« Échappatoire de vie » : le sport d’équipe comme levier à l’émancipation

« Je préfère les problèmes de joueurs de basket que les problèmes de la rue. »  (M9)

Cette phrase, en apparence si simple, résume la complexité des expériences de certain-es jeunes étudiant-es athlètes issus-es des quartiers défavorisés. Pour celles et ceux dont les parents n’ont pas un haut niveau de scolarité, qui ont grandi en HLM1 ou en famille d’accueil, qui ont immigré ou qui font partie d’une deuxième génération d’immigration en sol québécois, on oublie parfois que la voie des activités périscolaires2 n’est pas une option qui va de soi.

La probabilité restreinte de faire partie d’une équipe sportive à cause de ressources sociales et matérielles limitées fait en sorte que les choix et les aspirations de ces jeunes se referment, leur donnant ainsi accès à un pouvoir « diminué » sur leur propre vie (Lahire, 2019). Ces activités présentent pourtant plusieurs avantages pour la santé et le développement, en plus d’offrir des opportunités sociales réellement porteuses de sens, comme l’illustre la relation privilégiée entre les entraîneurs-euses et les sportifs-ves, qui peuvent grandement aider à l’épanouissement des jeunes (Pour 3 points, 2017). On pourrait donc considérer les inégalités sociales comme des « murs » qui délimitent les champs de possibilités des jeunes, tout en s’intéressant à la création de « brèches » dans ces murs qui protègent et renforcent les inégalités (McAll, 2017). Dès lors, les loisirs, comme l’activité sportive, ne devraient plus être considérés comme un privilège, mais plutôt comme un outil pour favoriser l’égalité des chances et permettre à des adolescent-es de tendre vers un idéal de vie désirable (Sen, 2000).

Cet article revient sur les principales conclusions de mon mémoire de maîtrise en sociologie3, portant sur l’expérience d’ancien-nes participant-es à un programme d’intervention psychosociale par le sport offrant un accompagnement à des jeunes qui présentent de multiples facteurs de risques liés au décrochage scolaire, à la délinquance ou à l’exclusion sociale.

Cette équipe de basketball œuvre au sein d’une école publique dans un quartier marqué par de fortes disparités socioéconomiques à Montréal. Elle a toutefois la chance de travailler en étroite collaboration avec le CIUSSS4 de son quartier et le CREMIS5. Cet accompagnement implique la production de travaux de recherche. L’une de ces enquêtes suggère qu’à travers les activités et les expériences vécues au sein de cette équipe sportive, notamment le fait de retrouver un pouvoir décisionnel et d’être valorisé-es dans leurs prises de décisions concernant leurs objectifs et leur avenir, les participant-es développent des habiletés de vie dites « prosociales», comme la capacité de prendre des décisions collectives et inclusives. Un transfert de ces habiletés s’effectuerait même à d’autres sphères de leur vie, entre autres au sein de leurs communautés d’appartenance. Des témoignages illustrent d’ailleurs une volonté d’aider et d’influencer positivement leurs communautés respectives à l’aide d’actions concrètes, ce qui renforce l’idée que ce type de programme contribuerait favorablement au développement des jeunes en tant qu’« acteurs positifs de changement » et de « citoyens productifs » (Simard, Laberge, et Dusseault, 2014).

La multitude de facteurs restreignants qu’engendrent les inégalités sociales balise les aspirations comme celles de faire partie d’une équipe de basketball au secondaire ou de suivre des études postsecondaires. Le principe de parité de participation (Fraser, 2004) offre toutefois des pistes de solutions concrètes donnant les moyens aux personnes de pleinement participer aux activités qu’ils et elles valorisent, et d’« interagir avec les autres en tant que pairs » (Fraser, 2004, p. 7), en toute égalité. C’est une perspective utile dans un contexte où « les inégalités matérielles s’accentuent, tant sur le plan des revenus et de la propriété, que sur le plan de l’accès à l’éducation ou aux loisirs » (Fraser, 2004,p14). Selon cette idée, pour surmonter ces obstacles, deux conditions sont nécessaires : la redistribution et la reconnaissance qui, ensemble, favorisent la pleine participation.

Je me suis inspiré d’une approche globale (McAll, Fournier et Godrie, 2014) pour étudier ce principe, en abordant la réalité et les expériences des participant-es à travers cinq dimensions interreliées : les conditions matérielles de vie, l’insertion ou non dans des relations sociales, les conditions de santé mentale et physique, le pouvoir de décision et la manière dont les personnes peuvent se projeter dans le temps présent et dans l’avenir, tout en vivant avec leur passé. Cette approche est utile afin de s’interroger sur la conception du « bien-être » chez les populations souvent exclues ou discriminées, en essayant, dans la mesure du possible, de « saisir la personne dans sa globalité », selon différentes dimensions de sa vie.

En plus de représenter une « échappatoire » de vie pour certain-es, ce programme offre des opportunités matérielles et sociales considérables, qui contribuent au bien-être et au cheminement des répondant-es. Dans cet article, nous nous pencherons plus particulièrement sur la question du sens qu’a pris le sport dans la vie de ces personnes, des opportunités qui se sont présentées à elles et eux en termes de redistribution matérielle et d’inclusion, ainsi qu’au rôle que peut jouer la pratique sportive pour favoriser l’égalité des chances.

Démarche d’enquête

L’objectif général de ce projet de recherche était de répondre aux questions suivantes : quelles ont été, selon les participant-es, les conséquences de leur participation au programme en termes de possibilités d’action, de rapports sociaux et d’intégration, de reconnaissance et d’opportunités? Et quels sont les effets à court terme de leur participation à un programme d’intervention psychosociale par le sport sur leurs aspirations de vie et leurs réalisations?

Pour analyser les effets à court et moyen terme de ce programme, j’ai rencontré 15 personnes (5 filles et 10 garçons)6, âgées de 18 à 33 ans, afin de reconstituer leurs parcours et comprendre leurs expériences. Notons que certain-es d’entre elles et eux ont pris part au programme il y a une dizaine d’années, alors que d’autres viennent de le quitter. Les participant-es ont des profils variés, ils et elles ne sont pas toujours issu-es de milieux défavorisés, à risque de décrochage scolaire, de délinquance ou d’exclusion.

Je suis entré en contact avec ces personnes à l’aide du coordonnateur du programme, qui m’a donné une liste d’ancien-nes participant-es ayant manifesté leur intérêt par le biais d’une publication sur les réseaux sociaux. Bien que le fait qu’ils et elles acceptent de participer à cette enquête pourrait porter à croire qu’ils et elles aient tous et toutes connu une expérience généralement positive, j’ai pu constater que ce n’était pas toujours le cas.

Contrat d’équipe

Le programme étudié est armé d’un fort soutien collectif, qui permet d’offrir près de 90 suivis personnalisés par année. Plusieurs bénévoles ainsi que vingt intervenant-es, dont quatre travailleurs-euses sociaux-ales, interviennent tant au niveau individuel (ou auprès de la famille des jeunes), qu’au niveau communautaire, selon une approche articulée autour des dimensions scolaires, sportives et sociales. Les intervenant-es tirent également profit de la mixité sociale au sein des équipes, en utilisant le groupe comme outil d’intervention. Ils et elles créent ensemble un contrat d’équipe qui pose des règles et des objectifs communs, et déterminent les moyens d’atteindre ces objectifs, ainsi que les conséquences en cas de non-respect de ces règles.

Les participant-es au programme disposent ainsi d’un espace d’autonomie, de délibération et de création pour construire ensemble la culture de leurs groupes, prendre la parole pour s’influencer les un-es et les autres, ou exprimer leur mécontentement envers leurs co-équipiers-ères. Ceci représente une importante différence par rapport à un programme sportif typique, où ce sont généralement les entraîneurs-euses qui décident des orientations et des objectifs de leurs équipes respectives.

En demeurant ouverts à tous-tes les étudiant-es de l’école secondaire, les critères de sélection de ce programme ne se réduisent pas aux aptitudes sportives ou à la qualité des résultats scolaires. Il est davantage question d’un engagement au respect des valeurs du programme, ainsi qu’au contrat d’équipe que les athlètes et les entraîneurs-euses établissent ensemble. Ces jeunes sont donc conscient-es de ce qu’il faut faire pour avoir le droit de jouer au basketball, une activité qui pour certain-es représente « vraiment un jouet »7, auquel ils et elles tiennent.

Le sens du sport

En comparant les expériences, on comprend que le sens pris par le sport dans la vie des participant-es a varié dans le temps. Par exemple, pour certain-es, le basketball était à l’origine un « passe-temps », une façon d’avoir du plaisir entre ami-es. Avec le temps, pour la majorité d’entre elles et eux, un esprit de compétition s’est développé, leur permettant de se faire recruter par des équipes civiles ou collégiales. Mais pour d’autres, ce sport revêt un sens bien plus large.

« Je voyais que je servais à quelque chose. J’étais grand puis on me donnait beaucoup d’attention. […] Je ne comprenais pas, j’avais pas l’expérience, mais j’étais bon pour prendre les rebonds, puis donner des blocs. […] Je peux faire des affaires bien, on crie parce que je fais des bonnes choses. » (M6)

La pratique du basketball a permis à ce participant, qui n’avait jamais pratiqué ce sport avant ses 16 ans, qui a traversé plusieurs déracinements d’école, des déménagements, des allers-retours entre le Québec et son pays natal en Afrique centrale, de trouver sa place et d’avoir le sentiment de servir à quelque chose. De manière générale, les participant-es considèrent cette expérience sportive comme étant un espace d’« apprentissage ». Même si, parfois, ils et elles font « des bêtises », les interventions personnalisées des entraîneurs-euses et leur motivation à s’améliorer dans le sport et à l’école font en sorte qu’ils et elles n’ont « pas reculé », tout en tirant des « leçons » qui dépassent la pratique du sport, car c’est plus « deep8 », pour reprendre les mots d’un participant.

« Sur le terrain, c’était comme une échappatoire. Personne ne les forçait à jouer au basket. On voulait jouer au basket. C’est ce qui a poussé certains joueurs à se forcer à s’améliorer en classe pour pouvoir rester dans l’équipe. » (M7)

Comme l’explique ce participant, l’engagement des jeunes à respecter les valeurs de l’équipe implique des efforts constants en classe, pour s’améliorer. Il nous introduit aussi à la métaphore de l’« échappatoire », cette idée que leur participation au programme leur offre un espace permettant d’affronter les défis rencontrés à l’adolescence. L’expression d’échappatoire (ou celle de « safe space »9) est centrale à cette recherche, car elle désigne le sens qu’a pris le sport dans la vie de plusieurs participant-es, dont les récits mettent en lumière la contribution importante et généralement positive de cette expérience dans leur quotidien.

Ouvrir les champs des possibles

« Moi, j’ai des souvenirs de seulement 2 ans au secondaire et ce n’était pas très glorieux. Ça m’a quand même fait continuer au cégep […]. Ils sont commandités, c’est des champions, tu peux faire Team Québec. Ils reçoivent des bourses, je veux dire, ils sont mis de l’avant. En plus, le coach peut t’aider dans la vie si tu as des problèmes » (M8).

Ce participant nous introduit à la redistribution matérielle et sociale, correspondant à une des deux conditions nécessaires au principe de la « parité de participation ». On parle ici d’un moyen concret pour surmonter les barrières, afin d’accéder pleinement à une expérience sportive dans un cadre scolaire.

« Ça ne nous coûtait rien » (F5). Pour faire du sport, il faut d’abord pouvoir payer les frais d’inscription et se procurer du matériel de qualité. Pour un coût moindre qu’en magasin, le programme offre aux participant-es « des souliers, le sac de sport et l’uniforme au complet », ce qui fait une différence pour certain-es participant-es qui n’auraient pas « pu jouer » autrement. Des repas d’équipe sont également fournis avant les matchs, et certain-es participant-es ont bénéficié d’un soutien alimentaire sous forme de dons à rapporter à la maison, ou de « cartes de la cafétéria » remplies. Des participant-es ont aussi expliqué qu’on leur avait offert de « petits emplois » au sein de l’école pour amasser de l’argent de poche, sans oublier les bourses d’études remises par le programme à la fin des parcours à l’école secondaire.

La redistribution n’est pas que matérielle, elle se fait également sous la forme de ressources sociales, notamment apportées par le double chapeau des entraîneur-euses qui tiennent aussi le rôle d’intervenant-es psychosociaux-ales.

« [Un entraîneur] a été mon travailleur social vu que j’avais beaucoup de problèmes de famille et j’avais compris pour moi que c’était important d’avoir du suivi. […] Donc, le basket m’a donné accès à un travailleur social. » (F2)

Le fait d’avoir accès à un suivi à l’adolescence a été souligné par plusieurs participant-es comme un apport positif du programme. Même après avoir quitté leur équipe, plus de la moitié des participant-es est revenue chercher un soutien auprès des intervenant-es, sous forme d’écoute, de conseils ou d’un coup de pouce pour se sortir de situations complexes. Par exemple, une participante, mère monoparentale dans une situation précaire, a contacté son ancien entraîneur du secondaire qui l’a redirigée vers une intervenante en CLSC10 : « C’est une psychologue ou une travailleuse sociale, je pense, qui me suivait. Elle connaissait un organisme. Elle m’a donné l’information, j’ai appliqué. Ç’a pris un an et demi pour avoir ma place, mais j’ai eu ma place » (F2). On lui a trouvé un appartement subventionné, son enfant a obtenu une place en CPE11 et elle a pu bénéficier d’un suivi psychosocial, en plus d’être embauchée comme entraîneuse au sein de son ancien programme de basketball, l’aidant ainsi à continuer ses études vers les cycles supérieurs et à ne « pas stresser » devant sa situation complexe.

Avoir sa gang

« L’aspect avec [ce programme de basketball], c’était le relationnel. J’ai vraiment aimé comment on nous a développé dans ce sens-là, de vraiment se supporter les uns, les autres. […] J’ai remarqué aussi qu’il y a beaucoup de gens qui ont des difficultés comme moi-même. » (M6)

L’approche basée sur la considération des réalités vécues par les participant-es et les intérêts communs liés au basketball leur ont permis de se sentir écouté-es, compris-es et important-es pour leur équipe. Ceci nous amène alors à une seconde condition énoncée par Fraser pour atteindre une parité de participation : la reconnaissance.

Plusieurs ont abordé cette « famille » où l’on se comprend mutuellement, qui représente « une gang » au sein de laquelle ils et elles bâtissent des relations de confiance. Le fait de « vivre des situations semblables », d’être « tous ensemble à essayer de s’en sortir » et d’« essayer d’avoir un diplôme, de se faire recruter à l’autre niveau » unit les participant-es et contribue à développer un sentiment d’appartenance au groupe. Leur comportement social est alors affecté par l’influence de ce groupe. Plusieurs participant-es ont par exemple expliqué ne plus avoir eu besoin que les entraîneurs-euses leur rappellent d’étudier, car ils et elles avaient cette responsabilité mutuelle, les amenant à former des groupes d’étude pour aller à la bibliothèque et à solliciter des plus âgé-es pour les « aider ».

Cherchant par ailleurs à « avoir une meilleure image » auprès des autres, certain-es coéquipiers-ères expriment par exemple leurs désapprobations au regard de certains comportements de leurs pairs, qui portent atteinte aux valeurs, aux normes et à l’image du groupe. Cette image, ils et elles veulent la rendre glorieuse. Plusieurs participant-es ont expliqué que dans le quartier, à l’école et sur les autres terrains sportifs, la stigmatisation pèse parfois lourdement, se manifestant sous forme d’insultes, de préjugés ou même de comportements nonchalants de la part d’enseignant-es. Tentant alors de « ne pas faire trop de stupidités », ils et elles mettent de l’avant le « respect », nécessaire auprès du personnel scolaire, des arbitres, des entraîneurs-euses et des équipes adverses.

« [Mon entraîneur] connaissait mon milieu, il savait. Il connaissait nos profils, il savait ce qu’on faisait en dehors » (M5). Comme l’explique ce participant, la reconnaissance émane également des entraîneurs-euses, sensibles aux réalités des jeunes. Des participant-es confient, par exemple, que leur contexte de vie leur apportait parfois un sentiment de stress au quotidien et que, dans leur quartier, des dangers pouvaient les guetter, comme celui de se « faire tirer », de « prendre une balle perdue » ou de finir avec un « casier judiciaire ». Ainsi, il était parfois préférable de garder ces étudiant-es « sur le terrain » et de leur rappeler qu’on avait « besoin » d’elles et eux « lundi », assurant alors aux personnes concernées la présence et le soutien d’adultes au sein de l’école. La reconnaissance au regard des situations parfois dangereuses dans lesquelles peuvent se retrouver certain-es de ces jeunes leur offre ainsi un sentiment de protection, permettant parfois d’amoindrir certaines conséquences de leurs actes. Par exemple, un participant raconte qu’après une altercation policière, on l’a « déposé » à son école au lieu de le conduire au « poste », et on lui aurait expliqué qu’« avant d’avoir des vrais problèmes », il serait préférable qu’il « parle avec [son entraîneur] ».

Ce sentiment d’avoir une gang, d’avoir de la reconnaissance de leurs coéquipier-ères et de leurs entraîneurs-euses, est venu s’ajouter à la redistribution sociale et matérielle, consolidant ainsi la réussite scolaire du groupe et incitant les jeunes plus à risque d’aller vers la délinquance à s’éloigner de la rue.

Sport et égalité des chances 

Pour ne donner que quelques exemples de leurs trajectoires, plusieurs sont devenu-es des entraîneurs-euses à leur tour, d’autres ont continué leurs études vers les cycles supérieurs et d’autres encore sont devenu-es des entrepreneurs-euses sociaux-ales, par exemple en produisant de la musique afin de pousser les jeunes à s’exprimer. En bref, plusieurs d’entre elles et eux tentent, à leur tour, d’aider les autres.

En nous appuyant sur le principe de la parité de participation, on comprend que ce programme a offert aux participant-es une activité plaisante, parfois une échappatoire ou un espace d’apprentissage. Mais c’est en surmontant des barrières sociales et matérielles, et en développant le sentiment de faire partie d’une gang ou d’une famille, que ces jeunes ont senti qu’on les reconnaissait à leur juste valeur et qu’ils et elles ont pu prendre pleinement part à cette activité sportive.

Une lecture selon l’approche globale nous oblige toutefois à considérer la nuance dans ces expériences. Entre autres, trois participant-es (sur quinze) n’ont pas parlé de l’inclusion à cette équipe comme étant uniquement positive. Deux d’entre elles et eux se sont même sentis exclus. Ils ont expliqué qu’ils n’apportaient pas le même degré de priorité à leur pratique du basketball que leurs coéquipiers-ères, qu’ils n’avaient pas le sentiment de représenter le public cible du programme, car ils ne présentaient pas de retard scolaire ou de trouble du comportement et qu’ils avaient une condition familiale et socioéconomique plus stable que les autres. La troisième participante a été renvoyée de l’école secondaire, et ainsi privée de jouer pour l’équipe, à cause d’agissements problématiques récurrents et de situations de vols.

Des défis se sont également présentés après que les participant-es ont quitté le programme et obtenu leurs diplômes. Cette transition, qui demande son lot d’adaptation à toutes et tous les étudiant-es, n’a pas été facile, particulièrement entre l’école secondaire et le cégep. Entre autres, certain-es participant-es ont continué à avoir des difficultés scolaires, financières ou psychosociales. La majorité des participant-es ont reçu des bourses d’études, contribuant parfois à une stabilisation économique en les aidant à payer les frais scolaires après le secondaire. Toutefois, certain-es participant-es pour qui ces bourses n’étaient pas assez élevées ont dû sacrifier leur temps libre, incluant souvent la pratique du sport, pour travailler durant leurs études postsecondaires.

Plusieurs participant-es ont également vécu de grandes difficultés après avoir été autant encadré-es au secondaire. Certain-es ont parlé de complications scolaires, d’autres ont témoigné de relations sociales parfois moins positives qu’au sein de leur équipe de basketball. Plusieurs participant-es ont par ailleurs accédé à des programmes sportifs très compétitifs, allant même jusqu’à la NCAA12, sans que l’on se soucie autant de leur développement. Face à cette multitude de défis, ils et elles ont dû trouver des moyens de s’adapter à ces nouvelles réalités et de négocier avec ces contraintes sociales qui faisaient partie de leurs vies.

Malgré ces complexités, cette recherche souligne des apports positifs de ce programme en termes d’opportunités matérielles et sociales, voire de redistribution et d’inclusion. Dans le contexte de ségrégation scolaire qui caractérise le système d’éducation québécois, ce programme offre aux jeunes un espace de parité de participation et favorise la possibilité de tendre vers une vie qui fait sens pour elles et eux. Dans les faits, l’influence positive de leur équipe au secondaire, ainsi que le soutien de leurs entraîneurs-euses, a servi de tremplin leur permettant de s’inscrire différemment dans le monde social.

Cette expérience vécue à l’école secondaire a finalement ouvert des portes dans un monde qui semblait assez fermé — un constat significatif — et offre une réflexion sur la place du sport comme outil pour favoriser l’égalité des chances. Dans d’autres situations, et au sein d’autres programmes, il aurait pu être question de théâtre ou d’art visuel, pourvu que l’activité en question suscite l’intérêt et permette de rejoindre les étudiant-es. Ici, les protagonistes se sont tourné-es vers la pratique du sport à la fois comme ancrage au sein d’une communauté, et comme piste de décollage vers de nouvelles opportunités.

Notes

  1. Habitation à loyer modique.
  2. Une activité complémentaire à l’enseignement scolaire.
  3. Sous la direction de Christopher McAll et de Fahimeh Darchinian. Lavoie, J. (2022). « Échappatoires de vie » : l’intervention psychosociale par le sport en milieu scolaire. Mémoire de maîtrise en sociologie. Université de Montréal. https://doi.org/1866/28199
  4. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux.
  5. Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté.
  6. Ce choix vient de la proportion d’équipes féminines et masculines au sein du programme qui est de 1 pour 3.
  7. Dans le sens que pour elles et eux, le sport est un jeu auquel ils tiennent particulièrement.
  8. Le participant utilise le terme deep pour expliquer que la pratique du basketball allait au-delà des activités sportives et du développement de compétences sportives, car il a l’impression que son expérience sportive a favorisé son développement global à l’adolescence et que ce qu’il a appris dans le sport était toujours utile dans sa vie en général.
  9. L’expression safe space a aussi été utilisée par des participant-es, sans que ce soit un équivalant direct avec cette d’échappatoire, elle relève d’un espace où les répondant-es se sentent bien, à l’écart des autres sphères de leur vie.
  10. Centre local de services communautaires.
  11. Centre de la petite enfance.
  12. La National Collegiate Athletic Association regroupe les meilleures équipes sportives pour les étudiant-es en Amérique du Nord.

Références

Fraser, N. (2004). Justice sociale, redistribution et reconnaissance. Revue du MAUSS, 23(1), 152-164. https://doi.org/10.3917/rdm.023.0152

Lahire, B. (2019). Enfances de classe. Éditions du Seuil.

McAll, C. (2017). Des brèches dans le mur : inégalités sociales, sociologie et savoirs d’expérience. Sociologie et sociétés, 49(1), 89-117. https://doi.org/10.7202/1042807ar

McAll, C., Fournier, A., et Godrie, B. (2014). Vivre et survivre à domicile : le bien-être en cinq dimensions. Revue du CREMIS, 7(2), 4-8. https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/vivre-et-survivre-a-domicile-le-bien-etre-en-cinq-dimensions/

Pour 3 points. (2017). Première cohorte de coachs P3P. Un coup d’envoi vers la réussite. Rapport d’évaluation du programme de formation de Pour 3 Points. https://pour3points.ca/wp-content/uploads/2018/12/2017-02-15-Rapport-%C3%A9valuation-impact-P3P-2017.pdf

Sen, A. (2000). Repenser l’inégalité. Éditions du Seuil.

Simard, S., Laberge, S., et Dusseault, M. (2014). Le processus de transfert aux autres sphères d’activités, d’habileté de vie développées en contexte sportif. https://lereseau.co/storage/75/dossier_bdmb_transfert_document_synthse_simard.pdf