La culture urbaine acquiert un sens tout particulier au regard de la démarche de l’association Da.Mas (« donne plus », en espagnol). Créé en 2000 dans la région Nord-Pas-de-Calais (France), ce groupe revendique la musique (hip-hop et slam) et la danse comme outils d’expression et de motivation des jeunes. Témoignage de César Paulo Massano (Paulo), un des instigateurs du projet Da.Mas, qui participa en juin 2012 avec plusieurs jeunes du nord de la France aux Jours printaniers du CREMIS/PRAXCIT et au Festival sur la culture de la jeunesse de Longueuil organisé par le Bureau de Consultation Jeunesse (BCJ).1
« Retranscrire la vie des miens sur fond sonore, c’est ce qui fait l’originalité de nos ceaumor [morceaux]. On dit ce qu’on vit, à la vie, à la mort, avec de la haine, des regrets et beaucoup d’amour. On est fiers de nos quartiers et de nos origines. Et ce n’est pas un contrôle de plus qui nous fera changer de régime. Vert, jaune, rouge. Le français à la black peau amène du lourd car il en faut sur le capot. Je lutte chaque jour pour combattre Babylone, nos différences : une force, car nous ne sommes pas des sous-hommes. Faits de sang et de chair, mis au monde par nos mères, on a des sentiments, même si on est liés à la galère. Quand un pote sort de taule, on parle tranquillement de l’avenir, des problèmes, et ça, calmement. Un frère obtient son diplôme, on fête ça dignement, on croit à la réussite et son enchantement » (extrait d’un texte de hip-hop, composé par Paulo).
Poussés par l’envie de détourner les manques de possibilités de prise de parole pour les jeunes de leur quartier, Paulo, trois autres rappeurs et un DJ lancent Da.Mas, un projet de hip-hop conscient : « on avait des choses à dire et on cherchait un moyen de communication et de diffusion ». Grâce à diverses subventions, le groupe réussit à produire un disque compact qui est bien accueilli, surtout par « une jeunesse qui s’y reconnaît et qui est à l’écoute ». Voulant partager la vitrine qu’ils avaient acquise et créer des lieux d’expression pour des artistes de la relève, les membres de Da.Mas proposent deux émissions de radio, RDH (Radio Du Hip-hop) et 59 minutes.
Plusieurs institutions du Nord-Pas-de-Calais (dont la Mairie de Roubaix, différents centres sociaux et établissements scolaires) sollicitent Da.Mas, intéressées par le succès d’un groupe dont la démarche est axée sur la motivation et la persévérance des jeunes : « ils voulaient inculquer notre art et notre savoir, et présenter les membres du groupement en tant que modèles pour les jeunes générations ». C’est ainsi que le groupe se lance dans le développement d’une pratique d’intervention créative, mettant en place des ateliers d’écriture de textes et de présence scénique, pour des jeunes de 13 à 25 ans. Il va sans dire, la portée musicale de ce projet va de pair avec sa portée sociale et citoyenne.
Tout au long des ateliers, Da.Mas accompagne les participants dans leur progression de façon individuelle et collective : « Au fur et à mesure, on évalue le niveau de la personne et on essaye de mettre une barre juste au-dessus […]. Le travail peut être fait sur l’écriture, sur le flow, la diction, l’articulation ; on adapte les expressions du quartier pour qu’elles soient accessibles à tous ».
La démarche de Da.Mas est ancrée dans la valorisation du vécu des jeunes, revendiquant la nécessité de leur prise de parole, dans une société qui trop souvent ne leur prête pas l’oreille (et que les jeunes refusent souvent d’écouter) : « Toutes nos activités permettent de valoriser le jeune, qui ne sait pas nécessairement comment prendre sa place dans la société. Nous, on fait en sorte qu’il puisse prendre sa place, pour commencer, dans notre groupe. Venir à l’heure, se respecter entre nous… Ensuite, ils comprennent qu’il s’agit des mêmes règles que dans la société ».
Débanaliser les inégalités
L’association Da.Mas souhaite le renversement des préjugés sur le hip-hop, présentant la culture urbaine comme lieu d’expression non-violente : « dès le début, Da.Mas voulait transmettre des valeurs positives, avec un rap accessible pour mieux toucher une vaste population ».
Qui plus est, les choix thématiques des participants sont pour Paulo très révélateurs d’une réalité vécue au quotidien dans leurs quartiers : « en rappant, les jeunes peuvent dire ce qu’ils pensent et ce qu’ils vivent ». En effet, au cœur des sujets proposés se trouvent « les discriminations, les conflits dans la rue, les conditions de vie dans les quartiers, les relations entre des gens de divers statuts sociaux ».
Or, Paulo affirme vouloir débanaliser les impacts concrets des inégalités sociales, surtout auprès de ceux qui en subissent les conséquences : « on peut louer un logement, la salle de bain est défectueuse, il est insalubre, et les gens qui vivent dedans ne se disent pas « tiens, je vais aller me plaindre ». Alors que c’est leur droit ! […]. Nous, justement, on veut communiquer la nécessité d’un réveil, on le fait à travers la culture urbaine ».
L’influence positive qu’exerce l’association sur les jeunes qui suivent les ateliers est palpable. Évoluant dans un milieu qui donne place à la prise de parole et au partage à travers la musique, les participants retrouvent le goût d’apprendre et développent leur intérêt pour la langue écrite et orale : « être rappeur, c’est beaucoup de lecture, c’est apprendre le recul, c’est s’instruire. Parler pour parler, non! C’est parler pour passer le message et il faut être juste dans ce message ». Aussi, grâce aux séances consacrées à la présence sur scène et à l’expérience professionnelle de studio qui couronne les ateliers, les jeunes développent des aptitudes utiles dans le monde professionnel. Leur capacité de faire face aux émotions et au stress est renforcée, ce qui, d’après Paulo, constitue un atout pour le monde du travail – pouvant, par exemple, contribuer à la préparation à un entretien d’embauche.
En terminant son témoignage, Paulo se livre à un exercice de réflexivité et se positionne avant tout en tant qu’éducateur : « On intervient de manière pédagogique. Dans nos ateliers, on fait du rap (ce qu’on aime) et cela permet une transmission des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être ». Mais, avec du recul, il dit réaliser que son rôle dépasse souvent ce cadre : « même si ce n’est pas mon domaine, je me retrouve à orienter des jeunes qui vivent des situations très difficiles. Je les oriente vers les ressources existantes et je les aide à définir leurs projets personnels. On fait un travail de relais, en plus des ateliers ».
L’association Da.Mas propose une activité qui, à première vue, semblerait axée uniquement sur la pratique musicale et scénique. Or, le témoignage de Paulo révèle une intervention innovante et créative, aux impacts multiples. La culture urbaine est vécue et transmise comme une plate-forme d’expression qui permet autant la lutte contre le décrochage scolaire que le développement socioprofessionnel de nombreux jeunes et la promotion de la participation citoyenne.2
Notes
1 : Alex Mc Mahon (musicien et représentant élu des jeunes sur le conseil d’administration du BCJ) explique que cet événement suivait une démarche similaire à celle de Da.Mas : « On voulait mettre de l’avant la créativité des jeunes et éloigner les préjugés qui les accusent de n’apporter rien de positif à la société. Le Festival est organisé entièrement par des jeunes qui ont été ainsi confrontés aux différentes étapes de la coordination d’un événement (relations avec les artistes, les acteurs politiques et les médias, financement). » La culture urbaine est ainsi autant perçue comme espace de parole que de motivation : « Le rap est un moyen d’expression et de revendication qui permet de lutter contre les préjugés et les discriminations. Le rap ouvre un espace de prise de parole inexistant pour beaucoup de jeunes, leur permet de questionner leur place dans la société ». Cet échange ajoute une expérience internationale aux parcours des Français reliés à Da.Mas autant qu’aux jeunes québécois du BCJ.
2 : Nos remerciements à l’association Da.Mas, à César Paulo Massano, à Assia Alouache et à Alex Mc Mahon. Pour plus d’informations sur Da.Mas : www.da-mas.com
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- Carminda MacLorin
- Candidate au doctorat en sciences humaines appliquées, Université de Montréal, Agente de recherche au CREMIS