Le traducteur, le pragmatique, le tisserand et l’inspirante : devenir praticien·ne-chercheur·euse en quatre portraits

Comment devient-on praticien·ne-chercheur·euse? Frédéric Maari, David Barbeau, Alain Arsenault et Lorraine Beauvais, respectivement spécialiste en activités cliniques, médecin, organisateur communautaire et gestionnaire, s’impliquent tous·tes les quatre dans les activités du CREMIS depuis plusieurs années. Ce texte présente, en quatre portraits, les temps forts de leurs rencontres avec le CREMIS et la façon dont ils et elle ont développé leurs propres visions du lien entre pratique et recherche.

Texte adapté d’une série d’entrevues menées par Naomi Bovi, APPR à la mobilisation et au transfert de connaissances au CREMIS, dans le cadre de l’enregistrement du balado Hors-série #5 — Collaborer avec le CREMIS : 20 ans de recherche en milieu de pratique1.

Le traducteur — Frédéric Maari, spécialiste en activités cliniques

J’ai fait des études en criminologie à l’université d’Ottawa. Je ne voulais pas travailler avec le système carcéral, mais la judiciarisation des personnes qui ont des problèmes de consommation, ça m’interpellait beaucoup. J’ai fait un certificat en toxico, et après ça j’ai commencé à travailler au centre de réadaptation en dépendance de Montréal.

Par la suite, j’ai été embauché au CLSC des Faubourgs et j’ai rejoint le projet EMRII2 qui commençait. C’était une collaboration police-itinérance. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser un petit peu à la recherche : la police faisait une étude sur le projet EMRII, et moi je disais toujours que ça n’avait pas d’allure que ce projet-là soit documenté par la police, alors qu’on a un centre de recherche et qu’on pourrait documenter nous-mêmes les pratiques. C’est là que Christopher McAll3 a demandé à un agent de recherche qui travaillait au CREMIS : peux-tu rencontrer Frédéric pour écrire un article sur le projet EMRII dans la Revue du CREMIS? Ça a commencé comme ça. Ensuite ils ont eu des financements, ils ont fait une recherche sur EMRII, et Christopher est revenu me voir en disant : tu sais, tu pourrais être membre du CREMIS. On aimerait ça avoir des praticien·nes, on n’a personne sur le volet toxico, et ton apport serait intéressant.

Je trouvais ça stimulant, on m’invitait, on me disait : on veut que tu parles de toxico, on veut que tu t’intéresses à la question des déterminants sociaux de la santé en lien avec la dépendance. Là, je crois qu’il y a comme un autre niveau de langage qui est arrivé dans ma pratique : sortir de l’individualité, ça m’a amené une lecture plus structurelle, ça m’a permis de voir comment la société contribue aux problématiques, ça a un peu changé mon niveau d’analyse. C’est ça qui a été le début de mon implication au CREMIS.

En 2009-2010, on m’a offert un poste de spécialiste en activités cliniques, toujours en CLSC, avec le volet Dépendance. Et quelques années après, il y a eu le projet Rond-Point, dans lequel je me suis impliqué en tant que co-chercheur. C’était une initiative de plusieurs partenaires. C’est comme un espace commun où chacun·e a son mandat, mais les gens font leurs interventions ensemble. Et c’était dans une approche milieu de vie, on voulait que ce ne soit pas seulement des cliniques, mais plutôt que les gens vivent des choses ensemble.

Programme Rond-Point

Le programme Rond-Point offre des services intégrés et spécialisés aux femmes enceintes, aux enfants exposés in utero à l’alcool et aux drogues, et à leurs parents, dispensés par une équipe multidisciplinaire dans une approche de milieu de vie.

Pour en savoir plus sur le programme et sur le développement du comité de parents, voir l’article co-écrit par Frédéric Maari dans la Revue du CREMIS : Le Rond-Point, centre périnatal familial en toxicomanie : construire un « espace parents » (Maari et al., 2014). https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/le-rond-point-centre-perinatal-familial-en-toxicomanie-construire-un-espace-parents

Dans l’année où le programme a commencé, les recherches sont arrivées. C’est ça qui est un peu rushant, les intervenant·es avaient tellement de questions. Beaucoup de professionnel·les sont habitué·es à travailler dans des bureaux et, tout d’un coup, ils et elles allaient manger et faire la vaisselle avec les usagers·ères. Il y avait déjà beaucoup de travail avec l’équipe pour comprendre comment développer le projet, et là on amène un processus de réflexion sur la participation… Parce que ce qu’on voulait, depuis le début du Rond-Point, c’était créer un comité de parents qui soit composé des parents accompagnés par le programme. On était en train de développer des services, on voulait connaître leurs besoins, on voulait avoir leurs points de vue : on voulait qu’ils et elles soient des patient·es partenaires.

On a interpellé le CREMIS pour documenter le processus et voir quelles seraient les bonnes pratiques dans la participation. Il y avait vraiment l’idée de co-construction, et de dire qu’on allait accompagner les intervenant·es qui sont dans une espèce de feu roulant, qui n’ont pas le temps de s’arrêter, de réfléchir, pour qu’ils et elles comprennent ce qu’est la participation, en quoi les parents peuvent jouer un rôle, quel rôle elles et eux sont prêt·es à jouer. On souhaitait une participation pleine et entière, citoyenne. Il y avait vraiment un accompagnement nécessaire pour que les parents développent aussi un discours collectif qui représente leurs intérêts.

Et puis c’est devenu confrontant pour les intervenant·es, parce qu’ils et elles étaient déjà dans les services, et les parents commençaient à poser des questions sur les critères d’admissibilité, sur le fonctionnement du Rond-Point, sur qui prend les décisions… Ça a été un des constats de la recherche : à quel point les organisations souhaitent la participation, mais ne sont pas toujours prêtes à faire face à ce que ça donne quand les gens sont vraiment mobilisés. Tu as tout ce monde avec leur réalité institutionnelle, il fallait s’entendre avec un paquet de partenaires pour décider de quel bord on allait tourner.

Ma collaboration, ça a été de faire un peu le pont. J’ai été comme la courroie de transmission, entre le milieu de pratique et l’équipe de recherche, pour s’assurer que la façon dont on allait travailler avec le terrain respecte les capacités de l’équipe de Rond-Point, leurs rythmes, leurs réalités, leurs défis. C’est un projet qui était en implantation, les équipes d’intervention étaient vraiment mises sous pression, et là on ajoutait la participation à une recherche, le monde était comme : aïe, comment on va y arriver? Si on veut que ça marche, il faut mettre des conditions, s’assurer que la recherche n’est pas un surplus, mais qu’on les accompagne dans un processus, pour que ça fasse du sens pour eux autres.

Je dirais que ça a été ma participation la plus significative, mais il y a eu plein d’autres collaborations qui m’ont influencé dans ma pratique. Je me pose toujours la question : comment peut-on faire pour réduire les inégalités dans nos actions? Ça m’amène un esprit critique sur la façon dont on offre les services et sur la façon dont on implique les personnes concernées. Ça m’amène cette couleur-là dans toutes mes réflexions, dans ce que je fais. Donc il y a une posture réflexive intéressante, mais aussi beaucoup de frustrations : tu finis par t’aliéner ta propre organisation parce que tu réalises tous les trucs qui se font et qui sont préoccupants sur le plan des inégalités sociales. Et, quand même, tu soulèves des choses. Ça m’a amené, peut-être, cette espèce de sentiment de ramer contre le courant.

Mais, avec le CREMIS, j’ai réalisé que la recherche pouvait être vraiment plus utile quand elle est en collaboration, quand elle est plus proche de l’objet et des personnes concernées. Au final, la co-construction permet de bien meilleurs changements possibles dans le réseau, dans le système, plutôt que juste faire des ponctions de données et écrire un rapport que personne ne lit. Le volet praticien·ne-chercheur·euse, je trouve qu’il permet ça, ce lien, entre la pratique et la recherche. Il y a comme une idée d’émulation là-dedans, ça suscite de l’intérêt. Si tu as des collègues qui font un peu de recherche, ça t’amène une petite curiosité. C’est pas juste une gang de chercheurs·euses dans des centres de recherche, on en a aussi dans nos planchers! Tu es la voix des clinicien·nes auprès des chercheurs·euses, et tu es la voix des chercheurs·euses auprès des clinicien·nes. Ça permet cette communication-là : les praticien·nes-chercheurs·euses, c’est un peu des traducteurs·trices.

Le pragmatique — David Barbeau, médecin

En 1997, j’ai fini ma Médecine, et tout de suite j’ai commencé à pratiquer au CLSC Centre-ville. Dès le début de ma pratique, j’étais intéressé et impliqué auprès des clientèles très vulnérables. Au début, j’étais dans l’équipe Itinérance, puis rapidement je me suis impliqué avec le CRAN, le Centre de recherche et d’aide aux narcomanes.

La recherche m’a toujours intéressé. J’avais plutôt un parcours de recherche fondamentale : j’ai fait une maîtrise en pharmacologie, j’ai commencé un doctorat en neurosciences, j’avais comme un mi-temps en recherche fondamentale et un mi-temps en pratique clinique. Mais, rapidement, j’ai abandonné mon doctorat, parce que j’étais plus capable de faire les deux et aussi parce que j’avais une espèce de conflit de valeurs, dans le sens où quand tu travailles en recherche fondamentale, tu travailles pour des changements qui vont peut-être arriver dans des décennies, s’ils arrivent. C’est très intéressant au niveau intellectuel, mais au niveau pratique ça ne changeait pas grand-chose pour les patient·es que je voyais, qui étaient dans la rue, qui n’avaient pas de support social autour d’elles et eux, pour juste leur faire penser à prendre leurs médicaments. Je trouvais qu’il y avait une urgence à concentrer les efforts dans la recherche plus sociale, ou l’organisation des services, plutôt que dans la recherche fondamentale.

Puis le CREMIS est arrivé. Les gens connaissaient mon intérêt en recherche, ils sont venus me rencontrer. C’est comme ça que j’ai été impliqué, dès le début. Bon, je n’ai jamais été beaucoup impliqué en termes de temps, parce que ma clinique me prend tout mon temps. La recherche, ça a toujours été une partie assez marginale, mais ce que j’ai vu, c’est qu’il y a des chercheurs·euses qui sont formé·es pour faire de la recherche et qui ont besoin d’avoir accès à des populations cliniques. Je pouvais leur donner accès à ça. C’était peut-être mon plus grand apport comme praticien-chercheur, et c’est dans ce sens-là que j’ai travaillé.

Le projet avec Nadia Giguère4 a commencé en 2007. J’étais en pratique depuis 10 ans, j’étais beaucoup confronté à des patient·es qui nous demandaient de remplir des formulaires d’aide sociale. On n’est pas formé·es pour ça. J’ai toujours eu un malaise à les remplir, parce que je ne sais jamais ce qui est adéquat pour les patient·es. En 2007, j’ai pris ces questions-là à bras-le-corps et j’ai bâti une formation préliminaire, qui était à l’époque conçue pour notre unité de médecine familiale. Je l’ai donnée à maintes reprises auprès de résident·es, puis j’ai été invité à la donner dans d’autres unités de médecine familiale. Mais c’était toujours ponctuellement, avec quand même peu d’impact.

Accès à l’aide sociale

L’accès au Programme de solidarité sociale (aide sociale) soulève d’importantes questions, à la fois sur le vécu des personnes bénéficiaires, sur le rôle joué par les médecins qui statuent sur la capacité au travail des personnes concernées, mais aussi sur la relation entre les médecins et leurs patient·es dans ce contexte.

Pour en savoir plus sur ces enjeux, voir la prise de position co-écrite par David Barbeau dans la Revue du CREMIS : L’aide sociale et le malaise des médecins : constats et propositions (collectif d’auteurs·trices, 2008). https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/laide-sociale-et-le-malaise-des-medecins-constats-et-propositions

Notre premier projet a été financé par un budget du CRAN, qui nous a permis de faire un premier devis de recherche pour suivre des patient·es et les questionner sur leur perception des changements qu’ils et elles ont expérimentés avec la contrainte sévère à l’emploi. On a pu avoir des données intéressantes sur lesquelles on s’est appuyé·es pour modifier la formation. Nadia a obtenu du financement pour une autre recherche, avec des organismes communautaires, auprès des gens qui s’étaient rendus au tribunal administratif du Québec pour faire renverser des décisions négatives de l’aide sociale, et tenter de se faire reconnaître des contraintes sévères à l’emploi. Tout ça a mené à améliorer la formation. Puis, avec Anne-Marie Ouimet5, on a fait un travail d’évaluation de la formation avec des groupes pilotes. On est aussi allé·es voir le point de vue des médecins de l’aide sociale, ça a été un gros plus.

Projet de recherche et formation

En 2015-2016, le CREMIS et le CRAN ont travaillé en partenariat pour documenter les pratiques professionnelles d’évaluation de la contrainte à l’emploi et l’expérience des personnes qui font une demande d’accès au Programme de solidarité sociale. Les résultats de cette recherche sont repris dans un dossier, disponible sur le site web du CREMIS, qui propose de démystifier le Programme de solidarité sociale et de présenter des pratiques jugées prometteuses pour favoriser un accès plus équitable aux prestations. Les résultats de ce projet de recherche ont également permis de consolider le contenu d’une formation visant à soutenir les médecins dans l’évaluation des contraintes à l’emploi et le remplissage des formulaires médicaux.

Pour en savoir plus sur le projet de recherche et sur la formation, voir le dossier Programme de solidarité sociale : constats et pistes de réflexion pour un accès plus équitable, sur le site web du CREMIS : https://cremis.ca/publications/dossiers/dossier-nadia

Je ne pensais pas me rendre là. C’est vraiment le travail de Nadia, d’Anne-Marie, qui a fait qu’on s’est rendu·es jusqu’à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, pour que notre formation soit diffusée sur leur plateforme de formation médicale continue. On a enregistré la formation l’année dernière, et l’ensemble des médecins du Québec y a maintenant accès6.

Pour que ça fonctionne, je pense qu’il faut qu’il y ait une constance dans les acteurs·trices principaux·ales. J’ai quand même travaillé sur ce projet-là pendant cinq, six, sept ans avant de rencontrer Nadia, même si je ne faisais évidemment pas ça à temps complet. C’était très ponctuel, mais ça compte, le fait que je n’ai pas lâché le morceau pendant aussi longtemps. C’est la même chose avec Nadia, elle est là depuis qu’on s’est rencontré·es, ça fait 10 ans. Pour elle aussi c’est un projet parmi d’autres, mais elle a toujours donné un peu d’énergie à ça. Et c’est aussi le fait qu’il y a un produit concret qui émane de ça, qui est utilisable, et qu’au final on sent qu’on peut avoir un impact.

Et puis c’est clair que, comme médecin, on se rend compte assez rapidement que tout seul dans notre bureau, avec un·e patient·e en face de nous… Oui, on peut avoir un impact sur cette personne-là individuellement, dans le cas de l’aide sociale c’est peut-être une des interventions où on a le plus d’impact concret pour niveler les inégalités sociales, en leur permettant d’obtenir un revenu mensuel qui est plus important. Mais ça reste un impact qui est individuel. J’ai aussi cette perspective-là, on peut dire de santé publique, qui est très importante pour moi. C’est un peu ce qui m’a motivé. Comment on peut faire pour changer les choses, pour faire en sorte que le revenu disponible des gens soit plus conséquent, parce que ça n’a pas de bon sens de pouvoir vivre en santé avec le niveau de l’aide sociale qu’on reçoit. Parce que nous, les médecins, on a un gros rôle à jouer dans ce système-là. On ne veut pas toujours le jouer, mais reste qu’on nous donne ce rôle-là à jouer.

Je trouve que c’était un bel exemple de collaboration. C’est ça, à mon avis, les ingrédients gagnants : c’est que c’est concret.

Le tisserand — Alain Arsenault, organisateur communautaire

Lorsque je suis arrivé au CIUSSS du Centre-Sud-de-L’Île-de-Montréal (CCSMTL) en 2009, j’ai obtenu un poste d’organisateur communautaire (OC). Ça faisait déjà un bout de temps que je travaillais sur le territoire, comme agent de développement territorial à la Corporation de développement économique communautaire (CDEC) Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal. Donc je travaillais déjà avec le CIUSSS et avec des OC, pour mettre en place différentes initiatives, comme la création du Marché solidaire Frontenac dans le quartier Sainte-Marie.

Avec le CREMIS, il y a eu deux portes d’entrée, je dirais. D’abord, il y a eu les travaux du Comité santé des minorités sexuelles. Au début des années 2010, on avait participé à une étude sur la satisfaction des personnes LGBT à l’égard des services de santé et des services sociaux. C’était une recherche-action, et les membres du Comité avaient été très impliqué·es. Il y avait un arrimage avec le CREMIS, qui nous a beaucoup aidé·es en termes de mobilisation et de diffusion des savoirs. Par la suite, le champ thématique Diversité sexuelle et pluralité des genres s’est développé au CREMIS. L’autre porte, c’est avec Jean-Baptiste Leclercq7, qui a beaucoup travaillé à documenter la pratique en organisation communautaire. J’ai participé à ça aussi, avec des entrevues, des réflexions. On a eu un bon nombre de rencontres et d’événements autour de cette thématique-là.

Donc ça a été les deux portes d’entrée, mais aujourd’hui je suis davantage impliqué comme co-porteur du champ thématique Diversité sexuelle et pluralité des genres.

Diversité sexuelle et pluralité des genres

Le Comité santé des minorités sexuelles (CSMS) était composé d’intervenant·es du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, aujourd’hui intégré au CCSMTL. Il avait pour mandat de sensibiliser et former le personnel à la réalité homosexuelle et de faire la promotion de pratiques respectueuses et adaptées aux réalités des personnes LGBT.

Pour en savoir plus sur les travaux du CSMS, voir par exemple le rapport de recherche Adéquation des services sociaux et de santé avec les besoins des minorités sexuelles (Dumas et al., 2016) : https://chairedspg.uqam.ca/wp-content/uploads/2015/06/upload_files_Rapport__CSSS.pdf

Aujourd’hui, le champ thématique Diversité sexuelle et pluralité des genres du CREMIS, co-porté par Alain Arsenault et Kévin Lavoie, vise à explorer les réalités lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans et queer (LGBTQ+) au prisme des inégalités sociales et des discriminations. Il se veut également un espace pour réfléchir et mettre en valeur les pratiques alternatives de citoyenneté porteuses pour les communautés LGBTQ+.

Pour en savoir plus sur les activités du champ, voir par exemple l’évènement dans le cadre des 20 ans du CREMIS : Décloisonner les savoirs : la recherche communautaire LGBTQ (13 juin 2024). https://cremis.ca/evenements/decloisonner-les-savoirs-la-recherche-communautaire-lgbtq

Pourquoi m’impliquer au niveau de la recherche? C’est sûr que c’est un besoin de documenter, d’apprendre, de comprendre, d’avoir d’autres perspectives. Mais au niveau du Comité santé des minorités sexuelles, on avait un agenda, entre guillemets. On voulait que l’établissement s’approprie les enjeux, et agisse. La recherche est un levier pour faire ça, pour identifier les points d’amélioration et les pistes de collaboration. Il y a différentes occasions de travailler avec la recherche : nous, elle nous sert pour documenter, appuyer, soutenir des initiatives. C’est un volet nécessaire, important, mais on n’a pas nécessairement les compétences, ni le temps d’ailleurs, pour travailler là-dessus. Donc je pense que cet arrimage-là, entre recherche et pratique, c’est une collaboration qui est fructueuse pour les deux parties. Je pense que c’est pour ça qu’on a du plaisir à le faire, et que c’est aussi pour ça que ça donne des résultats.

Et puis, ce qui est vraiment le fun du côté de l’organisation communautaire, c’est que c’est reconnu comme faisant partie de mon travail. Je me suis rendu compte que ce n’était pas toujours le cas : moi, je ne suis pas dans un bureau avec un case load, à voir vingt personnes par jour. Donc il y a une liberté, une marge de manœuvre dans cette profession-là qui est assez rare, qui est très précieuse, et qu’on veut garder.

Organisation communautaire

L’organisation communautaire est une approche d’intervention sociale qui privilégie une réponse collective aux problèmes sociaux.

Pour en savoir plus sur les pratiques, les mandats et les initiatives portées par les organisateurs-trices communautaires du CCSMTL, voir le dossier Pratiques d’organisation communautaire, sur le site web du CREMIS : https://cremis.ca/publications/dossiers/pratiques-dorganisation-communautaire

C’est ce qu’on fait dans notre travail au quotidien en tant qu’OC, on met en valeur différents savoirs : savoir expérientiel, savoir de la recherche, savoir du terrain, savoir des gestionnaires, aussi. C’est ce qu’on essaie de toujours mettre à contribution lorsqu’on travaille, on essaie d’embarquer tout le monde pour couvrir tous les angles. D’où l’importance de tisser des liens, de travailler en collaboration et d’établir des relations de partenariat. J’ai des collègues qui travaillent avec différent·es acteurs·trices autour de la table, c’est autant de gens qu’on peut mobiliser, qu’on peut consulter, qu’on peut informer aussi lorsqu’il y a des activités du CREMIS. On est vigilant·es par rapport à ça, à faire le lien. Si on voit qu’il y a des activités du CREMIS qui sont intéressantes pour nos partenaires, on va les diffuser, on va les promouvoir. D’autre part, on va interpeller les chercheurs·euses pour documenter nos enjeux, pour ensuite avoir un pouvoir d’influence au niveau des décideurs·euses, par exemple.

C’est aussi la question de la responsabilité populationnelle qui guide nos actions : plus les chercheurs·euses travaillent sur des thématiques qui sont en lien avec les besoins des personnes qui habitent le territoire, ou des enjeux qui correspondent au territoire, plus ça va faciliter notre participation du côté de l’organisation communautaire. Par exemple, le CREMIS a produit une capsule vidéo sur un organisme en sécurité alimentaire et le soutien qu’on leur a offert. Maintenant, si je retourne en soutien à cet organisme-là, et qu’il doit aller chercher du financement, la capsule peut me servir comme carte de visite. Si on approche des bailleurs de fonds, on peut leur dire : ça vous tente de connaître un peu mieux Info alimentaire Centre-Sud? En 10 minutes, vous avez de beaux témoignages qui vont vous dire ce qu’ils font et comment ils font leur travail. La collaboration entre le CREMIS, nous, et nos partenaires communautaires, peut même aller jusque-là.

En ce moment il y a de gros enjeux au niveau de la gentrification sur le territoire, c’est une grande préoccupation pour la plupart des acteurs·trices du milieu, peu importe dans quel secteur on intervient. Là, on va aller voir si, du côté du CREMIS, il y aurait des personnes intéressées à essayer de documenter quels seraient les impacts sur le tissu social, sur les inégalités sociales. Il y a comme une espèce de crise sociale, d’itinérance, de surdoses, de logement. Alors c’est sûr que de voir qui documente quoi là-dessus au CREMIS, et éventuellement de pouvoir participer à cette réflexion-là, c’est un bon incitatif pour mes collègues de se joindre à la conversation et de mobiliser d’autres acteurs·trices. Autrement dit, plus c’est collé aux réalités locales, plus ça va favoriser la participation du milieu, et la nôtre.

C’est sûr qu’en organisation communautaire, la recherche est plus orientée. On a des visées avec ça. Ce n’est pas du savoir fondamental… Ça nous intéresse aussi, mais c’est vrai que dans le cadre de notre travail, on cherche plutôt à creuser des sujets pour ensuite aller vers de l’action. Donc, on en revient toujours à la fonction de liaison : tisser des liens entre les besoins des populations de notre territoire, les acteurs·trices de la communauté, et la recherche.

L’inspirante — Lorraine Beauvais, gestionnaire

Je suis arrivée à Jeanne Mance en décembre 2006, comme spécialiste en activités cliniques dans l’équipe Jeunesse scolaire, et j’ai été nommée cheffe d’administration de programme Jeunesse en juin 2007. C’est dans ce contexte-là que j’ai commencé à travailler avec le CREMIS. C’était une belle période, parce qu’on était dans les écoles, on était vraiment dans la communauté. Jeanne Mance avait une vision très communautaire des choses. On levait toujours notre patte quand il y avait des recherches, on trouvait que ça nous aidait, cliniquement, à être meilleur·es.

C’est à l’époque où on commençait à parler beaucoup plus de bonnes pratiques et d’évaluation de nos pratiques. Par exemple, quand je travaillais à Laval : à cette époque-là, plein de monde débarquait dans les écoles avec de belles idées, et on voulait que les jeunes soient au courant. À un moment donné, il y a une grosse recherche qui est sortie, qui parlait de prévention du suicide dans les écoles et de comment bien intervenir face à cet enjeu. Ça amenait cette idée de prévention, mais ça nous montrait aussi que, parfois, même en voulant bien faire, on ne fait pas si bien que ça. J’avais trouvé ça troublant. Pour moi, c’est important d’offrir de bons services. J’ai réalisé que la recherche pouvait nous aider à aller plus loin, ça m’a interpellée. Ça arrive souvent, on rentre dans une école, on est travailleuse sociale et on se dit : il me semble que cette clientèle-là, je ne la rejoins pas. On a observé des choses, on voit bien que certains gars ne se pointent pas dans notre bureau, par exemple. On ne dit pas qu’il faut attendre d’avoir un million de données avant de bouger, mais quand même, on essaie de voir si on peut associer la recherche à certaines pratiques comme celles développées dans Bien dans mes baskets. Ça peut aider à aller plus loin.

Ce n’est pas parce que j’étais gestionnaire que la clinique ne m’intéressait plus. Pour moi, cette volonté du CREMIS, à l’époque, d’établir des relations avec des intervenant·es du réseau et du communautaire, des spécialistes en activité clinique, des chercheurs·euses, des gestionnaires, elle était extraordinaire parce qu’il y avait une espèce de dichotomie entre la recherche et le plancher. On allait à des colloques, tout le monde était assis dans la salle, et tout le monde se disait : ils vivent dans les nuages! C’était à peu près ça, la perception qu’il y avait. Quand j’ai commencé, on l’entendait : ils ne viendront pas me dire quoi faire! Ils vivent sur la planète XYZ.

Il y a un travail de collaboration qui s’est fait avec le CREMIS, et qui a fait qu’on pouvait mutuellement s’aider. Il y avait une volonté d’impliquer tout ce monde-là, et les gestionnaires aussi. Il y a eu une relation de confiance qui s’est établie. Quand les gens nous posaient des questions, c’est comme si ça nous amenait ailleurs. Ça teinte l’intervention et ça teinte aussi le réflexe des gens, leur vision, de se dire : on a envie d’être de bon·nes intervenant·es et on a envie de pouvoir discuter de nos pratiques. Parfois, c’est comme un miroir, on peut simplement avoir quelqu’un qui nous pose une question et on se dit : ah, oui, c’est intéressant, je n’y avais pas pensé. Et là, ça ouvre une porte qui nous amène ailleurs.

Et ça n’a pas besoin d’être toujours si formel. À un moment donné, on était très proches, j’avais la clinique Jeunesse sur Sainte-Catherine, et régulièrement on allait dire salut, on allait jaser, on discutait de ce qu’on faisait. La proximité, ça avait un impact. Mais ça demande un peu de temps, c’est sûr. Les conditions doivent être là. Il faut une volonté mutuelle, il faut un sentiment que ça donne quelque chose. Les gens sur le terrain ont beaucoup de travail, ils et elles sont très occupé·es. S’ils et elles n’ont pas l’impression que ça donne quelque chose, ils et elles vont décrocher. Il peut aussi y avoir un peu d’inquiétude : je n’ai pas beaucoup de temps, on va me remettre en question ce temps-là… Ça ne doit pas devenir une charge supplémentaire, ça doit être quelque chose qui fait partie du quotidien, qui nourrit.

Il faut motiver les gens à y aller, ça ne se fait pas un beau matin. Il faut des gens qui y croient, qui ont appris, qui en ont tiré quelque chose à un moment donné dans leur vie, et qui sont resté·es avec cette image positive là. Donc, quand la recherche travaille avec de jeunes intervenant·es qui arrivent, c’est un peu un investissement, parce qu’on crée des liens positifs avec ces gens-là. Ils et elles vont probablement garder cette image-là toute leur carrière, et vont lever la main.

C’est un cercle. Ça demande une certaine assurance clinique et personnelle, parce que travailler avec la recherche, c’est aussi être un peu remis·e en question. Mais quand on a l’impression de faire de bonnes affaires et d’avoir de bonnes relations, que ça nous a solidifié·es cliniquement, on est de plus en plus solide pour accepter de se remettre en question dans des discussions, de s’ouvrir. Ça demande à la fois une certaine humilité et une certaine confiance en soi. Il faut être en confiance avec la recherche. C’est quelque chose d’énorme, l’impression d’avoir été utile à sa clientèle, plus largement, par d’autres outils, par d’autres moyens que l’intervention individuelle. C’est comme si on amenait une coche de plus en se disant : je suis partie de ce que je vis au quotidien, j’ai pu en discuter, il y a des personnes qui m’ont aidée à y réfléchir. On a tout d’un coup une vision plus large, plus globale.

C’est beaucoup pour ça que je suis devenue gestionnaire. J’ai beaucoup travaillé sur le terrain, et j’avais l’impression qu’en étant gestionnaire je pourrais avoir une vision plus globale, avoir certains outils que je n’avais pas comme intervenante, et qui me permettraient d’influencer les choses d’une façon différente. Pour moi, la recherche c’est un peu le même genre de réflexion : partir de son intervention pour voir plus large, pour pouvoir influencer plus largement.

Notes

  1. Pour écouter le balado : https://cremis.ca/balados/hors-serie
  2. L’équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance (EMRII) est un service de deuxième ligne constitué de policiers·ères du Service de police de la Ville de Montréal et d’intervenant·es du réseau de la santé et des services
    sociaux du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL).
  3. Christopher McAll, directeur scientifique du CREMIS de 2004 à 2018 et professeur de sociologie à l’Université de Montréal.
  4. Nadia Giguère, chercheuse universitaire en établissement au CREMIS et professeure associée au département de médecine de famille et de médecine d’urgence de
    l’Université de Montréal.
  5. Anne-Marie Ouimet, agente de planification, de programmation et de recherche (APPR) au CREMIS, spécialiste en évaluation.
  6. La formation sur les formulaires d’aide sociale est disponible en ligne depuis mars 2024. Pour plus d’informations, voir le site web du CREMIS : https://cremis.ca/publications/dossiers/dossier-nadia/activite-de-formation-continue-23-fevrier-2021
  7. Jean-Baptiste Leclercq, chercheur universitaire en établissement au CREMIS et professeur associé au département de sociologie de l’Université de Montréal.