Le CREMIS s’intéresse aux pratiques qui changent la donne pour les personnes marginalisées. Bien dans mes baskets1, un programme d’intervention sociale par le sport porté par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL) au sein de l’école secondaire Jeanne-Mance et du centre Gédéon-Ouimet, fait partie de ces pratiques novatrices qui proposent une approche différente du travail social. Le programme fête cette année ses vingt-cinq ans, au cours desquels il a gagné attention et reconnaissance, aussi bien de la part des milieux professionnels qu’universitaires. Et si on imaginait les vingt-cinq prochaines années?
À travers cette entrevue2, Martin Dusseault, travailleur social au CCSMTL, fondateur et coordonnateur de Bien dans mes baskets et Sébastien Pavia, travailleur social au CCSMTL, nous parlent du programme, de son avenir et des leviers qui permettraient de le voir perdurer et se diffuser dans d’autres contextes.
Le programme Bien dans mes baskets s’appuie sur l’idée qu’il faut faire de l’école un milieu de vie pour les jeunes. Qu’est-ce que ça demande pour qu’un milieu scolaire devienne un milieu de vie?
Martin Dusseault : pour Bien dans mes baskets, un milieu de vie c’est un milieu où les jeunes vont être reconnu·es pour ce qu’ils et elles sont, vivre des moments de bien-être, où on va répondre à leurs besoins de base. Avec ce programme, on a beaucoup misé sur le sentiment d’appartenance. C’est un élément fort de l’engagement scolaire des jeunes, entre autres, et je crois qu’il peut l’être aussi beaucoup pour les adultes. Même après vingt ans, on y travaille encore à l’école Jeanne-Mance. Les enseignant·es changent, les directions changent, les milieux changent. Mais ce sentiment-là d’appartenance au milieu, d’avoir un impact sur son milieu, ça se crée, ça se moule année après année. Dans ce sens-là, construire un milieu de vie pour les jeunes, ça n’est pas nécessairement en contradiction avec les besoins des adultes, mais il ne faut pas oublier qu’un milieu scolaire est géré par les adultes. Donc, ça demande des adultes engagé·es. Les jeunes doivent être au centre des décisions qui sont prises, de ce que l’on met en place, pour faire en sorte qu’ils et elles se sentent respecté·es, en sécurité et nourri·es positivement. Le milieu de vie doit aussi être collé sur les besoins de sa communauté. Les jeunes changent et la société aussi, un milieu de vie doit donc s’adapter aux réalités et aux besoins changeants de sa communauté.
Sébastien Pavia : en complément, je dirais qu’un milieu de vie, ça appartient à tout le monde. Il faut être ouvert·es, bienveillant·es, prendre notre temps, s’allier les un·es aux autres, et laisser les jeunes prendre certaines décisions, les amener à être partie prenante de l’espace. Je vais proposer une image un peu forte : un milieu de vie, ce n’est pas un zoo. C’est-à-dire que ça n’est pas à partir de la pensée des gens qui sont extérieurs au milieu qu’on peut venir encadrer ce qui se passe à l’intérieur.
On peut parfois avoir l’impression que le travail d’intervention s’inscrit de manière naturelle dans un contexte scolaire, mais qu’en est-il selon vous? À partir de l’expérience de Bien dans mes baskets, qu’est-ce que ça demande pour que des équipes d’intervention sociale puissent se déployer et agir en milieu scolaire?
Martin Dusseault :ça demande une bonne connaissance, autant des jeunes que des adultes qui composent l’environnement scolaire. Parce que le rôle des intervenant·es est non seulement d’aider les jeunes et les familles du milieu, mais aussi d’aider le milieu lui-même à mieux répondre aux besoins des jeunes. Ça fait partie de la vision de Bien dans mes baskets : on a besoin de savoir qui sont les leaders du milieu (au sein de la direction, parmi les enseignant·es ou parmi les intervenant·es professionnel·les employé·es par le milieu scolaire, par exemple) et de prendre le temps d’être avec elles et eux, d’aller aux réunions, de comprendre comment ils et elles travaillent. Cette connaissance du milieu est très importante, et elle ne se gagne pas comme ça, en un an.
Travailler en milieu scolaire, ça demande aussi une grande capacité d’adaptation, parce qu’on ne reçoit pas nécessairement nos dossiers sur notre bureau à 10h le matin. Peut-être qu’on va faire notre intervention dans la cafétéria, et il va falloir penser au cadre, à comment on va faire ça. Dans ce contexte-là, le cadre est très particulier, il faut vraiment en être conscient·e. On pourrait se cacher dans notre bureau, fermer la porte, et finalement il n’y aurait pas tant de problèmes que ça. Mais si on veut se servir du milieu scolaire pour faire notre intervention sociale, pour rejoindre la clientèle qu’on veut rejoindre, il va falloir être présent·es dans des milieux qui sont peu communs en intervention sociale, comme la cafétéria ou le gymnase, par exemple.
Sébastien Pavia : et pour être capables d’être flexibles, pour être capables de s’adapter, ça demande d’avoir des assises solides. On l’a vu historiquement, plus la direction en place est solide, plus on crée une alliance franche et transparente dans le milieu scolaire, plus notre direction à nous nous appuie, et plus on peut se permettre de se déployer. Les moments où l’on a peut-être le plus flyé sont les moments où il y avait une direction qui nous faisait confiance, à l’école et au CLSC, une direction qui nous laissait de l’espace. Le cadre de travail des intervenant·es de Bien dans mes baskets est vraiment large. L’horaire de travail est atypique, personne ne travaille de 9h à 17h. On peut avoir une rencontre à 8h le matin, tout comme on peut avoir beaucoup d’activités la fin de semaine et le soir, donc ça demande toute une flexibilité aux intervenant·es pour pouvoir naviguer là-dedans.
Le temps est un deuxième élément important. On dit souvent qu’on a le luxe du temps, à Jeanne Mance. On peut se permettre de travailler avec des jeunes pendant cinq ans, six ans. Cette fenêtre de temps là est exceptionnelle pour pouvoir créer du changement à long terme, pour pouvoir se laisser apprivoiser tranquillement par des familles, ou par des jeunes qui seraient un peu plus réticent·es à recevoir de l’aide, pour différentes raisons. Habituellement, c’est quelque chose qu’on voit assez peu en travail social, certains milieux se restreignent même à dix ou quinze rencontres.
Pour qu’une équipe puisse se déployer et agir, elle doit nécessairement reposer sur le développement de partenariats solides au sein du milieu scolaire et de la communauté. Notre intervention sociale vise à répondre aux besoins de la population qu’on dessert, et ça n’enlève rien aux autres entités dans l’école, en intervention ou en éducation. Ça n’est pas une compétition contre qui que ce soit : on cherche à créer un climat de collaboration, de l’ouverture, de la flexibilité, même si la réalité du terrain n’est pas toujours celle-là.
Le programme Bien dans mes baskets suppose un rapprochement entre le réseau de la santé et des services sociaux, et le milieu scolaire. En tant qu’employés du CIUSSS, quel·les ont été vos allié·es ou vos stratégies pour naviguer entre ces deux écosystèmes? Qu’est-ce qui a facilité le développement de la démarche, et qu’est-ce qui a été un obstacle pour vous?
Martin Dusseault : il y a parfois des défis par rapport aux visions de chacun·e, certain·es acteurs·trices du milieu scolaire n’ont pas les mêmes lunettes que nous et la collaboration avec les professeur·es et l’administration scolaire n’est pas toujours facile. Par exemple, si on explique à un·e enseignant·e qu’un·e jeune dans sa classe a des difficultés, ne sera peut-être pas apte à l’apprentissage, qu’on va le ou la prendre avec nous, en dehors, pour faire un peu de travail social et qu’il ou elle va manquer une heure ou deux de cours, ça n’est pas toujours bien reçu.
Mais le fait de venir d’une autre institution, d’être au CIUSSS et non au Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), nous a aussi permis de questionner beaucoup de choses et facilite parfois la médiation sur des cas sensibles. Par exemple, si je questionne la direction de l’école sur une suspension : si j’étais un employé de l’école, ça serait vite terminé. Mais là, je ne suis pas leur employé, alors la personne part, revient, réfléchit. Et parfois, on a dû questionner des sujets très sensibles. Mais nos lunettes de travailleurs·euses sociaux·ales nous permettent de soutenir notre clientèle dans la défense de leurs besoins et de leurs réalités.
Ça n’aurait pas pu se faire non plus sans des gestionnaires de proximité, nos gestionnaires à nous, qui nous ont laissé sortir un peu de la boîte, qui nous ont dit : vous êtes capables de rejoindre une clientèle que personne n’est capable de rejoindre, donc on va vous laisser expérimenter des choses, et on va voir si ça marche. Au début, c’était un projet de quelques heures du CLSC, qui est devenu un projet de CSSS, pour ensuite devenir un programme reconnu du CIUSSS. Peu à peu, on a obtenu des financements importants, et toute la direction générale a dû être impliquée. Ce support-là nous permet d’agir et de continuer à innover, à penser, à nous sentir appuyé·es dans ce qu’on fait. Et ça, c’est exceptionnel.
Pour arriver à convaincre de grosses organisations d’embarquer dans un projet, dans une façon de faire, il faut aussi parler un langage commun. Pour le CIUSSS, ce langage-là était un langage financier. À un moment donné on a commencé à parler de retour social sur investissement : est-ce que ça coûte de l’argent, ou est-ce que ça sauve de l’argent? Par exemple, en amenant Sébastien à Gédéon Ouimet, on va aider des jeunes avec leur intégration sociale au Québec. Peut-être qu’on va dépister des problèmes de santé mentale, en plus des enjeux de persévérance scolaire. Au bout du compte, il y a des chances que ça ne coûte pas si cher que ça à notre société d’avoir un Sébastien, comparativement à ce que ça rapporte en termes de prévention. C’est un des langages qu’il est important de savoir parler avec les gestionnaires, entre autres.
Le deuxième élément, c’est la question des statistiques. Dans notre organisation, les statistiques servent à aller chercher du financement au niveau du gouvernement. C’est aussi un langage important, parce que les gestionnaires peuvent ensuite partir avec ces chiffres-là et défendre notre point de vue. Donc on a adapté notre manière de travailler sur le plan administratif pour répondre aux besoins de l’institution, pour nous aider à mieux répondre à notre clientèle. On essaie d’être le plus stratégique possible.
Bien dans mes baskets au centre Gédéon-Ouimet
Le centre Gédéon-Ouimet est un centre de formation générale pour adultes, qui offre un programme de français de transition aux jeunes immigrant·es de 16 à 21 ans. Depuis 2020, Sébastien Pavia déploie ce programme en y apportant une approche d’intervention sociale par les sports d’équipe qui reprend les principes du programme Bien dans mes baskets, tout en étant spécifiquement adaptée au public du centre Gédéon-Ouimet.
Qu’est-ce que ça demande pour permettre à d’autres équipes de se réapproprier la démarche dans d’autres contextes?
Sébastien Pavia : ça demande une analyse du milieu, de ses besoins, de sa population, mais aussi de connaître les forces, les limites, les conditions et les objectifs d’un tel milieu. On peut prendre l’exemple de Gédéon-Ouimet. Il y a eu des observations, il y a eu des tentatives. Mon bagage avec Bien dans mes baskets à Jeanne Mance m’a permis d’éviter des pièges importants, mais ce qu’on a apporté là n’est pas venu de nulle part, c’est vraiment parti d’une étroite colla-boration. Quand j’y repense, ça me donne des frissons. Il y avait tout un contexte, la pandémie, un financement à très, très courte échéance, et tout était à construire. Mais heureusement, il y avait des assises. Il y avait Martin, il y avait moi. Il y avait une connaissance de la philosophie, de l’approche, mais il fallait adapter ce matériel à une population qui change au gré des flux migratoires, car c’est la réalité du milieu à Gédéon Ouimet. Si on allait ailleurs, dans d’autres milieux scolaires ou dans d’autres milieux tout court, il faudrait aussi s’assurer de toujours avoir une sensibi-lité fine à l’évolution des choses, de rester flexibles tout en se rattachant aux ingrédients fondamentaux de la philosophie du programme.
Martin Dusseault : il y a eu des essais dans deux autres milieux, autour de 2009, 2010. La personne qui coordonnait le projet n’était pas un travailleur social de formation. Un milieu à Laval et un milieu à Longueuil avaient été choisis selon leurs clientèles et les besoins ciblés par la Commission scolaire3. Ce n’était donc pas nécessairement le milieu qui avait évalué lui-même ses besoins, ou qui souhaitait répondre à ses besoins de cette façon-là, c’était parachuté par la Commission scolaire. Aujourd’hui ça tend peut-être à changer, mais dans les vingt dernières années, trop souvent les programmes de prévention-promotion étaient construits en haut, c’était du top-down, plutôt que de construire à partir de la base. Et c’est un peu ça qui est arrivé dans les deux milieux, alors que les façons de faire y étaient complètement différentes.
Dans l’un des milieux, un psychoéducateur, employé de l’école, a repris le projet en essayant de monter un projet d’intervention par le sport. Ça a très bien fonctionné au début, parce que c’était un intervenant professionnel, parce qu’il orientait sa lunette en fonction des besoins des jeunes, parce qu’il aimait penser en dehors de la boîte et qu’il était capable de s’adapter. Après un an et demi, on s’est retirés. Lorsqu’on était là, et qu’il observait des enjeux problématiques dans son milieu, c’est nous qui allions les soulever auprès de la direction. Lorsqu’on est partis après un an et demi, il a repris ce rôle et il a commencé à poser des questions, à créer des changements. Il a été dérangeant, trop dérangeant, et l’année d’après, le mandat a été donné à une autre personne. Ça a complètement changé le programme, ça s’est perdu en sport parascolaire avec un intervenant affilié, ça n’était plus un programme d’intervention.
Dans l’autre milieu, c’était un enseignant d’éducation physique, qui avait une vision ancrée dans l’intervention sociale. Après un an et demi, il est parti en congé de paternité et un autre enseignant est arrivé, qui n’avait pas du tout cette conception de l’intervention sociale par le sport. Selon lui, pour pouvoir faire du sport, il fallait avoir de bonnes notes, il fallait pouvoir payer les frais d’inscription. Donc tous·tes les jeunes que nous avions ciblé·es, qui n’étaient impliqué·es nulle part, qui avaient des problèmes importants à l’extérieur de l’école, on les a perdu·es. Finalement, quand on est partis, le programme est tombé.
On a eu des réflexions à partir de ces expériences-là. Le fait qu’on soit une institution à l’extérieur du milieu scolaire, qui vient travailler avec le milieu, c’est important. C’est important que ça soit un·e professionnel·le qui porte ça. Un·e professionnel·le de l’intervention sociale dans le milieu du sport, c’est un mélange qui n’est pas évident, c’est rare.
L’une des singularités du programme Bien dans mes baskets est qu’il articule différents modes d’intervention, individuel, groupal et communautaire, dans un réseau largement dominé par l’approche individualisée. La formation initiale en travail social à l’université a également tendance à être cloisonnée et l’intervention sociale par le sport y est considérée comme marginale.
Qu’est-ce que ça demanderait pour voir une telle approche se déployer plus largement dans les pratiques en travail social? Est-ce qu’on pourrait imaginer que cette approche d’intervention soit enseignée à l’université?
Sébastien Pavia : on a contaminé certains milieux, petit à petit. Par exemple, on a une influence importante dans le milieu du coaching et de l’utilisation du basketball parascolaire au Québec. Je pense qu’on peut continuer à faire ce qu’on fait, et inciter les programmes d’intervention au cégep et à l’université à considérer des éléments de l’approche. Plus la relève formée dans nos institutions aura un coffre à outils diversifié, meilleure elle sera pour faire face aux problématiques de plus en plus complexes que vivent les gens. Je suis un ancien technicien en éducation spécialisée, je me souviens de certains cours qui pourraient être bonifiés avec l’approche de Bien dans mes baskets. Si on formait des intervenant·es de terrain, ils et elles pourraient amener la pratique ailleurs, et pousser la théorie. Et ces gens-là vont aller à l’université. Il faut continuer à être ambitieux·ses avec le milieu universitaire, on a déjà de bonnes alliances.
Martin Dusseault : au fil des années, Bien dans mes baskets est devenu un modèle de référence dans plusieurs champs d’intervention. Des professeur·es en kinésiologie utilisent des exemples de Bien dans mes baskets pour la prévention et promotion de la santé, à l’UdeM les enseignant·es en éducation physique utilisent des exemples pour la relation avec l’élève et la relation avec l’athlète et on a commencé à l’utiliser en travail social, à l’université de Chicoutimi aussi. Il y a des collaborations en techniques policières et en éducation spécialisée, entre autres au cégep de Valleyfield. Plusieurs milieux viennent explorer cette façon de faire. On a même créé une organisation qui s’appelle Le RÉSEAU4, qui est un réseau d’intervenant·es psychosociaux·ales par le sport et le plein air.
Dans les dix dernières années, il a connu un essor important parce que des professeur·es ont décidé d’amener ces approches alternatives en milieu universitaire. À Chicoutimi, ils et elles ont développé un baccalauréat en intervention plein air, et à l’Université Laval, l’intervention en contexte de nature et d’aventure a été intégrée au cheminement en criminologie et en travail social. Le cégep de Baie-Comeau a même créé une attestation d’études collégiales d’intervention par l’aventure et le plein air. Ça a lancé un mouvement chez les intervenant·es.
Mais, comme tout changement, c’est long et c’est menaçant. Les gens ne comprennent pas toujours très bien pourquoi on vient jouer dans leurs plates-bandes. Une façon de créer un changement par le milieu universitaire, c’est de produire des écrits scientifiques, il faudrait qu’on laisse une trace scientifique pour obtenir une reconnaissance dans ce milieu. Créer du changement au niveau des intervenant·es, on le fait déjà, et on le fait bien, mais si on veut créer de la formation universitaire pour former des professionnel·les, il faut miser sur le monde universitaire.
Et, justement, qu’est-ce que ça demande pour s’allier avec le milieu universitaire et le milieu de la recherche? Comment la recherche pourrait-elle soutenir ces transformations dans le futur?
Martin Dusseault : le milieu universitaire et l’intervention sur le terrain, ce sont deux univers complètement différents. Pour des travailleurs·euses sociaux·ales ou des intervenant·es, ça peut faire peur, et il y a cette idée que ça n’est pas quelqu’un qui n’a jamais été sur le terrain qui va leur faire changer leurs mots, ou décider comment ils et elles travaillent. Nous, on a accepté de se lancer un peu dans le jeu, pour voir, et on y a vraiment pris goût. La recherche fait partie intégrante de ce qu’est devenu Bien dans mes baskets au fil des années.
Mais les intervenant·es sont en mouvement toute l’année, et on ne peut pas simplement leur demander de réfléchir à présenter quelque chose au milieu de la recherche. Ça serait intéressant, par exemple, de se rencontrer trois ou quatre fois par année avec deux chercheurs·euses, deux intervenant·es, et prendre le temps d’aller dans cette réflexion-là. Ça pourrait faire ressortir des besoins ou des possibilités de collaboration. Si on est capables de provoquer des moments de réflexion en commun, je pense que c’est là qu’on va pouvoir innover.
Il y a beaucoup de sujets plus larges qui pourraient être abordés en termes de recherche : l’adolescence, l’immigration, la collaboration interprofessionnelle entre le milieu de la santé et le milieu scolaire, l’impact de ce type d’initiative sur la persévérance scolaire… Dans le cadre d’une réflexion sur le travail social, ça serait intéressant de voir l’efficacité du trio individuel, groupal et communautaire. Il y a déjà eu une recherche faite pour camper un peu Bien dans mes baskets dans le travail social, mais il y aurait encore des réflexions à avoir autour des actes pratiques des professionnel·les.
On a aussi un projet, que Sébastien a amené avec passion dès les débuts, sur toute la question de l’engagement, entre autres de l’engagement communautaire et bénévole de nos jeunes. Qu’est-ce que ça provoque dans la communauté? Pas uniquement en termes de développement de compétences ou de valeurs, mais aussi les impacts en termes de perception de ces jeunes-là dans la société.
Sébastien Pavia : l’adolescence en soi, c’est souvent perçu comme une « maladie passagère », parce que ça vient avec toutes sortes d’enjeux et de défis. Bien dans mes baskets, c’est aussi un endroit où on peut être, juste être, pour un·e adolescent·e. Si on veut inspirer d’autres milieux, avec l’idée de l’engagement communautaire, il y a quelque chose de transférable dans toute la société pour une population adolescente, où qu’elle soit. Il y a aussi le fait que l’école est un propulseur d’inégalités, d’étouffement de la créa-tivité. Nous, on essaie de tasser ces inégalités, de donner un espace aux jeunes, une emprise sur leur milieu. Les inégalités sont perpétuées par le système, et on essaie de leur offrir des alternatives, des bouffées d’air, des filons à exploiter. Au niveau macro, Bien dans mes baskets met en lumière des éléments pour susciter des changements. Je pense aussi à une enseignante, qui expliquait comment ça a pu l’influencer dans sa pratique à elle : on parle des jeunes, mais on pourrait également parler d’autres acteurs·trices.
Pour finir, est-ce qu’on pourrait imaginer d’utiliser Bien dans mes baskets comme un levier pour diffuser l’approche d’intervention par le sport ou soutenir d’autres formes d’initiatives qui sortent du cadre de l’intervention ou du coaching plus traditionnel?
Martin Dusseault : oui, Bien dans mes baskets est un leader de cette approche et a une reconnaissance qui lui permet d’influencer les différents milieux. Je pense que l’on pourrait susciter des réflexions sur plusieurs niveaux. Il y a plusieurs années, on avait mis en place une communauté de pratique à l’intérieur de notre CIUSSS, avec des gens qui avaient cette intention-là. On a un super beau milieu dans notre CIUSSS au centre-ville, on a une Direction Jeunesse qui est capable de penser en dehors de la boîte. Je pense qu’on pourrait tenter d’autres expériences de Bien dans mes baskets dans d’autres zones du CIUSSS. Bien dans mes baskets pourrait être une équipe, avec un volet de transfert des connaissances, un volet recherche pour analyser les savoir-faire, un volet intervention dans différents milieux, avec différents groupes d’âge…
Je pense qu’il faut continuer à communiquer, à écrire, à diffuser des vidéos, à sensibiliser. Le milieu du sport n’est pas encore assez impacté, il y a une résistance importante lorsqu’on parle de psychosocial, les acteurs·trices du milieu du sport ne se sentent pas concerné·es, pas compétent·es.
Sébastien Pavia : tant qu’à être là, à avoir la parole, si on lance des pistes on augmente les chances de changer les choses. Bien dans mes baskets, c’est quoi? C’est une approche, c’est une manière de tra-vailler. Il faut être humble, mais aussi se permettre de questionner, de challenger les personnes en position de pouvoir avec conviction, professionnalisme, et confiance dans les changements que Bien dans mes baskets a réussi à susciter : ça sert à ça aussi, les cheveux gris!
Notes
Notes
1. Pour plus d’informations sur le programme Bien dans mes baskets, voir le dossier Bien dans mes baskets, où en sommes-nous? sur le site web du CREMIS : https://cremis.ca/publications/dossiers/bdmb-2
2. Entrevue préparée par le comité de rédaction de la Revue du CREMIS, avec le soutien de Christopher McAll.
3. La Commission scolaire de Montréal (CSDM) est devenue le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) en 2020.
4. Le RÉSEAU est un regroupement d’organisations, d’institutions, d’entrepreneurs·euses, de chercheurs·euses, d’intervenant·es d’enseignant·es, et de toute personne désirant utiliser le sport et le plein air dans une logique de développement psychosocial. Pour plus d’informations : https://lereseau.co