Ne pas déranger : Pratiquer la mendicité ordinaire

« Tu ne peux pas rester assis, tu vas te le faire dire [par les policiers-ères] » (Félix). 

On considère généralement le trottoir comme faisant partie du domaine public et, de ce fait, comme appartenant au « public ». Cependant, il est avant tout une propriété étatique et municipale, où différents règlements sont appliqués afin d’équilibrer la compétition d’intérêts qui s’y joue, mais aussi et en premier lieu pour préserver le flux circulatoire des piéton-nes, en évitant toute obstruction. Blomley (2010, p.80) note que le trottoir est un « […] espace appartenant pleinement à l’État qui doit être sans obstruction au service de la circulation des piétons1 ». L’utilisation du trottoir pour des activités stationnaires et de survie (comme mendier ou dormir) entre en conflit avec ce que l’auteur nomme le piétonisme judiciaire et politique (Judicial and political pedestrianism). Ce type de piétonisme promu par la circulation ininterrompue des piéton-nes considère les comportements obstructifs préjudiciables dans l’espace public, du fait qu’ils vont à l’encontre du droit de passage et enfreignent la fonction première de circulation.  

Suivant cette logique, la régulation légale du trottoir traite de corps mobiles qui doivent circuler dans l’espace et qui peuvent obstruer. Faisant abstraction des inégalités socio-économiques, elle tend à réduire les personnes mendiantes à des « objets urbains », au même titre qu’un poteau de téléphone ou un arrêt d’autobus, qui ne doivent pas obstruer le passage (Blomley, 2007).

En ce sens, les personnes mendiantes sont sommées de se positionner au « bon endroit » pour éviter d’ébranler l’ordre public et d’être la cible des autorités. Dans le même ordre d’idées, Michel Parazelli et ses collègues (2013) ont observé à Montréal des pratiques de gestion du partage de l’espace public axées sur la mobilité des corps des personnes marginalisées et visant à les expulser, les disperser, les concentrer ou les diluer dans (ou de) certains espaces géographiques. Ces pratiques de gestion participent à l’invisibilisation de ces personnes et s’inscrivent dans un contexte sociopolitique en tension entre un imaginaire écosanitaire (marginalisation, répression, invisibilité) et démocratique (inclusion, cohabitation, visibilité). 

Dans cet article, je présenterai les résultats du mémoire, que j’ai conduit entre 2019 et 2021 à Montréal, portant sur une pratique de la mendicité que je qualifie d’« ordinaire » ou d’« ordonnée », c’est-à-dire une pratique qui vise à ne pas ébranler l’ordre public et qui est imposée par les citoyen-nes ordinaires (Staeheli et al., 2012; Spinney et al., 2015) et les autorités. Cette pratique implique un contrôle spatial et comportemental particulier, par lequel les personnes mendiantes sont sommées de rester debout ou de circuler, de céder le passage, d’adopter des comportements de civilité et de ne pas déranger les activités socio-économiques en cours. Paradoxalement, tout en manifestant leur présence pour obtenir l’obole et en adoptant une conduite ordonnée, elles sont considérées comme absentes, voire invisibles dans l’espace public et suscitent même une apparence de désordre qui est contrôlé par les autorités.  

Démarche d’enquête 

Entre 2019 et 2021, j’ai mené une enquête ethnographique sur les trottoirs de la rue Sainte-Catherine, à Montréal. Près de 100 heures d’observation participante ont été effectuées lors de 23 journées d’enquête. Les données de recherche ont été colligées dans un journal de bord, sous forme de notes de terrain. La photographie a été également utilisée pour capter certains paysages sociaux urbains et rendre compte du rapport entretenu à l’espace public par les personnes mendiantes et/ou en situation d’itinérance. 

Au cours de l’enquête, j’ai rencontré 25 personnes, dont quatre participant-es clés que j’ai revu-es à maintes reprises, soit cinq journées d’enquête ou plus. Les participant-es clés étaient Véro (femme, 32 ans), Ben (homme, 30 ans), Kenneth (homme, 36 ans) et Glen (homme, 64 ans). Parmi ces participant-es, seul Glen était en situation d’itinérance chronique tandis que les trois autres habitaient dans des logements précaires et étaient à risque d’itinérance.  

Il était difficile de revoir la même personne plus de deux fois, car il n’existait pas de lieu de mendicité fixe ou prédéfini. Cependant, quatre personnes s’étaient approprié un lieu et s’y trouvaient régulièrement. J’ai donc focalisé mon attention dans une zone particulière de la rue Sainte-Catherine où l’on trouvait des personnes qui mendiaient de façon immobile et qui s’étaient approprié un lieu de mendicité au quotidien comme lieu de travail. Il y avait un noyau stable de participant-es que je pouvais revoir fréquemment à ce lieu, mais d’autres personnes gravitaient autour, que j’ai pu rencontrer entre une et trois fois. L’échantillon s’est donc composé organiquement, en étant stable et changeant à la fois, sans qu’il y ait de frontière ou de délimitation stricte (Wasserman et Clair, 2010, p.39). 

Enfin, une des limites importantes à noter dans cette démarche d’enquête concerne la fiabilité des données issues des notes de terrain. La construction des données n’est pas basée sur des entretiens formels, mais exclusivement sur des notes de terrain, de photographies et de courts entretiens informels. Étant donné que je ne pouvais pas mémoriser l’ensemble des informations recueillies et que je n’enregistrais pas les propos des participant-es sur un support audio, il peut certes exister un biais dans la sélection et la rétention des informations.  

Se lever ou circuler  

« Vous allez devoir vous lever, merci » (un patrouilleur, s’adressant à nous). 

« Il y en a [des patrouilleurs-euses] qui passent, et ils disent de me lever. Tu ne peux pas rester assis » (Ben). 

À plusieurs moments lors de l’enquête, il était moins question d’un contrôle policier par l’attribution de tickets de contravention que d’une discipline indirecte, par laquelle, les personnes mendiantes adoptent une ligne de conduite qu’elles estiment encouragée par les policiers-ères, notamment la non-obstruction. J’ai pu constater que les personnes mendiantes adoptent une discipline du corps qui est imposée par les patrouilleurs-euses à pied. Plutôt que de rester assises pour mendier, les patrouilleurs-euses à pied incitent les personnes mendiantes à se mettre debout afin d’éviter les potentielles obstructions. On observe ici une forme de contrôle plus informel visant à réguler les corps et qui implique l’adoption de comportements de déférence et de civilité (Goffman, 1973) ainsi qu’une discipline basée sur la conduite des conduites (Foucault, 1994). Les activités stationnaires et obstructives sont visées par des tactiques de circulation et de positionnement des corps, ayant pour but d’éviter les désordres publics. Les activités associées à la flânerie et l’obstruction sont d’ailleurs définies comme des infractions selon les règlements municipaux, notamment le Règlement concernant la paix et l’ordre sur le domaine public (P-1).  

Selon Blomley (2010), le phénomène de la mendicité est considéré comme un problème « d’ingénierie » par de nombreux-ses fonctionnaires de la municipalité, mais notons que d’autres y voient aussi un problème « social ». Cette vision d’ingénierie traite des problèmes d’obstruction et de circulation des choses et des corps, plutôt que des rapports sociaux. L’auteur fait remarquer que cette transformation de la régulation en une vision d’ingénierie contribue à la dépolitisation, voire la déshumanisation des personnes mendiantes. En effet, la transformation des personnes mendiantes en « objets urbains », au même titre qu’un arrêt d’autobus (Blomley, 2007), qui ne doit pas obstruer le passage, est une façon violente de faire abstraction des inégalités socio-économiques. Le piétonisme judiciaire et les règlements municipaux ne se soucient guère de connaitre la condition d’une personne ou son origine sociale.

Occuper le trottoir pour sa survie est vu potentiellement comme une obstruction, une entrave à la circulation, enjeux qui prévalent sur les conditions de (sur)vie des personnes. Or, l’occupation du trottoir revêt une importance capitale pour les personnes mendiantes, car il s’agit d’un espace primaire (Snow et Mulcahy, 2001) où l’on retrouve les ressources socio-économiques nécessaires pour répondre à leurs besoins. Pour obtenir l’obole, elles doivent nécessairement être présentes et se plier aux normes dominantes de l’espace primaire en cédant le passage notamment. Elles doivent se rendre (hyper)visibles aux yeux des potentiels donneurs-ses, mais, paradoxalement, elles se font dénier le plein accès à cet espace fondamental, car elles sont considérées comme des shadow citizens (Cresswell, 2009). 

Céder le passage 

Lors d’une journée d’enquête, Kenneth, un des participants, m’a suggéré de rapprocher mes effets personnels vers le mur, en bordure du trottoir, afin d’éviter d’entraver la circulation. Frédéric, un autre participant, a également commenté à propos de son lieu de mendicité, que : « Ce n’est pas dérangeant. Je ne suis même pas sur le trottoir. Je suis sur le terrain de La Baie. Je ne bloque pas le trottoir ».   

Les piéton-nes véhiculent un mode de conduite dominant sur le trottoir axé sur la mobilité et la productivité. Ils et elles circulent en mobilisant un ensemble de technologies et de marqueurs de la citoyenneté ordinaire (Staeheli et al., 2012; Spinney et al., 2015), véhiculent la conduite des conduites (Foucault, 1994) et produisent un ordre socio-symbolique particulier en adoptant des comportements rationnels et indifférenciés (Simmel, 1989). En d’autres termes, les personnes mendiantes sont subordonnées au mode de conduite dominant des piéton-nes et doivent impérativement céder le passage. Cette injonction symbolise en soi un rapport de pouvoir entre statut majoritaire et minoritaire. Les piéton-nes s’attendent à ce que le trottoir soit sans obstruction et que les usagers-ères l’utilisent dans sa fonction primaire de circulation.  

Les personnes mendiantes doivent alors se plier au mode de conduite des citoyen-nes ordinaires afin d’éviter les comportements dits indésirables. Étant soucieuses de préserver l’espace de circulation, elles tendent plutôt à adopter des comportements de déférence et de civilité (Goffman, 1973) à l’égard des piéton-nes et usagers-ères dominant-es. Elles tentent de se faire les plus discret-es possible en cédant le passage et en se positionnant en retrait. Toutefois, cela n’est pas toujours suffisant, car même si elles s’efforcent d’adopter des comportements non-obstructifs, ils le restent potentiellement aux yeux de leurs concitoyen-nes, et leur présence est particulièrement contrôlée par les autorités policières. 

Se distinguant de la figure du ou de la citoyen-ne ordinaire, les personnes mendiantes sont par ailleurs plus souvent délégitimées pour avoir agi sensiblement de la même façon que ses concitoyen-nes qui, reconnu-es comme un autre en soi (Mead, 1934), possèdent les marqueurs de la citoyenneté permettant d’établir la reconnaissance mutuelle. À titre d’exemple, j’ai pu observer un groupe de touristes accompagné d’un guide, adoptant visiblement des comportements d’obstruction, mais ne semblant pas se soucier d’être rappelé à l’ordre. Ben, un participant, mentionnait que : « Des fois, ils restent longtemps sur le trottoir, mais personne ne dit rien ». Ainsi, alors que l’obstruction par les personnes mendiantes est le signe d’un désordre public passible d’infraction, celle du groupe de touristes, devient signe de l’ordre et de la prospérité économique et touristique de la ville, ne constituant pas en soi une entrave à la circulation. 

Ne pas déranger 

À quelques occasions, alors que je discutais assis avec lui, Glen, un participant, se levait rapidement pour proposer de l’aide, comme lorsqu’une dame tentait, sans y parvenir, de monter son carrosse pour bébé sur le trottoir. De cette situation, il m’avait dit : « J’offre toujours mes services. J’ai de bonnes relations avec les personnes qui travaillent là2 ». Jean-Yves, quant à lui, commentait : « Moi, je ne demande rien. Le gérant ne fait rien. Je vais à la toilette sans déranger. Je suis le plus discret possible. C’est comme si je n’étais pas là ». 

Les données d’enquête suggèrent que les personnes mendiantes posent des gestes particuliers destinés à préserver leur place et renouveler le contrat implicite qui leur permet d’être là. Ainsi, Glen adopte des comportements de civilité en faisant acte de gentillesse à l’égard des piéton-nes, pour pouvoir rester sur les marches d’un magasin de vêtements achalandé du centre-ville, alors que Jean-Yves cherche à se faire le plus discret possible, à se rendre invisible aux yeux du gérant et des employé-es du McDonald’s près duquel il mendie. 

« Le McDo, il m’aime bien. J’en ai chassé trois crottés l’autre fois. […] Ils étaient couchés par terre et ils quêtaient. Le McDo niaise pas quand il y a du monde gelé [intoxiqué] devant ou qui se battent. La police arrive bien vite. C’est leur réputation. […] Moi, le McDo, il me laisse. Je ne dérange pas. Je me ramasse. Il n’y a rien qui traîne par terre » (Jean-Yves). « Je protège le magasin. Si je vois quelqu’un qui a l’air de vouloir voler, je vais aviser la femme qui travaille là pour qu’elle le surveille3 » (Glen). 

Les données d’enquête tendent aussi à démontrer que certaines personnes mendiantes appliquent un contrôle informel à l’égard d’autres personnes marginalisées sur le trottoir. Étant tolérée par le ou la commerçant-e adjacent-e au lieu de mendicité, la personne mendiante doit préserver ce lieu en maintenant des comportements de civilité. Comme Jean-Yves qui nettoie et Glen qui assure une surveillance et une protection informelles à l’égard des vols potentiels, la personne adopte alors un mode de conduite désiré par les citoyen-nes ordinaires et participe à éloigner les éléments dits indésirables. 

Qu’il s’agisse de céder le passage ou encore d’adopter des comportements de civilité à l’égard des commerçant-es et des piéton-nes, la personne mendiante doit dans tous les cas adopter une pratique ordinaire qui se fond dans le paysage urbain et qui n’ébranle pas l’ordre public. La tolérance de leur présence est sous contrainte, cette dernière étant acceptée à condition d’avoir intériorisé la discipline. 

Tolérance sous contrainte 

À propos de sa relation avec les policiers-ères, Fred me disait : « Je suis bien connu des policiers, ils m’appellent par mon nom. Ils ne me dérangent pas, je ne les dérange pas, ils font leur travail. Mais, il y en a qui passent et ils disent de me lever ». Félix abonde dans le même sens : « Je commence à être connu. Ils ne sont pas sur mon dos. […] Je n’ai pas d’antécédent [judiciaire]. J’ai arrêté de boire. Moi, la police elle ne me dérange pas. Il y en a même un qui m’a acheté un café l’autre fois ». 

Les patrouilleurs-euses à pied n’optent pas systématiquement pour la répression et la sanction, et peuvent adopter une forme de tolérance et de pouvoir discrétionnaire à l’égard des personnes mendiantes qui se sont approprié un lieu et qui le préservent dans le temps. Les patrouilleurs-euses tentent de négocier la présence des personnes marginalisées et leur cohabitation avec les autres usagers-ères. Ils et elles maintiennent une certaine paix et tolérance à l’égard des personnes mendiantes à condition qu’elles adoptent des comportements de civilité, et occupent le trottoir dans ses fonctions désirées. Ainsi, les patrouilleurs-euses laissent une marge de possibilité pour agir de manière « ordonnée », en assurant une discipline indirecte, sans avoir recours à la force ou à la coercition. Or, la menace de sanction reste toujours présente, mais elle se transforme plutôt en une forme d’avertissement sporadique, visant à dresser et discipliner les corps dans l’espace public. Enfin, la seule présence des patrouilleurs-euses suffit à rappeler les personnes mendiantes à l’ordre des normes (formelles et informelles) qu’elles doivent respecter au quotidien. 

On est invisibles! 

Le sentiment d’être absent-e et invisible aux yeux des piéton-nes a été présent tout au long de l’observation participante, si ce n’est quelquefois le regard méprisant, malaisant ou de pitié qui nous était adressé. Lors d’une journée d’enquête, un touriste prenait des photos d’un commerce à proximité du lieu de mendicité d’une participante. Alors que nous étions assis-es en bordure du trottoir, il s’était rapproché de nous au point où son pantalon frôlait mon épaule. Il empiétait de toute évidence sur notre espace personnel. Or, il ne baissa pas le regard pour constater notre présence et resta positionné pendant une dizaine de secondes avant de repartir sans nous adresser la parole. Il était frappant de constater à quel point nous n’existions pas à ses yeux. Véro, une de participante, m’avait alors dit : « Tu vois? On est invisibles! ».  

L’attitude blasée (Simmel, 1989) et l’inattention civile (Goffman, 1973) consistent en des modes de conduite indifférenciés et dominants chez les piéton-nes, notamment sur les trottoirs achalandés des centres urbains. Il s’agit d’un mode de conduite rationnel, permettant de ne pas se laisser submerger psychiquement par les innombrables stimuli environnants dans la ville (Simmel, 1989). La pratique de la mendicité vient cependant interférer avec ce mode de conduite en faisant sortir les piéton-nes de leur attitude blasée et en attirant leur attention pour obtenir leur obole (Lankenau, 1999). Toutefois, même si la personne mendiante parvient à faire sortir les piéton-nes de cette attitude (ou non), il reste que, en toile de fond, on observe généralement une forme d’indifférenciation, voire une invisibilisation des personnes marginalisées, ces dernières devenant en quelque sorte « absentes » du paysage urbain. 

Des citoyen-nes à la marge  

Même si les personnes mendiantes intériorisent la discipline et adoptent les comportements désirés et attendus, ces derniers sont toujours potentiellement obstructifs, voire perçus comme « indésirables » aux yeux des citoyen-nes. La seule présence de personnes mendiantes sur le trottoir, en retrait et à la marge, semble susciter un sentiment d’insécurité et d’étrangeté, voire une apparence de désordre public qui est contrôlé par les autorités policières.  

Leur présence, voire leur (hyper)visibilité dans l’espace public, est marquée simultanément et paradoxalement par leur absence, témoignant ainsi d’une forme d’invisibilisation et d’une non-reconnaissance par ses concitoyen-nes. Devenant des citoyen-nes à la marge ou des shadow citizens (Cresswell, 2009), les personnes mendiantes et, notamment, itinérantes se voient potentiellement exclues des territoires clés dans la composition de la citoyenneté ordinaire tels que le travail et le domicile (McAll, 1995). Ces deux territoires, constitutifs de l’accessibilité à une existence sociale et matérielle, permettraient selon Laberge et Roy (2001) d’accéder de plain-pied à l’espace public. Or, les personnes mendiantes et itinérantes se voient souvent dénier l’accès à cet espace fondamental et sont ainsi contraintes d’occuper les espaces résiduels et marginaux ou de se plier aux normes dominantes de l’espace primaire, « réservé » aux domicilié-es, aux entrepreneurs-euses et aux autorités policières et politiques (Snow et Mulcahy, 2001). Autrement dit, accumulant l’exclusion de certains territoires clés de la citoyenneté, elles se voient contraintes d’occuper les espaces « hors-murs » (McAll, 1995) et ne sont plus reconnues comme des citoyen-nes à part entière. N’ayant pas les ressources et les moyens d’accéder à l’espace public de plain-pied, au même titre que les citoyen-nes ordinaires, les personnes mendiantes et itinérantes « tombent » dans les interstices de l’espace public et sont dès lors sujettes à un traitement social différencié et à une surveillance sociale tous azimuts par les usagers-ères dominant-es du trottoir.  

Toutefois, malgré ce constat pessimiste, voire inquiétant, les données d’enquête révèlent une possible solidarité humaine et un attachement social (Paugam, 2023) permettant de maintenir un lien social fondamental avec les personnes marginalisées et exclues. Cette solidarité agissant comme liant social a été observée entre les personnes marginalisées, chez les piéton-nes, les policiers-ères et les commerçant-es et devrait faire l’objet d’une attention particulière pour une prochaine étude. 

Notes

  1. « […] fully state-owned space that is to be cleansed of obstructions in the service of pedestrian flow »
  2. « I always offer my service. I have good relations with people who work there »
  3. « I am protecting the store. If I see someone who look like he is going to steal, I will tell the lady who is working there to watch him »

Références

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Blomley, N. (2007). How to Turn a Beggar into a Bus Stop: Law, Traffic and the “Function of the Place”. Urban Studies, 44(9), 1697-1712. https://doi.org/10.1080/00420980701427507 

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Lankenau, S. E. (1999). Panhandling repertoires and routines for overcoming the nonperson treatment. Deviant Behavior, 20(2), 183-206. https://doi.org/10.1080/016396299266551. 

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Mead, G. H. (1934). Mind, self and society. University of Chicago Press.  

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Paugam, S. (2023). L’attachement social : formes et fondements de la solidarité humaine. Seuil. 

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Staeheli, L. A., Ehrkamp, P., Leitner, H. et Nagel, C. R. (2012). Dreaming the Ordinary: Daily Life and the Complex Geographies of Citizenship. Progress in Human Geography, 36(5), 628-44. https://doi.org/10.1177/0309132511435001 

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