Faire un pas de côté pour mieux comprendre l’organisation communautaire : regards croisés Montréal-Barcelone   

Cette page fait partie du dossier web du CREMIS « Pratiques d’organisation communautaire ». Elle présente une analyse comparative entre l’organisation communautaire à Montréal et le travail communautaire à Barcelone.

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Contexte et objectifs  

Dans le cadre d’une entente signée en 2015 entre le CREMIS/CCSMTL et l’Université, Jean-Baptiste Leclercq, Marta Llobet Estany1 et Marta Ballester Frago2 vont comparer l’organisation communautaire à Montréal et le travail communautaire à Barcelone afin de dégager les similitudes et différences entre ces deux formes d’intervention collective. Ce dossier web leur permet d’actualiser leurs constats et analyses en collaboration avec Nathalia Guevara Jaramillo.

Par « organisation communautaire », nous entendons un type spécifique d’intervention collective intégré au sein des établissements de santé et de services sociaux au Québec. Ce modèle existe également dans le tiers secteur québécois, le milieu communautaire, mais avec des objectifs distincts, plus centrés sur la défense des droits et le changement politique. Le « travail communautaire » fait ici référence à un type d’intervention collective, pratiqué de manière variable dans les services sociaux à Barcelone, ainsi que dans le cadre des Plans de développement communautaire (PDC) à l’échelle des quartiers. D’autres formes d’interventions collectives, plus diffuses et opérant à l’échelle locale, s’y déploient à la marge des institutions, souvent en lien étroit avec les mouvements sociaux3

L’objectif de cette synthèse est d’explorer les similitudes et les différences entre ces deux formes d’intervention collective, dans des contextes partagés marqués par des enjeux sociaux, politiques et historiques similaires entre les deux villes. Avec ces deux collègues de Barcelone, nous proposons ici une mise à jour de certains constats formulés avant la pandémie. 

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Caractéristiques communes des deux villes  

Montréal et Barcelone partagent des caractéristiques telles que des populations similaires, des compétences régionales en matière de santé et de services sociaux, ainsi que des éléments sociohistoriques et politiques communs, comme un développement tardif de l’État social et un tissu communautaire et associatif dynamique. Ces villes ont également connu un rôle historique de l’Église catholique et un mouvement régional de quête d’autonomie par rapport à l’État central.  

De plus, les deux métropoles sont confrontées à une crise du logement, exacerbée par la spéculation immobilière et la hausse des loyers, qui touche particulièrement les populations les plus vulnérables. La crise postpandémique a amplifié ces défis, mettant en lumière les inégalités sociales et aggravant les conditions de vie de nombreuses communautés déjà fragilisées. 

Évolution de l’organisation communautaire et du travail communautaire  

Ces deux types d’intervention collective ont évolué depuis les années 1960 dans les deux villes. À Montréal, l’intégration des services sociaux et de santé dans un cadre unifié depuis les années 1970 a favorisé une continuité des pratiques d’organisation communautaires. En revanche, à Barcelone, le travail communautaire a été plus intermittent et fragmenté, avec un mandat moins clairement défini, bien que des initiatives aient émergé, notamment à partir de 2007, avec des PDC visant à améliorer les quartiers vulnérables. 

Différences institutionnelles et professionnelles   

Une différence majeure réside dans l’organisation institutionnelle des services. Au Québec, les CLSC et, plus tard, les CISSS-CIUSSS, ont favorisé une institutionnalisation forte des organisateurs et organisatrices communautaires, avec un rôle clairement défini dans la promotion des déterminants sociaux de la santé.  

À Barcelone, la séparation des systèmes de santé et de services sociaux a conduit à une plus grande disparité dans l’organisation du travail communautaire. Depuis 2020, la Generalitat de Catalunya (le gouvernement autonome de la Catalogne) a mis en place une politique publique, les Plans locaux d’action communautaire inclusive (PLACI)4, qui intègre de nouveaux profils professionnels appelés ETAC (équipes techniques d’action communautaire), inspirés du modèle québécois. Ces équipes, bien qu’elles ne fassent pas partie des Centres de services sociaux, sont directement intégrées dans l’administration locale et ont pour mission de promouvoir des pratiques de travail communautaire, tout en luttant contre les facteurs d’exclusion sociale dans le cadre de l’Acció Comunitària Inclusiva (ACI). 

La même année, un nouveau rôle professionnel, les REBEC (pour référents de bien-être émotionnel et communautaire), a émergé dans le système de soins de santé primaires en Catalogne, visant à promouvoir des pratiques d’intervention collectives et des actions de travail communautaire. Ce rôle s’inscrit dans une stratégie institutionnelle en faveur de l’action communautaire en santé5, qui présente des similitudes avec l’approche québécoise des déterminants de la santé.  

Institutionnalisation  

L’institutionnalisation de ces pratiques d’intervention collective a été plus marquée à Montréal, notamment avec la transformation des CLSC en CSSS en 2003. Cela a renforcé l’intégration des OC dans le réseau public. Au cours des 4 à 6 dernières années, il y a eu un réel effort pour institutionnaliser l’action communautaire dans le système de politiques sociales de Barcelone et de Catalogne, bien que les approches varient. À Barcelone, l’ancienne équipe municipale a mis en place un « système communautaire de politiques sociales » en soutenant des projets communautaires dans les centres de services sociaux, sous l’initiative Comunitariament. Cependant, le diagnostic reste que l’approche généraliste persiste, et que les pratiques communautaires sont encore largement déterminées par des initiatives ponctuelles des équipes et de la direction. 

Structuration  

Le RQIIAC en tant que communauté de pratique des OC au Québec a développé, à partir de 2002, un cadre de référence commun et a consolidé la pratique et la profession dans le système public. À Barcelone, le collectif des professionnels du travail communautaire a été créé en 2013. Il ne rassemble pas spécifiquement des professionnel·les de la santé et des services sociaux, mais plutôt des travailleurs·euses communautaire des PDC en Catalogne. Il pourrait s’agir d’un embryon de développement et de consolidation de cette pratique. Aussi, pour donner suite à un diagnostic participatif, la mairie de Barcelone a édité en 2018 un cadre d’intervention communautaire pour ses centres de services sociaux6. En 2022, sur mandat de la Generalitat de Catalunya, Marta Ballester Frago et Clàudia Manyà Aragay ont publié un nouveau cadre de référence pour la pratique communautaire dans les services sociaux, inspiré de ce document et évoluant à la fois sur le plan conceptuel et opérationnel7

Professionnalisation et formation   

Dans les deux contextes, le processus de professionnalisation s’appuie sur la formation universitaire. À Montréal, les OC ont des formations diversifiées, principalement en sciences humaines ou en sciences sociales, et de plus en plus en travail social, avec des spécialisations en intervention collective ou en développement communautaire. Pour la plupart, ils et elles ont acquis une expérience professionnelle préalable dans le milieu communautaire avant de rejoindre le réseau public, qui offre des conditions de travail moins précaires. À Barcelone, bien que les travailleurs·ses sociaux·ales aient historiquement dominé, les éducateurs·trices sociaux·ales ont progressivement gagné en importance dans les projets communautaires, bien que la professionnalisation y soit moins homogène qu’au Québec. 

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Approches différenciées 

À Montréal, l’organisation communautaire, ancrée dans le territoire, adopte une approche collective pour aborder les problèmes sociaux. Elle intervient sur lesdéterminants sociaux de la santé (DSS), tels que le revenu, l’alimentation, l’éducation, le logement, ainsi que l’environnement physique et social. En Catalogne, l’intervention est davantage ciblée sur les besoins spécifiques de chaque quartier, sans toujours aborder les causes profondes des inégalités sociales. Cette distinction dans l’approche explique en partie les différences dans les pratiques d’intervention. 

Évolution du rôle des OC et TC  

À Montréal, le rôle des OC s’est éloigné du travail direct avec la population pour se recentrer sur une fonction plus organisationnelle, centrée sur la « liaison » avec le secteur communautaire. Néanmoins, leur ancrage territorial leur permet de conserver une connaissance approfondie des réalités locales et du tissu communautaire, qu’elles partagent avec d’autres intervenant.es dans des espaces de concertation, comme les tables de quartier. À Barcelone, bien que les professionnel·les des services sociaux soient présent.es dans les quartiers, leur capacité à comprendre et analyser les dynamiques locales est limitée par leur disponibilité, ce qui entrave leur capacité à mobiliser les citoyen·nes et à apporter une réponse collective aux problèmes sociaux. 

Exigences de reddition de comptes et évaluation 

Dans les deux cas, la demande de reddition de comptes a augmenté, mais elle est particulièrement forte à Montréal dans le cadre de la Nouvelle gestion publique (NGP)8. Toutefois, la capacité à y répondre reste limitée. Aussi, dans ces deux contextes, la culture de l’évaluation de l’impact de ces pratiques d’intervention collective reste relativement peu développée. De nombreux aspects qualitatifs de ce type d’intervention, qui nécessitent des outils et du temps pour être correctement évalués, sont ainsi souvent négligés. Cette question demeure donc en suspens dans les deux cas. 

Conclusion 

Cette comparaison entre l’organisation communautaire à Montréal et le travail communautaire à Barcelone met en lumière des trajectoires contrastées, particulièrement en ce qui concerne l’intégration institutionnelle, la professionnalisation et les approches d’intervention. À Montréal, l’institutionnalisation forte des pratiques d’organisation communautaires au sein du système de santé et de services sociaux a permis un ancrage solide et une spécialisation croissante, tandis qu’à Barcelone, les interventions restent fragmentées, avec des structures moins homogènes et une intégration plus faible dans le secteur public. Ce contraste met en évidence l’évolution complexe des États sociaux : alors que le Québec s’oriente vers une intégration progressive et une professionnalisation accrue au sein du secteur public, le modèle catalan demeure plus flexible et décentralisé, avec une diversité d’approches et de structures. Ces dynamiques révèlent également les tensions entre la recherche de performance et les limites de l’évaluation des pratiques d’intervention collective, notamment à Barcelone, où les évaluations sont davantage centrées sur les activités que sur les résultats concrets. 

Pour citer cette page

J.B. Leclercq, M. Ballester Frago, M. Llobet, N. Guevara Jaramillo (2025). Faire un pas de côté pour mieux comprendre l’organisation communautaire : regards croisés Montréal-Barcelone. Dans J.B. Leclercq et N. Guevara Jaramillo, Pratiques d’organisation communautaire [Dossier web].  Montréal: CREMIS, CIUSSS-du-Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Notes

1 Marta Llobet Estany est membre-collaboratrice du CREMIS et Professeure agrégée, Département de travail social et services sociaux, Université de Barcelone. 
Marta Ballester Frago est Professeure lectora, Département de travail social et services sociaux, Université de Barcelone. 

2 Leclercq, J B., & Llobet, M. (2023). La organización comunitaria en Montreal: Funciones, retos e impacto en las desigualdades sociales. Una perspectiva comparada. Revista Alimara, IX Congreso de la Red Española de Política Social (REPS), Panel 6. Políticas sociales, transición ecológica y desigualdades alimentarias, 258-266. https://hdl.handle.net/11201/164949  

3 Leclercq, J.B. (2017). Créativité sociale en temps de crise : Savoirs et engagement dans un centre sociocommunautaire autogéré à Barcelone. Revue du CREMIS, 10(1), 20-28. https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/creativite-sociale-en-temps-de-crise-savoirs-et-engagement-dans-un-centre-sociocommunautaire-autogere-a-barcelone/ 

4 Plans Locals d’Acció Comunitària Inclusiva 

5 https://scientiasalut.gencat.cat/bitstream/handle/11351/9436/estrategia_salut_comunitaria_apic_2023.pdf?sequence=1

6 Manyà, C. y Morales, E. (2018). Marc d’intervenció comunitària als centres de serveis socials de Barcelona. Ajuntament de Barcelona. marc_intervencio_comunitaria_css_bcn.pdf (barcelona.cat)

7 Document de Bases per a un Marc de referència del treball comunitari als serveis socials bàsics

8 Leclercq, J.B. (2019).  Dépasser le cadre normatif pour penser son action en termes d’inégalités sociales – Réflexivité collective d’organisateurs et organisatrices communautaires (Québec). Sciences & Actions Sociales, n° 11 (mis en ligne le 11 juin 2019). https://doi.org/10.3917/sas.011.0008