une pratique qui permet d’adapter, de transformer et de réinventer les services qui leur sont dédiés.
On pourrait résumer les caractéristiques du travail de ces équipes de la manière suivante (McKeown et Plante, 2000, Denoncourt et coll,. 2007) : a) « l’aller vers » (outreach) qui cherche à rejoindre la personne là où elle est, c’est-à-dire dans les rues, les ressources, les espaces publics (parcs, métro) et semi-publics (hall d’immeuble, centre d’achats) dans l’objectif de bâtir un lien et d’assurer un suivi; b) la liaison intérieure (inreach) qui vise à développer les collaborations avec les autres professionnel·le·s au sein du réseau de la santé (par exemple, avec le milieu hospitalier lorsque l’accessibilité aux urgences psychiatriques est problématique); c) le travail de liaison avec le milieu communautaire qui favorise le développement d’un réseau de services et la complémentarité des ressources; d) la défense des droits et la protection des personnes, que ce soit à travers la dénonciation des abus, la sensibilisation à la discrimination ou l’assurance que les personnes peuvent évoluer dans un environnement sécuritaire et salubre.
La santé est définie par ces équipes dans une perspective globale, qui inclut l’autodétermination des personnes, le bien-être et la capacité de fonctionnement. Le travail porte alors sur diverses dimensions de la vie des personnes : la sortie de l’itinérance, la stabilisation en logement, la santé mentale et physique, la judiciarisation, l’intégration sociale, les habiletés à la vie quotidienne, les habiletés relationnelles, etc.
La recherche a décrit les pratiques de ces équipes sans chercher à identifier de prime abord les modèles ou approches d’intervention dans lesquels elles s’inscrivaient. Nous nous sommes plutôt attachés à documenter comment les diverses approches d’intervention dont s’inspirent ces équipes sont mises en œuvre dans le cadre de situations complexes, et s’en trouvent du coup transformées, nuancées et redéfinies. À la fin de l’exercice, on constate que les intervenant·e·s utilisent une grande variété d’approches selon les contextes, en les combinant et les nuançant en fonction de leur analyse de la situation, des demandes des personnes et de leurs responsabilités professionnelles.
Les sept équipes spécialisées en itinérance
Autour de démarches conjointes avec la recherche, les intervenant·e·s de sept équipes spécialisées en itinérance ont souhaité nommer, échanger et transférer des pratiques professionnelles en lien avec des savoirs, savoir-faire et savoir-être spécifiques à la clientèle itinérante.
Qui sont les Équipes itinérance du Québec?
Dans divers coins du Québec, des Équipes itinérance ont été mises sur pied par des Centres de santé et de services sociaux (CSSS) afin d’offrir des réponses plus adéquates et mieux ciblées aux personnes en situation d’itinérance. Ces équipes ont développé des approches novatrices pour considérer les besoins des personnes dans leur globalité (santé, social, sécurité, faim, hébergement). Elles réunissent des médecins, des infirmières, des travailleur·euse·s sociaux·ales et des organisateur·rice·s communautaires. Les personnes desservies par les Équipes itinérance vivent une variété de problématiques (santé physique, santé mentale, toxicomanie, perte d’autonomie) et sont abordées pour une pluralité de besoins (cartes d’identité, revenu, santé, logement). L’expertise multidisciplinaire développée par ces équipes va de la réponse à des demandes directes jusqu’au travail d’outreach, en passant par le maillage et le réseautage des ressources du réseau public et du milieu communautaire.
En 2008 et 2009, Hurtubise et Babin (2010) ont documenté les pratiques d’intervention de quatre Équipes itinérance au Québec : Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, Montréal; Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Gatineau; Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Laval; et l’Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Sherbrooke.
Qu’est-ce que le projet Chez soi à Montréal?
Le projet Chez soi est un projet de recherche et de démonstration sur la santé mentale et l’itinérance qui s’est échelonné sur quatre ans, entre 2009 et 2013, sous la responsabilité de la Commission de la santé mentale du Canada. Afin d’identifier des pistes de solution à la croissance et la diversification de l’itinérance, cinq sites ont été sélectionnés : Vancouver, Winnipeg, Toronto, Montréal et Moncton. Le but de cette recherche était de fournir des éléments probants sur les interventions les plus susceptibles de favoriser la stabilité en logement et d’améliorer la santé et le bien-être des personnes à la rue aux prises à des problèmes de santé mentale. La philosophie générale du projet consistait à donner aux personnes la possibilité d’intégrer rapidement un logement subventionné de leur choix (sans devoir passer par des étapes préparatoires), tout en leur offrant un suivi clinique et de réadaptation intégré et personnalisé (plus ou moins intensif selon leurs besoins). Ces équipes ont travaillé dans une approche du rétablissement en santé mentale (1).
À Montréal, le CSSS Jeanne-Mance fut responsable de l’équipe de suivi intensif dans le milieu (SIM) et d’une des deux équipes de suivi d’intensité variable (SIV). Diogène, organisme communautaire en santé mentale et en itinérance, fut mandataire de la deuxième équipe SIV. Le projet Chez soi à Montréal s’est terminé en mars 2013.
Entre 2010 et 2013, Hurtubise et Rose (2013) ont documenté les pratiques d’intervention des trois équipes cliniques du projet Chez soi de Montréal. Si le projet Chez soi visait globalement la démonstration de la pertinence et de l’efficacité de l’approche « logement d’abord avec suivi communautaire », la présente recherche visait à documenter et à valider des stratégies d’intervention clinique.
Liste des récits de pratiques par équipe
Équipe de suivi intensif dans le milieu (SIM) du projet Chez soi à Montréal, CSSS Jeanne-Mance
Inspirée du modèle « Housing First », l’Équipe de suivi intensif dans le milieu composé de huit intervenant·e·s a offert, entre 2008 et 2013, des services complets et un logement subventionné à 80 personnes ayant des troubles graves de santé mentale (par exemple, schizophrénie, troubles affectifs bipolaires, dépression, troubles sévères de la personnalité). Cette équipe multidisciplinaire organisée selon une formule d’intervenant·e-pivot fut composée d’infirmier·ère·s, travailleur·euse·s sociaux·ales, psychiatres, éducateur·rice·s spécialisé·e·s, pair·e·s aidant·e·s, criminologues et spécialistes en dépendance.
Douze récits de pratique ont été rédigés en collaboration avec le SIM Chez soi, en 2010, 2011 et 2013 :
- Trouble délirant et vie à la rue : des interventions de médiation pour limiter la judiciarisation
- Dépendance, ambivalence et réduction des méfaits : interventions auprès de quatre individus
- De la rue au CHSLD : franchir les barrières de l’itinérance
- Une psychiatre à domicile
- Partir de zéro dans l’intervention. Accompagner la sortie de la rue d’un homme psychotique dont on ne connaît ni l’identité, ni l’histoire
- La venue d’un nouveau-né. Offrir les moyens et suivre le défilé
- Avoir des papiers pour exister. Remettre les personnes sur la carte
- Mettre en place les conditions pour « attendre l’étincelle »
- Guide pratique pour amorcer une discussion sur la consommation
- Communiquer dans un univers en mouvement : l’organisation du travail d’une équipe interdisciplinaire
- Face à l’agressivité : sortir des cadres établis
- Un pied à la rue, un pied en logement : saisir dans l’intervention ce que signifie « avoir un toit » pour des participants
Équipe de suivi d’intensité variable (SIV) du projet Chez soi à Montréal, Diogène
Cette équipe de suivi d’intensité variable composée de six intervenant·e·s a offert, entre 2008 et 2013, un suivi et un logement subventionné à 100 personnes (ratio 1:17) ayant des problèmes de santé mentale modérés (par exemple, troubles anxieux, dépression et troubles moins sévères de la personnalité). Travaillant dans une approche de gestion de cas du type « Street to Home », cette équipe s’est composée de travailleur·e·s sociaux·ales, d’agent·e·s de relation humaine, de criminologues et de conseiller·ère·s en adaptation au travail.
Onze récits de pratique ont été rédigés en collaboration avec le SIV Chez soi, Diogène en 2010, 2011 et 2013 :
- Dérangeant ou dangereux? Repartir à neuf et évaluation des risques
- Prendre la parole au sérieux, malgré le délire. Une histoire de futon
- Quand l’appartement rime avec ambivalence et augmentation des symptômes de la maladie mentale. Offrir des solutions de rechange
- Après le décès. Préserver le droit à la dignité et rester à l’écoute des proches
- « Suivre » une dame qui refuse de bouger. Accompagner une personne souffrant d’un trouble sévère de personnalité
- Aider un homme d’origine inuite à renouer avec lui-même
- Accompagner sans succomber à l’urgence. Quand l’intervention consiste à attendre le moment propice au rétablissement
- Accompagner vers les services une dame qui voit des anges
- L’usage du récit personnel et du cahier du rétablissement dans l’intervention
- Garder le cap de l’approche du rétablissement axé sur les forces des personnes
- Raccrocher à la vie des personnes qui souffrent de toxicomanie
Équipe de suivi d’intensité variable (SIV) du projet Chez soi à Montréal, CSSS Jeanne-Mance
Cette équipe de suivi d’intensité variable composée de six intervenant·e·s a offert, entre 2008 et 2013, un suivi et un logement subventionné à 100 personnes (ratio 1 :17) ayant des problèmes de santé mentale modérés (par exemple, troubles anxieux, dépression et troubles moins sévères de la personnalité). Travaillant dans une approche de gestion de cas du type « Street to Home », cette équipe s’est composée de travailleur·e·s sociaux·ales, d’une infirmière, d’agent·e·s de relation humaine, de criminologues et de conseiller·ère·s en adaptation au travail.
Sept récits de pratique ont été rédigés en collaboration avec le SIV Chez soi, CSSS Jeanne-Mance, en 2010, 2011 et 2013 :
- Faire vivre le rêve : accompagner un retour aux études malgré le scepticisme des professionnels autour d’une personne
- Faire alliance avec un individu aux prises avec un délire de persécution
- Aux limites de l’intervention. Se positionner en regard de comportements violents
- Médiation entre locataire et propriétaire : permettre aux cris de porter, sans tout briser
- Apprivoiser pas à pas la toxicomanie et les troubles mentaux
- Faire des pas là où c’est possible : traumatisme crânien, comportements agressifs et perte d’autonomie
- Terminer la relation d’intervention … en s’assurant que les personnes gardent leur élan
Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, Montréal
Mise sur pied en 1990, cette équipe pionnière du CSSS Jeanne-Mance offre une diversité de services à la population itinérante du centre-ville de Montréal. Les services offerts aux personnes incluent des soins infirmiers, des consultations psychosociales, médicales et psychiatriques, le support d’un psychoéducateur spécialisé en déficience intellectuelle, ainsi qu’un groupe de conversation thérapeutique. L’équipe était composée de six professionnel·le·s en 2008.
Onze récits de pratique ont été rédigés avec l’Équipe itinérance, CSSS Jeanne-Mance, en 2008-2009 :
- Intervenir face à une double vulnérabilité : itinérance et déficience intellectuelle
- Intervention auprès d’une femme Inuite : du soin au travail de traduction
- Les défis du mandat d’une Équipe itinérante : prévenir les glissements
- Faire face à l’impuissance : une personne âgée avec un trouble de personnalité limite
- Groupe de conversation thérapeutique auprès des personnes itinérantes avec un problème de santé mentale
- Le défi de reconstituer l’histoire des personnes pour intervenir dans une situation de refus de soins
- La pratique d’outreach : un réseau de collaboration indispensable
- Advocacy à travers le soin
- Soigner et protéger : dilemme entre responsabilité professionnelle et volonté individuelle
- À l’interface des acteurs en itinérance : sensibiliser pour repenser le « faire ensemble »
- Composer avec la manipulation : de la sensibilisation à l’encadrement
Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Gatineau
Mise sur pied en 1996, l’équipe IMAGES (Intervention pour Mieux Agir en Exclusion Sociale) était composée en 2008 d’une technicienne en travail social à mi-temps, d’une organisatrice communautaire et d’une agente de relations humaines. Les principes d’intervention de cette équipe sont le travail dans le milieu, l’empowerment et l’accompagnement, ainsi que la collaboration avec les acteur·rice·s communautaires et la concertation avec les acteur·rice·s en lien avec les personnes en situation d’itinérance.
Trois récits de pratique ont été rédigés en collaboration avec l’Équipe itinérance du CSSS de Gatineau, en 2008-2009 :
- Personnes en difficultés à l’aide sociale : de l’accompagnement à l’advocacy
- Affirmer sa place comme Équipe : promouvoir une vision et un mode d’intervention
- Travailler avec les propriétaires et les gestionnaires pour l’accessibilité au logement
Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Laval
Mise sur pied en 2000, l’Équipe itinérance du CSSS de Laval, qui relève de la Direction santé mentale adulte (DSMA), travaille dans les divers organismes communautaires afin d’intervenir auprès de personnes vivant en situation d’itinérance ou à risque de le devenir. En 2008, l’équipe est composée d’un travailleur social, de deux infirmières et d’une agente de relations humaines.
Trois récits de pratique ont été rédigés en collaboration avec l’Équipe itinérance du CSSS de Laval, en 2008-2009 :
- Les collaborations entre policiers et intervenants : place à l’adaptation
- Le redémarrage d’une Table de concertation, une question de synergie
- Une réflexion sur l’action, l’impact de la participation à une recherche
Équipe Itinérance du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Sherbrooke
L’équipe itinérance de Sherbrooke existe depuis 2005. Elle est co-gérée par le CSSS-Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke et le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS). Son mode de fonctionnement et son cadre de référence sont inspirés de ceux de l’Équipe itinérance du CSSS Jeanne-Mance. Cette équipe d’intervention mobile est imbriquée dans le réseau communautaire de Sherbrooke qui soutient les personnes itinérantes. En 2008, l’équipe compte un intervenant social à temps complet, un organisateur communautaire et une infirmière à temps partiel, de même qu’un médecin, à raison de six heures par semaine.
Quatre récits de pratique ont été rédigés en collaboration avec l’Équipe itinérance du CSSS-Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, en 2008-2009 :
- Le défi de la construction du lien et sa fragilité : un travail de longue haleine
- La stabilisation d’un jeune par le logement supervisé
- Logement de transition avec suivi intensif pour personnes itinérantes : de nouveaux partenaires pour innover
- Collaboration avec l’urgence psychiatrique d’un centre hospitalier