Créativité et alliance thérapeutique : des pratiques à mettre en lumière pour mieux saisir l’accompagnement social en itinérance dans le milieu institutionnel 

Quelle que soit la manière dont on aborde la profession du travail social, l’aspect relationnel en est un élément incontournable (Alexander et Charles, 2009; Pouteyo, 2012). Ceci apparaît d’autant plus vrai dans un contexte d’intervention auprès de personnes en situation d’itinérance. En effet, l’itinérance est conçue comme un phénomène complexe et multifactoriel (Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), 2022; Bergheul, 2015) qui serait entre autres provoqué par des ruptures relationnelles (Poirier et al., 2000; Echenberg et Jensen, 2009). Ces ruptures relationnelles sont à comprendre tant à un niveau microsociologique, comme une séparation, un deuil, ou une fuite du domicile, que macrosociologique, par la stigmatisation, l’exclusion et la désaffiliation sociale que l’itinérance sous-tend (Poirier et al., 2000; MacDonald et al., 2020). Plusieurs recherches soulignent le rôle bénéfique que peut jouer une relation solide et mutuelle avec les intervenant-es sur ces ruptures et leurs possibles effets (Alexander, 2013; Hurtubise et al., 2020). 

Cet article présente des réflexions issues à la fois de ma pratique professionnelle des dix dernières années en tant que travailleuse sociale dans le Réseau de la santé et des services sociaux du Québec (RSSS) auprès de personnes vivant une situation d’itinérance1, et d’une revue de la littérature réalisée dans le cadre de ma recherche doctorale encore en cours2. Ma recherche explorant la relation entre les travailleurs-euses sociaux-ales et les usagers-ères sous l’angle de l’alliance thérapeutique3, j’ai également recensé les écrits entourant cette notion.

Si l’alliance thérapeutique était auparavant l’apanage de la psychologie, sa pertinence dans la pratique du travail social fait maintenant consensus et de plus en plus d’études démontrent que le niveau de qualité de cette alliance est l’un des plus importants prédicteurs de l’atteinte avec succès des objectifs déterminés en suivi, et ce, peu importe la discipline d’intervention (Bordin, 1994; Alexander, 2013).  

Alliance thérapeutique

Selon le récent Guide des bonnes pratiques pour l’accompagnement social en itinérance, co-rédigé par Hurtubise et al. (2020), l’intervenant-e doit « créer un “espace relationnel” où la personne se sent accueillie, respectée, en confiance et sait qu’elle conserve toute son autonomie » (Hurtubise et al., 2020, p.4), afin de « contribuer à réparer les relations d’exclusion dans lesquelles se sont longtemps inscrites les personnes desservies » (Hurtubise et Rose, 2013, 262). Travailler en « collaboration avec la personne » et adopter une attitude qui soit authentique et transparente s’avèrent des outils précieux pour bâtir cette relation significative (Hurtubise et al., 2020, p.2).  

Cet espace relationnel nous amène à la notion d’alliance thérapeutique, qui comporte deux aspects centraux : la collaboration dans un rapport mutuel et l’attachement interpersonnel entre le ou la professionnel-le et la personne accompagnée (Hervé et al., 2008). La dimension mutuelle de ce rapport mérite qu’on s’y attarde, à la fois parce qu’elle constitue l’alliance thérapeutique, mais aussi parce qu’elle la favorise. Selon Sennet (2003), contrairement au don qui se fait sans aucune attente en retour, la notion de mutualité implique un échange. Cet échange permet de valoriser la différence et l’expérience singulière des personnes impliquées et de reconnaître leur autonomie, c’est-à-dire la reconnaissance de l’autre comme étant « non-moi » et comme ayant une « vitalité et une réalité qui lui est propre » (Winnicott, 1975, p.34). En d’autres termes, il s’agit de donner à chacune des personnes impliquées un certain pouvoir sur l’échange qui se crée entre elles, dans une relation mutuelle et asymétrique, plutôt qu’inégale. 

Il y a aussi une dimension indéniablement affective dans l’alliance thérapeutique de par l’autre élément la composant, l’attachement interpersonnel, qui se fonde sur « la confiance, la sollicitude et l’engagement » et « couvre l’extension selon laquelle l’intervenant devient une personne significative et un objet chargé d’émotions pour le client, et le fait que le client sent que l’intervenant s’engage et se préoccupe de lui » (Baillargeon et Puskas, 2013, p.4). 

Toutefois, la littérature soulève plusieurs obstacles à l’établissement de l’alliance thérapeutique et à la mutualité dans cette relation (Alexander, 2013; Hughes, 2017; Côté et al., 2020), dont j’ai également pu être témoin au cours de ma pratique professionnelle dans le RSSS, auprès de personnes ayant vécu une situation d’itinérance. 

Rigidités institutionnelles 

D’emblée, force est d’admettre que de créer un lien de confiance avec des personnes qui ont été marginalisées, stigmatisées, et ont vécu des ruptures à de multiples niveaux, n’est souvent pas chose simple. Thorpe (2018) souligne d’ailleurs qu’une identité stigmatisée « peut conduire les individus à s’auto-exclure de certaines relations ou situations, en cherchant à minimiser et à gérer les dommages causés à leur identité et à leur personnalité4 » (p.67). En ce sens, l’attachement interpersonnel entre le ou la professionnel-le et la personne suivie (« the bond », selon Bordin, 1983, p.36), notamment, peut être difficile à instaurer lorsque cette dernière a dû faire face à ces nombreuses ruptures par le passé. Cet attachement vient confronter la vision classique de l’intervention, fondée sur l’objectivité clinique et la distance professionnelle (Alexander, 2013), et soulève la question de la place des émotions dans la création de l’alliance thérapeutique, une notion encore marginale dans le vocabulaire du travail social (Grimard et al., 2021). Tel que le soulèvent Alexander et Charles (2009, p.7), selon plusieurs auteurs-trices, encourager la place des émotions en intervention pourrait favoriser une « relation double » (par exemple, une relation à la fois professionnelle et amicale). Parmi ces auteurs-trices, certain-es voient cela comme bénéfique pour une prise de décision concertée entre travailleur-euse social-e et personne suivie, permettant également de normaliser et d’humaniser la relation. D’autres, au contraire, mettent l’accent sur les risques que comporte l’assouplissement des limites du rapport professionnel, ouvrant la porte à de possibles abus dans la relation toujours inégale entre intervenant-es et personne suivie (Alexander et Charles, 2009, p.7). Par ailleurs, comment arrimer, d’une part, la mutualité dans la relation et, d’autre part, la reconnaissance du savoir de l’expert-e que l’on vient consulter pour une raison précise et afin « de rassurer, de calmer les incertitudes, de faire disparaître les ambivalences » (Parazelli, 2015, p.35)? À cela, s’ajoutent les transformations que connait le RSSS depuis les années 2000, avec la mise en place de la Nouvelle gestion publique. Celle-ci a des impacts considérables sur la relation entre professionnel-les et usagers-ères et, par conséquent, sur l’établissement de l’alliance thérapeutique. Ce modèle de gestion étatique, centré sur l’efficience des services, vise la rentabilité des interventions (Bourque, 2009). Il met de l’avant « les approches médicale et administrative au détriment de l’élément essentiel de toute intervention, soit la relation entre le professionnel et l’usager » (Bourque, 2009, p.10). En ayant pour objectif le rendement statistique et le roulement des usagers-ères, ce modèle ne favoriserait donc pas la création d’une relation profonde entre travailleurs-euses sociaux-ales et usagers-ères (Hugh, 2017), mais plutôt des services qui ciblent des besoins à court terme et qui ne considèrent pas la personne suivie dans sa globalité (Côté, 2012; Ruch, 2012). 

Plusieurs tensions émergent de ce contexte de pratique, et sont ressenties par les travailleurs-euses sociaux-ales et les personnes en situation d’itinérance. D’une part, les professionnel-les expriment un sentiment d’être dépossédé-es de leur pratique, un désenchantement, voire une « crise identitaire professionnelle » (Bourque et al., 2019; Parazelli, 2015; Creux, 2006), leur travail devenant impersonnel et instrumental (Hugh, 2017). D’autre part, cette manière de classer, voire d’étiqueter les usagers-ères dans une optique d’efficacité donne aux institutions de soins un rôle d’ancrage de l’identité marginale et de la dépendance aux services des personnes qui vivent de l’itinérance, plutôt qu’un rôle de support à leur intégration sociale (Doucet, 2013; Zwick et Grimard, 2016).  

La créativité pour naviguer 

Dans ce contexte, qui ne favorise pas toujours l’autonomie de l’intervenant-e et de la personne suivie5, et par conséquent l’instauration d’un rapport d’échange mutuel dans le cadre d’une alliance thérapeutique, les acteurs-trices doivent faire preuve de créativité (Côté et al., 2020). Tout en me référant à la littérature, je me rapprocherai ici de ma posture d’intervenante pour parler de cette créativité comme un moyen possible pour les intervenant-es de naviguer dans le cadre proposé par le réseau de la santé, tout en permettant la valorisation de l’attachement unique qui se tisse entre travailleur-euse social-e et personne en situation d’itinérance. 

La notion de créativité est complexe. La définition proposée par Winnicott (1975) fait référence à de multiples pratiques, et la considère comme « la coloration de toute attitude face à la réalité extérieure » (p.27). Ce « monde créatif » donne à la personne « le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue; ce qui s’oppose à un tel mode de perception, c’est la relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure » (1975, p.27). En adoptant une posture créative, en singularisant leurs pratiques et modes d’intervention, les intervenant-es réagissent donc à leur sentiment de perte d’autonomie et s’y opposent en se distanciant volontairement de certaines normes imposées.  

Un des premiers éléments mis de l’avant par les intervenant-es dans leur effort pour créer des liens avec les usagers-ères, est de laisser plus de place aux émotions dans la relation professionnelle. La notion de care fait en ce sens référence à la fois au soin, comme activité, et au souci de l’autre, comme attitude et disposition (Gonin et al., 2013, p.87). Cette approche postule qu’on ne peut intervenir adéquatement auprès d’autrui sans comprendre profondément son expérience (Hughes, 2017). Adopter des pratiques professionnelles en adéquation avec la notion de care apparaît ainsi comme un moyen de défier la Nouvelle gestion publique en se concentrant sur le bien-être des gens plutôt que sur les finances de l’État (FitzGerald, 2020).  

Il existe également toutes sortes de pratiques silencieuses, délinquantes, souples, cachées, moins souvent mises en lumière, mais bien présentes dans le travail des intervenant-es (Côté et al., 2020). Ces pratiques visent à contourner les rigidités qui créent une dissonance et un inconfort chez les intervenant-es, pour se rapprocher davantage d’une intervention qui correspond à leurs valeurs profondes de travail. Elles mobilisent les savoirs tacites et expérientiels des intervenant-es, leurs compétences relationnelles et leurs forces personnelles (Ramirez et Prada, 2007).  

Je me permets ici de présenter ma compréhension de ce que sont ces pratiques silencieuses et de les illustrer à travers des exemples tirés de ma pratique. Prenons comme premier exemple le travail de proximité. Cette forme de pratique, aussi appelée outreach, consiste à aller vers les personnes pour les rencontrer dans leurs milieux de vie, plutôt qu’au sein des institutions de services, et de s’ajuster à leurs contextes de vie plutôt que de leur demander de s’adapter au cadre des établissements de soin (Denoncourt et al., 2000).  

Si le travail de proximité est une pratique à la fois de plus en plus valorisée auprès de différentes communautés desservies par les services, et intégrée au mandat de plusieurs équipes d’intervention en itinérance dans le réseau de la santé (Hurtubise et Babin, 2010), certaines pratiques silencieuses peuvent pousser plus loin, à des fins cliniques et thérapeutiques, cette incursion dans le milieu de vie et le quotidien intime des personnes. Par exemple, l’isolement social d’une personne peut parfois être tel que des animaux de compagnie jouent pour elles le rôle de membre de la famille. Par inquiétude pour ce compagnon de vie, une personne peut alors être très réticente à recevoir des soins de longue durée, comme une hospitalisation ou une thérapie pour une dépendance à une substance, même s’ils s’avèrent parfois nécessaires. Pour éviter que la situation ne se détériore, l’intervenant-e peut alors avoir à se porter garant-e de nourrir les animaux de la personne suivie le temps qu’elle reçoive les soins dont elle a besoin. Les intervenant-es peuvent également aller aider une personne à faire le tri dans ses effets personnels pour désencombrer son logement. Il n’est certainement pas dans la description de tâches des travailleurs-euses sociaux-ales de faire des boîtes et du tri d’objets, mais dans un contexte où la personne n’a pas accès à un tel service et où cette intervention ponctuelle lui permettrait de ne pas être évincée de chez elle, il n’est pas rare que de telles pratiques audacieuses aient cours, sans qu’on ne les ébruite. 

Un autre exemple de pratique, de plus en plus documentée et reconnue, mais qui peut correspondre à des interventions cachées dans de multiples contextes de relation thérapeutique, est celui de l’approche de réduction des méfaits. Essentiellement, celle-ci vise la diminution des conséquences néfastes liées à certains comportements. Cette approche « ne cherche pas d’emblée à réduire ou éliminer » les comportements, mais « prône plutôt une série d’objectifs hiérarchisés visant à régler les problèmes les plus urgents d’abord […]. Ceci permet de rejoindre les personnes les plus vulnérables et d’établir un lien de confiance qui peut faire toute la différence » (Association des Intervenants en Dépendance du Québec (AIDQ), s.d). Si les services de prescription de méthadone, notamment, semblent maintenant bien intégrés et reconnus dans le réseau de la santé et des services sociaux et s’appuient ouvertement sur l’approche réduction des méfaits, l’accompagnement au quotidien de la part d’intervenant-es de proximité pour gérer d’autres formes de consommation demeure encore marginale. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un-e intervenant-e qui, suite à une entente avec la personne accompagnée, aurait accès au compte de banque de celle-ci afin de lui acheter une certaine dose quotidienne de bière, et travailler ainsi de manière extrêmement serrée et personnalisée à sa réduction d’alcool. 

Ces exemples montrent une posture qui confronte les normes imposées, une reprise de possession de son autonomie, et rappellent donc une attitude spécifique face au monde extérieur, à laquelle fait allusion Winnicott lorsqu’il parle de créativité. Ce ne sont pas des actions prescrites, ni encouragées, par l’établissement ou par les ordres professionnels. Cependant, ce sont des interventions qui, à travers la réflexion sérieuse et le jugement clinique des intervenant-es, et considérant l’historique relationnel singulier entretenu avec la personne, font grandement sens.  

En sortant des sentiers battus pour offrir une intervention spécifiquement adaptée à la situation de la personne accompagnée, se crée un contexte relationnel qui valorise l’unicité et la différence de chacun-e (ce qui rappelle la notion de mutualité développée plus haut). Ces pratiques créatives, qui prennent parfois beaucoup de temps et d’énergie aux intervenant-es, laissent entrevoir une entente tacite faite spécifiquement avec la personne accompagnée suite à un potentiel perçu, un échange qui favorise l’engagement de la personne suivie, encouragée par ce que projettent les actions de l’intervenant-e.  

Il semble important de souligner ici que ces pratiques qualifiées de créatives pourraient s’inscrire dans un bassin plus large de pratiques en travail social appelées réflexives. Celles-ci se fondent sur l’idée selon laquelle, pour toutes les professions centrées sur la relation (tel le travail social), les intervenant-es « prennent le risque du traitement de situations complexes et singulières » et que « l’incertitude, qui marque le caractère conjecturel de la pratique professionnelle, nécessite des ajustements permanents, une gestion des aléas. L’intervention réclame une délibération » (Molina, 2016, p.71). En travail social, plus spécifiquement, cette délibération « se joue à partir d’histoires qui touchent la subjectivité des professionnels traversant des positions individuelles ou collectives au sein des organisations de travail » (Molina, 2016, p.71). Bien que je ne développe pas davantage cette articulation entre réflexivité et créativité dans le cadre de cet article, il apparaît que celle-ci demeure essentielle à mettre en lumière lorsque l’on réfléchit aux pratiques d’intervention pouvant favoriser l’alliance thérapeutique. 

Un art difficile 

Pour qualifier ces savoirs d’expérience qui ne se prescrivent pas, on peut parler de « créativité de l’agir » des intervenant-es (Ramirez et Prada, 2007, p.60) ou encore du « savoir sentir » (Lesca et Leszczynska, 2014, p.6). En ayant recours à différentes stratégies telles que celles décrites plus haut, les intervenant-es font appel à une pensée divergente qui leur permet de dépasser les dilemmes imposés en laissant place à leurs intuitions, à des décisions parfois spontanées et implicites (Ramirez et Prada, 2007) et, enfin, à l’autodétermination de leurs pratiques. Ainsi, ils et elles se retrouvent à « bricoler » tel-les des « artisan-es » pour mettre en place des pratiques créatives à des niveaux collectifs et individuels, afin de favoriser le développement de leur « pouvoir d’agir » autant que celui des personnes suivies (Côté et al., 2019, p. 17-19).  

La question qui demeure est de savoir si ces stratégies favorisent réellement l’établissement de l’alliance thérapeutique. Et si oui, comment? Malgré plusieurs obstacles à la pratique du travail social cités plus haut, la relation établie entre intervenant-e et personne accompagnée fait souvent preuve d’une grande résilience. Il est impératif de documenter ce qui aide à tisser cette alliance, ingrédient mystère, mais essentiel, tant à une construction relationnelle complexe et multidimensionnelle, qu’à la qualité d’un accompagnement psychosocial auprès d’une personne marginalisée et vulnérabilisée. 

À travers ma recherche doctorale, j’espère documenter le fluide qui circule dans les pratiques silencieuses, dans les pratiques du care et dans les pratiques créatives, leur permettant d’aller encore plus loin. J’espère aussi documenter la relation en filigrane de ces pratiques entre travailleur-euse social-e et personne en situation d’itinérance, ainsi que l’effet de cette relation, autant sur les personnes suivies que sur les professionnel-les.  

Notes

  1. Il apparaît ici important de donner quelques précisions sur cette expérience professionnelle afin que les réflexions émergentes ainsi que les exemples donnés puissent être compris dans leur contexte. Je travaille depuis plusieurs années dans une équipe du RSSS dont le mandat est d’offrir des suivis de santé et psychosociaux de proximité (dans la rue, les organisations communautaires, etc.) à des personnes en situation d’itinérance. La mission première de cette équipe est de faciliter l’accès aux services existants à des personnes isolées, marginalisées et qui n’ont pas accès à des suivis adéquats ou à des services adaptés à leur réalité. Le travail des intervenant-es de cette équipe étant en particulier d’aider ces personnes, aux parcours extrêmement variés, à naviguer à travers les différents services et institutions, cette expérience a aiguisé ma connaissance des divers systèmes (santé, services sociaux, emploi, justice, logement, etc.) dans leur grande complexité, leurs forces, mais également leurs limites et leurs failles.
  2. À travers cette revue de la littérature, j’ai d’abord recensé les écrits entourant le phénomène de l’itinérance et l’évolution des conceptions de la marginalité et de la vulnérabilité. Je me suis ensuite penchée sur la place de la créativité d’abord en intervention sociale puis plus spécifiquement dans le champ du travail social. J’ai alors exploré l’évolution de cette profession dans une mouvance modernisme-postmodernisme et j’ai sondé inévitablement les questions incontournables de l’alternance du travail social comme étant outil de changement et outil de contrôle, la question de la dualité entre savoir expert et savoir expérientiel, la place des émotions dans la pratique et l’identité professionnelle.
  3. Afin de mieux saisir comment s’établit l’alliance thérapeutique entre les travailleurs-euses sociaux-ales et les personnes en situation d’itinérance, je compte documenter les perceptions qu’ont ces différent-es acteurs-trices de la place à accorder à cette alliance dans leur relation professionnelle, de la forme qu’elle prend, de ses effets, de ce qui la favorise ou lui fait obstacle. J’utilise trois méthodes de collecte de données : l’analyse de textes, les entrevues individuelles avec des travailleurs-euses sociaux-ales et des personnes en situation d’itinérance et l’observation directe des activités des travailleurs-euses sociaux-ales.
  4. « can lead to individuals excluding themselves from particular relationships and situations as they seek to minimalize and manage the damage to their self-identity and personhood », notre traduction.
  5. J’entends par autonomie la question de différenciation à l’autre telle que décrite par Winnicott (1975) et soulevée plus haut. C’est par la reconnaissance de l’autre comme ayant une « vitalité qui lui est propre » (Winnicott, 1975, p.34) qu’on lui concède un pouvoir sur sa manière d’être et d’agir. Cela n’est pas sans rappeler la notion de « pouvoir d’agir » que Côté et al. (2019, p.17), en se référant à Le Bossé (1998), définissent comme « le contrôle que peut exercer une personne ou un groupe de personnes sur son/leur environnement par la recherche et l’obtention des ressources matérielles, psychologiques et sociales nécessaires pour atteindre leurs objectifs ».

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